© DIMITRI VAN ZEEBROECK

La N-VA court après le « big bang »

Le Vif

Le « tout à la Flandre » pour 2014 est à l’agenda de Geert Bourgeois. La N-VA croise les doigts. Mais pour dicter sa loi au pays en se rendant incontournable, il lui manque encore 10 % de voix, estime le politologue Bart Maddens. Pas gagné.

Il a réussi à semer la panique au village. A porter à ébullition une sphère politique et une bulle médiatique qui ne demandent qu’à découvrir la Lune. « Tout doit revenir à la Flandre : fiscalité, emploi, sécurité sociale… Tout. » L’indépendance, en somme ? Pas si vite.

Geert Bourgeois, en confiant ses états d’âme nationalistes à la presse flamande, n’emploie pas le terme qui fait frémir. « C’est tout comme », ont décodé au quart de tour tout ce que la N-VA compte d’adversaires politiques. En substance : bas les masques, la N-VA montre son vrai visage !

La dernière opération de charme menée par Bart De Wever au Cercle de Lorraine, devant un parterre d’hommes d’affaires francophones, début mars, n’était donc qu’un leurre. La « vraie vérité » est sortie dix jours plus tard de la bouche du cofondateur et figure clé du parti, Geert Bourgeois. Qui se verrait bien, personnellement, à la tête d’un gouvernement Bourgeois Ier en 2014.

Le monde politique de tous bords a tenu à commenter cette énième piqûre de rappel. « Il fallait en être » pour faire passer le message en boucle. Enfin, « on » sait ce que la N-VA veut ! Elle veut surtout faire parler d’elle. Rester le nombril de la politique belge. Aucune raison de changer une formule qui gagne.

Tenir en haleine en jouant sur les mots : la N-VA excelle au jeu. Confédéralisme version Bart De Wever, autonomie totale façon Geert Bourgeois : de l’art de brouiller les pistes, de souffler le chaud et le froid. Et d’alimenter d’épuisantes supputations sur la posture apparemment modérée de l’un, sur la ligne prétendument plus radicale de l’autre. Rien n’a manqué : ni le pseudo rappel à l’ordre d’un Geert Bourgeois « totalement surpris par le tintouin ». Ni l’intervention du « patron », Bart De Wever, pour calmer le jeu.

Mais trêve de gesticulations, la N-VA a un plan. L’itinéraire tracé ne passe plus par la Belgique. Non pas, rappelle encore Geert Bourgeois, qu’il s’agisse de couper tous les ponts avec les francophones. Au contraire : c’est avec eux que la Flandre, telle que la dessine la N-VA, entend cogérer le territoire bruxellois. Geert Bourgeois, et il n’est pas le seul N-VA dans ce cas, a des fourmis dans les jambes. Mai 2014, et sa triple échéance électorale (fédérale, régionale, européenne) serait à ses yeux un merveilleux point de chute.

Bart De Wever et ses troupes ont en tête leur rendez-vous avec l’Histoire. Et en poche, leur mode d’emploi. Simple sur papier : au lendemain du grand scrutin, il n’y aura plus de gouvernement fédéral avant que les francophones ne se soient pliés aux volontés d’une Flandre massivement gagnée aux sirènes nationalistes flamandes.

L’arme du blocage n’a rien de révolutionnaire. La N-VA recycle, à une puissance décuplée, « la doctrine Van Rompuy ». Celle que professait, en 2005 déjà, un certain Herman Van Rompuy, alors modeste député CD&V dans l’opposition : pas de gouvernement fédéral sans réforme de l’Etat. Essai manqué lors du psychodrame politique qui avait suivi le scrutin de 2007 : le CD&V a fini par plier devant la résistance francophone.

La N-VA ne fera pas ce cadeau. Premier parti du pays, au faîte de sa puissance politique en Flandre, les nationalistes flamands se jurent d’imposer en 2014 la recette Van Rompuy, mais dans une version autrement gratinée. Par une « révolte démocratique », le grand dessein de Bart De Wever.

En guise de bras armé : le parlement flamand, qui sortira des urnes en même temps que les autres assemblées parlementaires du pays en mai 2014. Les élus N-VA, avec les rescapés du Vlaams Belang, s’y voient devenir mathématiquement incontournables. En mesure dès lors de donner au Vlaams Parlement la légitimité démocratique pour qu’il fasse levier. Et brise le verrou francophone qui cadenasse le système belge.

Un franchissement du Rubicon à la sauce flamande qui gripperait les rouages de la machine institutionnelle belge. Jusqu’à ce que les francophones demandent grâce.

Ce plan V comme Vlaanderen, encore très fumeux sur bien des points, ne se commande pas d’un claquement de doigts. Inutile de compter sur les autres partis flamands pour se lancer dans pareille aventure. Vlaams Belang excepté, ce sera la N-VA seule contre tous. A elle d’obtenir les moyens de provoquer son « big bang » institutionnel. De les conquérir de haute lutte, dans les isoloirs, en mai 2014. Avec l’ambition d’atteindre en Flandre la masse critique indispensable pour prendre en otage le niveau de pouvoir fédéral.

Ce qui fait dire à Geert Bourgeois : « La N-VA doit être assez forte pour déterminer l’agenda. » Il veut y croire : les 40 % de voix que certains sondages attribuent à son parti lui font tourner la tête. Comme à bien d’autres nationalistes flamands. D’autres refusent de crier trop vite victoire. Bart Maddens est de ceux qui font la moue : en 2014, « l’avenir de la Belgique dépendra d’une simple addition : combien de sièges la N-VA et le Vlaams Belang obtiendront-ils au parlement flamand ? Si c’est au moins 61 sièges, aucune majorité ne pourra être formée sans la N-VA, à moins que les autres partis ne lient leur sort à l’unique élu francophone ».

Donc, 61 sièges sur 124, et tout pourrait basculer. Au lendemain du dernier scrutin provincial d’octobre 2012, le politologue de la KUL avait sorti sa calculette pour le compte du périodique flamingant Doorbraak. Verdict : N-VA et Vlaams Belang ont décroché 49 sièges aux provinciales. Trop court. « Le bilan n’est pas aussi positif que cela. La formation de Bart De Wever devra faire 10 % de mieux en 2014 ; 10 % de voix supplémentaires, qu’il faudra aller chercher du côté de l’Open VLD et du CD&V. » Pour que la force de frappe nationaliste soit au rendez-vous fixé par Geert Bourgeois.

Pierre Havaux

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