Olivier Mouton
La marque bleue
Les libéraux francophones imposent leurs vues, confirment leur assise au fédéral et reviennent au pouvoir en force en Wallonie. Une consécration qui n’est pas sans risques.
Pour ceux qui en doutaient encore, le MR est bel et bien devenu le nouveau parti dominant au sud du pays, bien qu’il n’ait pas été consacré première force politique wallonne et bruxelloise aux élections de mai 2014. A l’époque, le PS avait sauvé les meubles et préservé sa position de numéro un. Mais le MR, fort de sa progression en siège (6 de plus en Wallonie, 2 de plus au fédéral) avait crié victoire. Avant d’être « trahi » : le PS avait pris les devants en forçant des coalitions avec le CDH en Wallonie et à Bruxelles. Rageur, le MR se mariait avec la N-VA, en tant que seul parti francophone au fédéral. Sous les quolibets, du CDH notamment ! Mais avec la détermination de l’amoureux trop longtemps éconduit. C’est promis : un jour ou l’autre, il reviendrait dans les Régions aussi ! Ce jour de gloire pour le MR est arrivé.
Un peu plus de trois ans plus tard, après une succession de scandales qui ont laminé le PS, voilà le MR de retour au pouvoir en Wallonie, treize ans après l’avoir quitté. Il rejette, ce faisant, le PS dans l’opposition après trente ans de pouvoir ininterrompu : une rupture historique. Comme pour mieux sacraliser le moment à l’heure des réseaux sociaux omniprésents, les présidents Olivier Chastel (MR) et Benoît Lutgen (CDH) ont posté simultanément le mot « accord » sur Twitter, mardi en fin de matinée, au moment précis où il le concluait. Copyright Charles Michel : en juillet 2015, il avait été le premier à annoncer avec ce mot un accord sur la Grèce en plein Sommet européen. Dans la nuit de mercredi à jeudi, le Premier ministre parachevait d’ailleurs l’oeuvre libérale en déposant un nouvel « agreement » sur Twitter. La majorité fédérale a conclu un accord sur le budget, mais aussi sur une réforme de l’impôt des sociétés au profit des PME ainsi que des mesures nouvelles en matière d’épargne et d’emploi. Le message est clair : avec les libéraux au pouvoir, cela tourne dans ce pays…
Edgar P. Jacobs avait dessiné « La marque jaune », le MR s’emploie à imposer « La marque bleue ». Avec, en guise de Blake et Mortimer, un duo Michel-Borsus bien décidé à conquérir le pays comme ils avaient pris d’assaut leur propre parti voici six ans. Tout en rondeur. Et en se conciliant aujourd’hui le clan Reynders, d’autant plus facilement qu’il y a un grand nombre de postes à distribuer.
Alors, oui, la marque bleue est là. Elle entend déployer l’esprit d’entreprise dans tout le pays et donner des ailes à ceux qui osent ou à ceux qui se lèvent tôt pour travailler. Sans renier la référence à Nicolas Sarkozy dans le texte. Mais en mettant en avant aussi une fibre sociale – version libérale, quand même, n’exagérons rien. Le MR fait feu de tout bois : il obtient la rationalisation martelée depuis des années en Wallonie, récupère le bilan de Marcourt à l’Economie pour le dépasser, tissant une toile sloganesque de « jobs, jobs, jobs » de Bruxelles à Namur – et tant pis pour cette Région capitale qui refuse de succomber à ses charmes. Citoyens ,le grand soir bleu est à nos portes !
Il y a des nuances, tout de même… Tout d’abord, le MR n’est pas à l’abri d’un manque de rigueur et ose un renoncement majeur : le retour à l’équilibre budgétaire promis en 2018 est définitivement abandonné. Ensuite, le MR revient au pouvoir en Wallonie au moment où il ne s’y attendait pas, dans un contexte délétère en raison des affaires et avec un temps ridiculement court (deux petites années électorales) pour faire la différence : le cadeau du CDH pourrait, en réalité, être un cadeau empoisonné. La marque de fabrique de Charles Michel depuis 2011 et l’adoption de la sixième réforme de l’Etat consiste à dire que le MR doit prendre ses responsabilités dès qu’il le peut : cela paye, pour sauver le pays et pour faire grandir le parti. Mais cela risque aussi de nourrir le feu de forêt qui menace au sud du pays…
En Wallonie, la majorité MR-CDH est très courte et l’impulsion donnée par les deux partis vont finalement à l’encontre d’une majorité potentielle des électeurs. Si un électrochoc est sans doute salutaire pour sortir la Région du marasme, qu’en penseront tous ceux qui, dégoûtés, ont basculé dans leur tête vers le PTB en raison de drames sociaux (Arcelor, Caterpillar, Durobor…) et des scandales à répétition ? Ce virage à droite pourrait paradoxalement aggraver le fossé entre la politique et une population désillusionnée, qui risque d’exprimer sa colère en 2019. Au niveau belge, le MR fait le pari de dire qu’il faut soutenir l’activité pour créer des emplois et sauver la sécurité sociale. Un raisonnement qui tient et qui porte des fruits jusqu’ici. Mais une masse importante fustige les flexi-jobs, dénonce une société consumériste loin des souffrances du quotidien et de la fracture sociale qui ne cesse de s’aggraver. Quand elle ne dénonce pas une politique menée pour et par la Flandre. C’est d’ailleurs le raisonnement chéri par Bart De Wever. Le patron de la N-VA n’est peut-être pas sympathique, mais il a un sens redoutable de la politique : en menant des réformes très libérales, espère-t-il, on poussera la Wallonie à crier « grâce » et à réclamer elle-même une septième réforme de l’Etat.
Benoît Lutgen avait osé un fameux coup de poker le 19 juin dernier en tirant le prise des majorités régionales. Il a partiellement réussi son pari, mardi, en laissant toutefois libre champ au MR qui empoche la majeure partie des compétences socio-économiques et de gouvernance. Et en laissant pour l’instant la Fédération Wallonie-Bruxelles dans l’incertitude, tout en faisant de la Région bruxelloise un îlot fragile. Charles Michel avait pris un risque majeur en imposant une suédoise fédérale au sein de laquelle les francophones étaient largement sous-représentés. Voilà les deux hommes – Michel et Lutgen – réconciliés. Voilà la Belgique et la Wallonie placées sous le même signe d’un espoir bleu. Les deux années qui viennent seront décisives pour convaincre les électeurs francophones qu’il s’agit du bon choix. Un délai court et un risque majeur. Car faute de cela, 2019 promet une marée rouge, des records d’abstention et, dans la foulée, un pays qui ne saura plus à quel saint se vouer.
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