Jean-Pierre Rondas

La N-VA s’est diluée pour accéder au pouvoir, que fera-t-elle à présent : gouverner pour gouverner?

Jean-Pierre Rondas Jean-Pierre Rondas est membre de l'initiative de citoyens dit 'Gravensteengroep', et président de l'asbl qui publie Doorbraak, un site web flamingant.

Bart De Wever est sur le point de réaliser une coalition « anversoise » au niveau régional et fédéral composée de la N-VA complétée d’un groupe de perdants (les chrétiens-démocrates et les libéraux). Il a réussi à les convaincre d’accepter sa proposition la plus captivante de l’année dernière. Il avait effectivement annoncé qu’il ne discuterait pas en tant que N-VA, mais qu’il négocierait un gouvernement fédéral avec les candidats francophones depuis un gouvernement flamand. C’est exactement ce qu’il va se passer, un moment historique au fond. Du jamais vu dans l’état belge. Un pas confédéraliste gigantesque.

On aura donc un gouvernement fédéral kamikaze, car le MR ose entrer dans une coalition dominée par les Flamands en tant que seul parti francophone. Le Mouvement flamand était contre un tel gouvernement de minorité flamande (un gouvernement dont l’aile flamande n’a pas de majorité auprès des représentants flamands dans la Chambre). Mais maintenant nous désirons que les francophones acceptent une minorité beaucoup plus éclatante que ces deux sièges qui manquaient aux Flamands ? Tant les représentants des employeurs francophones (Daoust) que ceux du syndicat socialiste (Bodson) ont indiqué que les francophones ne sont pas « représentés » dans un tel gouvernement. Ajoutez-y un sentiment permanent d’humiliation, de minorisation, de manque de respect dont souffrent les Wallons et les Bruxellois francophones, et vous obtiendrez un mélange explosif. Même si on assistera pas immédiatement à l’avènement d’un nouvel André Renard, Laurette Onkelinx se prépare à une opposition virulente. En outre, on lui connaît plusieurs déclarations dans lesquelles elle fait planer le menace de « la rue », une « rue » pour laquelle elle ne prend aucune responsabilité, car elle ne pourra pas retenir « les gens ».

Vu sous cet angle, il est compréhensible que le terme de « coalition kamikaze » soit devenu en vogue en Wallonie. Mais simultanément, la participation du MR à un tel gouvernement se transforme en recette de fin de la Belgique, ce qui cadrerait avec la stratégie de la N-VA de confronter les francophones à tel point aux conséquences de la « Belgique » qu’eux-mêmes en auraient assez. Pourquoi ? Il faut chercher les raisons dans la différence entre le fédéralisme et le confédéralisme.

Une telle coalition kamikaze exprime en effet un fédéralisme pur-sang. Comme nous sommes tous belges (une maxime de prédilection d’André Flahaut), le nombre de parlementaires wallons ou flamands qui soutiennent le gouvernement fédéral n’importe pas du moment qu’il a une majorité. Cependant, il est clair qu’une telle coalition testera le fédéralisme à l’extrême. Pousser à une coalition kamikaze du côté flamand signifie donc faire évoluer tout le système ex absurdo vers le confédéralisme. La FGTB évolue d’elle-même d’ailleurs vers le confédéralisme en luttant contre la kamikaze. Elle le réalise aussi, même si elle n’ose pas encore mettre la Belgique explicitement en question. Cela viendra.


Nous verrons rapidement l’absurdité d’un gouvernement où la partie francophone obligatoire (et d’ailleurs surreprésentée) sera composée de sept ministres du même parti, un parti qui ne représente même pas 10 pour cent de la population belge.

On aurait pu tout aussi bien neutraliser d’autres éléments confédéralistes qui ne sont pas évidents ou même contre-intuitifs pour l’électeur flamand. Un gouvernement paritaire par exemple, ou les sonnettes d’alarme, ou l’excès de majorités particulières exigées, ou les bétonnages, ou le grand nombre d’autres parités et règlements spéciaux qui rendent le déficit démocratique dans cet état plus grand qu’ailleurs en Europe. La N-VA peut-elle se faire à l’idée des verrous, même si cela est le prix pour un gouvernement sans socialistes ?

Pourtant, il se pourrait qu’on assiste à un véritable changement de paradigme qui s’exprime surtout par le fait que les partis du gouvernement flamand « se présenteraient ensemble » sur le plan fédéral.

Mais la question n’est pas seulement de savoir s’ils se présentent, mais ce qu’ils vont présenter – et nous n’en savons rien. Il est clair que la N-VA désire gouverner. Mais gouverner pour faire quoi ? Assistera-t-on au même phénomène que partout ailleurs dans les démocraties européennes ? Un programme électoral, oui, mais pour ensuite simplement gouverner? Une fois qu’on est au pouvoir, on gouverne, et c’est tout (voir le PvdA aux Pays-Bas et Hollande en France). Pour accéder au pouvoir, la N-VA s’est déjà diluée homéopathiquement à plusieurs reprises : avant les élections (ledit virage Bracke), puis pendant les négociations pour le gouvernement flamand, et bien entendu plus tard durant les négociations pour le gouvernement fédéral. En homéopathie, on peut continuer à diluer, mais est-ce également le cas pour un parti politique ? On a vu ce que cela donne au sp.a.

C’est la raison pour laquelle j’ai tout de même quelques questions concrètes à poser à la N-VA.

1. Qu’en est-il des anciennes résolutions flamandes qui n’ont pas encore été réalisées telles que la fiscalité et la sécurité sociale régionales ?

2. Qu’en est-il des côtés sombres de cette sixième réforme de l’état ? Y aura-t-il une différence entre la réalisation de cette « sixième » réforme de l’état avec ou sans la N-VA et si oui, laquelle ?
3. Comment gérera-t-on les 26 accords de coopération ? Seront-ils tous à l’instar du triste exemple des arrangements pris pour le Jardin botanique de Meise ?

4. Qu’en est-il de la circonscription fédérale dont l’étude a été commandée par la sixième réforme de l’état ? La réponse reste-t-elle non ?

5. La Communauté urbaine appartient-elle à ces accords de coopération et la N-VA ne s’est-elle pas laissée tenter au cours de précédentes négociations à être ‘raisonnable ? Bref, est-il exact que la Flandre-en-Belgique reculera au point de rendre impossible des étapes à venir?

Si c’est le cas, nous connaissons déjà le scénario et le dénouement : tôt ou tard, la marmite flamande débordera à nouveau…

Jean-Pierre Rondas

La version en néerlandais non-abrégée est parue sur le site web de Knack.

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