Elio Di Rupo serait-il prêt à faire du pied à Joëlle Milquet ? Pas exclu. © BELGAIMAGE

La main tendue du PS aux cathos de gauche

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Elio Di Rupo va-t-il rejouer le coup de « l’appel aux progressistes » de Léo Collard ? Attirer les déçus du CDH est en tout cas, pour le PS, un objectif pas encore officiellement déclaré mais presque. Et certains humanistes semblent proches de la défection…

Le bourgmestre de Mons est tracassé. Tracassé, car il est également président du Parti socialiste, et que sa formation n’affiche pas la meilleure santé. Tracassé parce qu’à sa gauche, de petites formations attirent toujours plus une jeunesse que son socialisme gestionnaire peine à faire rêver. Et tracassé parce que les liens avec la FGTB sont toujours plus compliqués.

Alors, le bourgmestre de Mons et président du Parti socialiste a une petite idée. Il se dit que dans le monde chrétien, la solidarité catholique n’est plus ce qu’elle était, et que la gauche, celle de la CSC, du MOC et des mutuelles, ne paraît plus aussi fermement accrochée à un parti qui se droitise. C’est ainsi que le président montois du PS se décide à lancer un appel à ces progressistes-là, à ceux que l’anticléricalisme socialiste jusqu’à présent rebutait, pour rassembler la gauche de gouvernement. L’air est connu, non ? Oui, et la chanson se fredonne de nouveau au Boulevard de l’Empereur. De nouveau car ce président d’un PS en questionnement, ce bourgmestre d’une ville de Mons en redéploiement, ce n’est pas Elio Di Rupo en 2017. C’est Léo Collard, en 1969. Le 1er mai, précisément, jour qu’il choisit pour appeler au  » rassemblement des progressistes « .

Benoît Lutgen et Alda Greoli ont montré de puissants signes de droitisation, qui ont déstabilisé plus d'un humaniste.
Benoît Lutgen et Alda Greoli ont montré de puissants signes de droitisation, qui ont déstabilisé plus d’un humaniste.© PHOTO NEWS

Le Montois d’aujourd’hui se verrait-il enfiler les pantoufles de son prédécesseur, alors que son parti est aux abois, et que, depuis le 19 juin dernier et depuis l’installation du nouveau gouvernement wallon, le CDH montre de puissants signes de droitisation ? Les propos de Benoît Lutgen puis d’Alda Greoli – pourtant issue des mutualités chrétiennes, et cabinettarde chez Laurette Onkelinx – sur l’assistanat, puis l’absence de contestation humaniste de ceux du partenaire Pierre-Yves Jeholet sur le chômage comme rente et la culture de l’excuse, n’ont pas seulement inquiété les cathos de gauche, dans et hors CDH. Ils les ont traumatisés.

Il y a une ouverture, dans laquelle tout le PS s’engouffre

Il y a donc une ouverture, dans laquelle tout le PS s’engouffre, pas encore trop explicitement, mais résolument. Le Vif/L’Express, au début de cet été, a déjà évoqué les envies de Paul Magnette de s’affranchir un peu, beaucoup, voire passionnément, de son parti, pour constituer un mouvement fédérant diverses sensibilités de gauche. Il n’en parle plus trop : le bourgmestre de Charleroi est rentré dans le rang. Mais celui de Tournai, Rudy Demotte, a fait fort, mercredi 30 août, sur La Première, évoquant les sorties humanistes contre  » l’assistanat  » wallon, et posant sa formation en recours.  » Tous ceux qui sont progressistes aujourd’hui sont blessés par ce type de propos ; des amis du Mouvement ouvrier chrétien et de la CSC sont désorientés. Le Parti socialiste offre une alternative à ces gens, je leur fais un appel. Nous sommes capables d’être une force qui reconcentre tout ce qu’il y a de progressiste au sud du pays. Je n’appelle pas à la débauche du CDH. Je dis qu’il y a des valeurs de gauche qui sont oubliées aujourd’hui par cette formation centriste, mais nous, les socialistes, les incarnons.  » Et celui de Mons ? Elio Di Rupo, se montre plus mesuré – pas question, peut-être pas encore, d’un appel formel -, mais au fond pas moins clair.  » Le seul avantage à retenir de toute la mascarade de monsieur Lutgen, c’est qu’aujourd’hui, la situation politique est clarifiée. Benoît Lutgen et le CDH ont basculé à droite. Aux gens de gauche et aux progressistes, je dis qu’il y a une alternative aux politiques de droite. Cette alternative, c’est le PS ! J’invite chacun à prendre connaissance de nos propositions en se rendant sur le site du Chantier des idées.  »

