La Liste Dedecker, ou la difficulté de durer

Malgré de sérieuses bisbrouilles internes, Jean-Marie Dedecker s’apprête à être reconduit à la présidence de la LDD. Mais l’avenir du parti libéral populiste qu’il a fondé paraît sombre.

L’Audi noire immatriculée P90 s’immobilise. Un homme au sourire vorace en sort: Jean-Marie Dedecker, président de la Lijst Dedecker (LDD), parti libéral populiste créé par lui et pour lui. Il a rendez-vous au Topsporthal Vlaanderen, le centre pour élites sportives bâti à Gand par la Région flamande.

Comme chaque lundi matin depuis quatre ans, l’ex-entraîneur de judo doit y enregistrer une émission d’actualité sportive pour Actua TV. Installé en haut des gradins, surplombant la piste d’athlétisme, l’ancienne vedette du judo noir-jaune-rouge est dans son élément. A peine aperçoit-il la jeune sportive qui vient de se fouler la cheville qu’il offre ses services: « Un massage? ».

Pas le temps, hélas. L’émission débute. Les malheurs du foot belge, la seconde place de Boonen à Milan-San Remo, l’échec du boxeur anversois Sugar Jackson… Tous les événements du week-end sont passés à la moulinette Dedecker. Le député fustige la « nonchalance » des joueurs du Standard, des « dikke nekken » au comportement « indigne ». Le reste est de la même eau.

Stef Goris, l’outsider

L’émission mise en boîte, Jean-Marie Dedecker file vers le siège de la LDD, installéà Ledeberg, en périphérie gantoise. Le bureau du parti de ce 22 mars revêt un caractère particulier: il précède de quatre jours les élections pour la présidence. Un tournant dans la courte vie du parti, fondé en 2007.

Présenté un temps comme politiquement mort, Dedecker a (provisoirement?) réussi son pari insensé: sa formation totalise huit députés flamands, cinq députés fédéraux, un député européen et une sénatrice. Pas question de lâcher la présidence de la LDD, son bébé. Face à lui, trois candidats sont sortis du bois, dont un sérieux outsider, Stef Goris, actuel vice-président du parti, ex-député fédéral VLD.

« Quoi qu’il arrive, Jean-Marie restera notre chef de file », précise Goris. « Il nous représente à la Chambre, il écrit des livres, il participe aux débats télévisés. Mais, à côté de ça, il y a un parti à gérer. Un parti jeune et fragile. Cela exige de s’y consacrer à temps plein. »

Un autre candidat est sorti du bois, quelques jours avant ces élections. Il s’agit de Chris Dobbelaere, qui n’hésite pas à enfoncer un coin dans la réputation du président actuel, l’accusant de s’être octroyé des émoluments de 55.000 euros en plus de son traitement de parlementaire. L’homme prévient d’emblée qu’il ne voit pas là matière à un reproche d’ordre juridique. Simplement, il regrette « voir revenir cette culture du chapardage que la Lijst Dedecker se plaisait pourtant à dénoncer ».

Midi trente. Les personnalités clés de la Lijst Dedecker, réunies autour des tables disposées en U, débriefent l’actualité politique de la semaine écoulée. La sortie de la présidente du CD&V, Marianne Thyssen, au sujet de l’âge du départ à la retraite, est abondamment commentée. La sénatrice Lieve Van Ermen attire l’attention de ses collègues sur les vertus du modèle suédois. « La Suède, c’est le pays socialiste par excellence. La pression fiscale y est insupportable », coupe Dedecker.

Résoudre les problèmes « de façon dictatoriale »

Le bureau doit aussi statuer sur la mise sur pied d’un organe déontologique interne au parti, le Conseil du bon sens (sic). Pas simple. De brouhaha en invectives, le débat s’enlise. « Du calme, collega’s! », s’époumone Stef Goris. Rien n’y fait: l’ex-championne olympique de judo Ulla Werbrouck, qui a suivi son mentor en politique, quitte la pièce en claquant la porte. Pendant que ses ouailles s’étripent, Jean-Marie Dedecker se plonge, impassible, dans la lecture d’un ouvrage sur la sécurité sociale. Avant d’intervenir, goguenard: « Je vais résoudre ce problème d’une façon dictatoriale ».

L’homme possède de l’esprit, des convictions et du charisme. Suffisant pour pérenniser l’existence de tout un parti? Kris Deschouwer, politologue à la Vrije Universiteit Brussel, en doute. « La survie de la Lijst Dedecker me paraît très précaire. Elle dépend exclusivement de la popularité d’un seul homme. Et la popularité, c’est très volatil… La LDD ne s’appuie pas sur des structures solides, contrairement au Vlaams Belang et à la N-VA, qui disposent de militants, de sections locales, de toute une organisation au service du parti. Il suffirait que la popularité de Jean-Marie Dedecker décline pour que tout l’édifice s’écroule. »

Soucieux de ne pas se résumer à un seul homme, le parti changera de nom dans la foulée des élections fédérales de 2011. « Les initiales LDD devraient subsister, seule leur signification changera », indique Jean-Marie Dedecker. « Pourquoi pas Liste pour la démocratie directe? » A condition, bien sûr, que le parti survive jusque-là.

François Brabant

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