Thierry Fiorilli

La monarchie la plus bête du monde?

Thierry Fiorilli Journaliste

Comment la famille royale belge excelle dans l’art de provoquer la polémique. Et de creuser sa propre tombe.

On appelle ça le cercle vertueux. La théorie suggère qu’à l’intérieur de ce cercle, les pratiques confèrent leur validité aux projections et les projections confèrent leur validité aux pratiques. En langage sportif, on parle plutôt de « victoires qui appellent les victoires » : arrivé à un certain stade de réussite, parce que le calendrier des rencontres vous était favorable, parce que les phases litigieuses survenant aux moments les plus délicats du match ont tourné sans cesse à votre avantage, parce que la balle ou le ballon retombe décidément toujours du bon côté (le vôtre) de la ligne, parce que les adversaires montent sur le terrain en tremblant, ou à cran, ou avec un complexe d’infériorité, bref déjà battus avant que le duel commence. Et donc, sans plus vraiment le vouloir, sans presque n’avoir rien fait, sans être le meilleur, le plus fort, le plus malin, vous gagnez à tous les coups. Ce n’est pas qu’une question d’état d’esprit ou de baraka, ce n’est pas forgé pour l’éternité (les cycles passent, eux aussi, et on sait qu’après les périodes où tout vous arrive dans la main, tout cuit, du ciel ou d’ailleurs, arrivent celles où tout ira de travers, où il faut passer à la caisse, où les défaites n’appellent plus que d’autres revers ; c’est le cercle vicieux).

La N-VA, depuis quatre ans, a planté sa tente dans ce champ de forces positives (pour elle). Elle n’a plus besoin d’échafauder des plans pour remporter les batailles : l’ennemi se fait hara-kiri, et le parti nationaliste avance, conquérant, sans même plus guerroyer. L’affaire de la fondation Pereos, imaginée par la reine Fabiola, toute seule, dans son coin, si l’on en croit le Palais et le Premier ministre, Elio Di Rupo, en est le dernier exemple, concret, en date.

Quelle aubaine, encore, pour Bart De Wever et les siens ! En 1993, dans l’émotion (inattendue) déclenchée par le décès (inopiné) du roi Baudouin, le gouvernement Dehaene I (PS-SP-PSC-CVP) accorde une dotation à Fabiola – aujourd’hui équivalant à 1,4 million d’euros par an – sans que la reine, ou qui que ce soit d’autre de son entourage, n’ait à en justifier l’utilisation ! Depuis vingt ans, donc, et sachant que tous les partis « traditionnels », francophones et flamands, ont participé aux gouvernements qui se sont succédé sur ce long laps de temps, la pratique est restée inchangée. Aujourd’hui, le tollé qui entoure la découverte de Pereos, qui permettrait d’aider les neveux et nièces de Fabiola, sans payer de droits de succession – même sans avoir recours à l’argent non utilisé provenant de la dotation (et du contribuable belge, donc) – relance le débat sur la nécessité de réformer le système des dotations royales et princières.

Et se révèle du coup consister en pain bénit pour la N-VA. Un authentique strike, comme désigne, au bowling, la chute de toutes les quilles avec une seule boule : la reine manque du civisme le plus élémentaire et ne défend que les valeurs catholiques, le palais est désorganisé et mal informé des actes posés par ses propres membres, la monarchie belge est totalement coupée de son temps et des réalités de sa population, les partis traditionnels n’ont rien fait pour l’en empêcher et le sentiment majoritaire est qu’on a là une nouvelle preuve de gabegie de fonds publics, d’enrichissement des puissants, d’injustice sociale, d’assistanat de certains et cela sous couvert (comme lorsque le Roi pointe dans son discours « le populisme de certains » et qu’on a tôt fait de conclure qu’il vise le premier parti de Flandre) d’un Premier ministre francophone et socialiste. Wallon et socialiste. Ces deux causes, selon la N-VA, du dysfonctionnement belge, ces deux freins à l’émancipation économique de la Flandre, ces deux « gènes » définitivement nocifs pour l’organisme flamand.

Un organisme par ailleurs assez allergique à « la chose royale » depuis plus de soixante ans. C’est su, connu et reconnu de tous. Et voilà que nos têtes couronnées enchaînent couacs (Fabiola aujourd’hui, Laurent tant de fois, Philippe ponctuellement) et discours crispant la Flandre (Philippe sur le Vlaams Belang, Albert à Noël) et exigeant rectifications, interpellations, justifications, modifications, etc., etc. On finira par croire que soit la famille royale belge (encouragée par ses plus proches conseillers ?) le fait exprès, soit elle n’a rien compris à l’évolution de la société, singulièrement de celle qu’elle est censée représenter. Dans les deux cas, son attitude semble suicidaire.

Ce ne sont pas De Wever et les siens qui nous contrediront.

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