Philippe Maystadt aspire à une
Philippe Maystadt aspire à une « alternative politique ».© ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

Un malaise évident

Car en effet,  » des gens de gauche « , il y en a encore, au CDH et dans les anciennes organisations soeurs du pilier chrétien. Au sein du parti humaniste, leur position est plus marginale, et plus amère, que jamais. On sait le malaise qu’éprouve Joëlle Milquet, dont un proche rapporte toute la déception.  » Je n’exclurais pas qu’Elio Di Rupo fasse une offre à Joëlle Milquet. Surtout si on continue à lui mener la vie dure en interne… « , explique-t-il. Un autre, Bruxellois, embraie :  » Les seuls messages de soutien lui sont venus des autres partis, et du PS en particulier… « , s’énerve-t-il, redevable à Elio Di Rupo de l’avoir, jeudi 31 août sur la RTBF, qualifiée de  » femme d’Etat « . On a lu dans L’Avenir, fin juillet, le député européen Claude Rolin se dire  » pas heureux de ce qui se passait en Wallonie « . Et on a lu, fin août, Philippe Maystadt cosigner avec Joëlle Milquet, dans Le Soir, une carte blanche appelant à la continuité du fonctionnement des institutions et de ne pas ajouter du chaos à la crise. Le même Philippe Maystadt déclarait déjà, début juillet, à nos mêmes collègues du Soir, aspirer à  » une alternative politique « .  » Je rêve d’une force sociale-démocrate qui regrouperait la partie moderne et non corrompue du PS, la partie progressiste du CDH et de DéFI et la partie raisonnable d’Ecolo.  » Milquet, Maystadt, Rolin sont et restent trois figures nationales de la gauche du CDH. Leur désabusement est patent.

Claude Rolin,
Claude Rolin,  » pas heureux de ce qui se passe en Wallonie « .© DIRK WAEM/BELGAIMAGE

Celui d’autres personnalités plus discrètes également.  » Les militants et les adhérents du CDH, dont je suis, n’ont pas été tenus au courant de l’initiative de Benoît Lutgen. Et c’est clair qu’on se pose des questions. Pour un syndicaliste comme moi, ça n’a jamais été simple, mais là, ça se complique sérieusement. Pour l’instant en tout cas, je ne m’y retrouve pas, je ne m’y retrouve plus du tout, et c’est peu de le dire ! Considérer que les travailleurs de Caterpillar, par exemple, sont des assistés ou des rentiers, est dégoûtant et dégradant. Je suis écartelé, et je pense, à moins d’une clarification rapide des dirigeants de mon parti, que je ne tiendrai pas le coup longtemps… « , souffle ainsi le Carolorégien Jean-Marie Hoslet, secrétaire de la CSC-Metea pour le Hainaut, encarté au CDH depuis la fondation du parti, et candidat aux communales de 2012 sous la bannière humaniste. Le bourgmestre de Jette, Hervé Doyen, avait lui, dès le mois de juin, affiché sa circonspection devant l’appel de Benoît Lutgen à des majorités sans les socialistes. Circonspect, il le reste. Mais se méfie de la main tendue des socialistes.  » On ne vit pas nos meilleures heures, mais ça fait partie du débat interne « , lâche-t-il.  » J’ai du mal avec l’idée même que l’on puisse penser qu’Alda Greoli et Pierre-Yves Jeholet soient sur la même ligne. Pourtant, on le peut… A 60 ans, j’ai connu une époque où la démocratie chrétienne tenait des positions plus affirmées. C’est de bonne guerre quand une formation comme le PS, labellisée à gauche, observe une droitisation de son partenaire centriste.  » Il rappelle que  » le CDH, ce n’est pas que des gens de droite et du centre-droit… Mais on n’a jamais vu un appel venu de ténors du PS se solder par un débauchage massif.  »

Cinq gauches distinctes ?

Jean-Marie Hoslet (CSC) :
Jean-Marie Hoslet (CSC) : « Le risque, c’est qu’on se retrouve avec quatre ou cinq gauches. »© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

A ce malaise dans le parti s’ajoute celui, croissant, des structures, formellement indépendantes, mais historiquement cousines, du Mouvement ouvrier chrétien.  » Nous travaillons, depuis le début des années 2000, sur un même pied avec le PS, avec Ecolo et avec le CDH. Autant nous avons pu attaquer le gouvernement fédéral d’Elio Di Rupo, auquel participaient tant les socialistes que les humanistes, autant nous dénoncerons les décisions du nouveau gouvernement wallon. A cet égard, les sorties sur l’assistanat et sur la rente ne nous rassurent pas du tout… « , pose Fabrice Eeklaer, actuel secrétaire fédéral du MOC Charleroi-Thuin et futur – c’est pour novembre – patron de la CSC carolorégienne.

C’est dit : aux Deux-Eglises et dans leurs parages s’étrangle la sénestre. Et elle se laisserait bien tenter par une aventure nouvelle, par cette  » force sociale-démocrate  » qu’évoquait Philippe Maystadt.  » Tout le monde rêve de ce parti-là ! « , tonne ainsi Jean-Marie Hoslet.  » Mais le risque, c’est que puisque chacun en rêve dans son coin, on se retrouve avec quatre ou cinq gauches distinctes. Il faut attendre de voir comment les choses évoluent et ne pas agir précipitamment : quand un navire coule, il ne sert à rien de se ruer sur la première chaloupe. Il faut monter dans celle qui a le plus de chances de tenir le coup…  » Or, celle qui semble, pour l’instant, en position de mieux tenir le coup, c’est la socialiste. Même si la chaloupe prend tant l’eau qu’on voudrait voir ce radeau peint par Géricault (contrairement à celui de la Méduse toutefois, aucun cas de cannibalisme n’a encore été signalé au Parti socialiste). Ce putatif capitanat socialiste tiédit l’enthousiasme d’Hervé Doyen :  » Il y a dans les trois partis une attente forte de réaffirmation de valeurs qui ne seraient ni extrêmes, ni complaisantes. Mais moi, j’ai un peu passé l’âge : c’est aux nouvelles générations de trouver cette troisième voie que nous n’avons jamais pu trouver « , clame-t-il, tandis qu’une pointure démocrate-chrétienne nous confie, sous couvert d’anonymat,  » qu’il pourrait y avoir un problème avec l’identité de celui qui lance cet appel : Elio Di Rupo, à tort ou à raison, est en perte de crédibilité. Le seul qui me semblerait légitime est Magnette. Mais le veut-il ? J’en doute. Et puis Lutgen va maintenant tout faire pour resserrer les rangs dans son parti. Il n’est pas fou…  » Le président humaniste, en effet, a passé ces dernières semaines à recevoir les réticents, à rassurer les velléitaires, et à faire des promesses aux vindicatifs.  » C’est tout juste s’il ne m’a pas promis un ministère… « , chuchote un autre anonyme. Il doit savoir, pourtant, que la tentative de Léo Collard s’était conclue par un échec. Et il saurait que l’histoire se répète toujours, la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce, si les cathos de gauche avaient lu Karl Marx. Mais peut-être n’a-t-il pas envie d’arrêter de rêver.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire