Tom Vandyck

La guerre des drones d’Obama dépasse les limites

Tom Vandyck Tom Vandyck est journaliste et correspondant aux États-Unis pour le Knack.be

Barack Obama ressemble de plus en plus à George W. Bush. Des centaines de personnes suspectées de terrorisme sont liquidées en secret par des avions sans pilote. Le tout sans contrôle démocratique.

Les drones auraient causé 4500 morts, parmi lesquels des centaines de femmes, d’enfants et de civils. Selon le Bureau for Investigative Journalism, une asbl journalistique basée à Londres, c’est en effet le nombre de victimes qu’aurait entraînées la guerre des drones menée par le président des États-Unis Barack Obama contre Al-Qaeda et consorts.

Il n’est guère étonnant que ce chiffre surprenne puisque la guerre des drones est en grande partie invisible. Un avion sans pilote, qui d’une hauteur de quelques milliers de mètres, parfaitement invisible et inaudible, achève un suspect au Pakistan ou au Yémen est beaucoup plus discret que le grondement des troupes au sol.

Une telle discrétion ne rend pas le problème moins grave. Pire : la façon dont Obama justifie ce genre de pratiques à coup de notes juridiques secrètes diffère à peine du traitement de la torture sous le gouvernement de George W. Bush. Dans un cas comme dans l’autre, une armada d’avocats trouve des parades secrètes pour rendre tout cela légal.

Menace imminente

Il est vrai que la situation est complexe. Il ne s’agit pas d’une guerre à l’ancienne entre des nations qui s’opposent sur un front bien défini, mais d’un conflit chaotique entre une superpuissance paranoïaque et une bande de fanatiques barbus qui semble être resté coincé au moyen-âge. Et s’il faut vraiment parler de Bush, il est vrai qu’il vaut mieux utiliser des attaques de drones plus ou moins chirurgicales que de se lancer dans des guerres contre un pays qui n’avait affiché aucune intention belliqueuse contre lesEtats-Unis, mais où ils s’embourbent tout de même durant des années et où des centaines de milliards de dollars sont dépensés en vain. Pour s’en convaincre, il suffirait de demander aux Irakiens ce qu’ils en pensent. Cela ne dédouane pourtant en rien la politique d’Obama.

Prenez la note secrète du ministère américain de la Justice qui a été rendue publique cette semaine par la chaîne de télévision NBC. Celle-ci explique dans quelles circonstances les États-Unis peuvent tuer leurs propres citoyens dans la guerre contre le terrorisme. Pour cela il suffit qu’un haut fonctionnaire du gouvernement américain décide que le suspect est un personnage important membre d’Al-Qaeda ou de groupes similaires. Qui est le haut fonctionnaire ? Le président ? Quelqu’un d’autre ? Cette personne décide-t-elle seule? Rien n’est précisé. Et comment savoir si quelqu’un est un cacique d’Al-Qaeda? A-t-il une carte de membre? Là aussi le doute est permis.

Selon la même note secrète, le suspect en question doit constituer une menace imminente pour les États-Unis. Mais que sous-entend-on exactement par menace imminente ? D’après la note, il n’est même pas nécessaire qu’un suspect soit activement impliqué dans un acte terroriste concret, prêt à être commis. C’est donc le plus grand flou qui règne autour de cette note et cela ressemble à s’y méprendre à un chèque signé en blanc.

Preuves

Le débat sur le meurtre de citoyens américains fut lancé par le meurtre du prédicateur musulman controversé Anwar Al-Awlaki, tué en 2011 au Yémen par une attaque de drone. Né à San Diego, il bénéficiait donc de la nationalité américaine. Il serait impliqué dans plusieurs attaques terroristes. Une fusillade sur la base militaire de Ford Hood au Texas en 2009 – où le psychologue militaire Nidal Malik Hasan a tué treize personnes- , dans l’attentat manqué du jeune Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab – celui-là même qui a tenté de faire sauter un avion américain avec une bombe dans son slip- , mais aussi dans un attentat manqué à la voiture piégée à New York en 2010.

Pas besoin de jouer les saintes nitouches. Si toutes ces accusations sont vraies, on peut comprendre pourquoi on souhaite liquider ce genre d’homme avant qu’il ne réussisse ses projets. Qu’on élimine Oussama Ben Laden ou d’autres pontes d’Al-Qaeda pourrait aussi susciter une certaine empathie. Mais que l’on tue 4500 personnes? Cela semble pour le moins excessif. À moins que l’on dispose de véritables preuves démontrant que cela représente l’unique manière d’empêcher des actes terroristes. Et c’est là que le bât blesse. Puisque de preuve, on n’en a jamais vu.

« Faites-nous confiance »

Même si les lois du genre prônent une certaine discrétion sur qui vous allez liquider et surtout où et quand vous allez le faire, cela ne devrait nullement empêcher le gouvernement de rendre publique ce genre d’actions et de dire a posteriori qui a été victime de ce genre d’attaque et pourquoi. C’est la seule façon d’éviter les excès et de les corriger si nécessaire. On appelle ça le contrôle démocratique. Mais celui-ci ne semble pas de mise aux États-Unis. Peut-être qu’un argumentaire sera développé dans les prochaines semaines pour nous expliquer sur quelle base juridique se base cette guerre des drones. On saura peut-être aussi sur quelle base juridique le gouvernement américain a édifié sa guerre de drones. Mais pour l’instant le seul message de l’administration Obama est le suivant : « faites-nous confiance, parce que nous sommes les « bons ». Ce qui est pour le moins léger.

Les drones sont partout

Si les États-Unis s’octroient ce droit, qu’est-ce qui empêche d’autres pays de faire la même chose ? Contrairement à ce qu’on peut croire, les drones ne sont plus des armes futuristes et ils se démocratisent. Actuellement, une dizaine de pays utilisent les drones. Imaginez ce qu’il se passerait s’ils se mettaient tous à liquider leurs « ennemis » en territoire étranger. Les États-Unis ne disposeraient même plus du pouvoir moral pour endiguer ce genre d’attaque. Et cela pose surtout cette même et récurrente question : est-ce que ce que ce genre d’attaque n’augmente-t-il pas le nombre de terroristes à éliminer ? Le fait de bombarder le Pakistan par des drones ne fait qu’exciter le ressentiment de la population envers les États-Unis. Et encourager de possibles attaques terroristes en retour.

Tueur sans pitié

Bref, ceux qui prenaient Obama pour une blanche colombe en sont pour leurs frais. Quand il le faut, il peut se transformer en tueur sans pitié. On pense à la traque contre Oussama Ben Laden mais aussi au détournement du cargo Maersk Alabama par des pirates somaliens en 2009. Obama avait envoyé ses forces spéciales pour délivrer le capitaine Richard Philips en pleine mer. Toutes des opérations qui auraient pu facilement mal tourner en raison des aléas liés à ce genre d’opération et qui auraient aussi pu lui coûter cher.

Un président démocratique qui commande des opérations militaires osées n’est pas sans rappeler un certain Jimmy Carter. Une comparaison qui n’effraye pourtant à Obama. Le président garde la tête froide, calcule et dégaine. Malgré les nombreuses remarques qu’elle suscite, la guerre de drones d’Obama ne comprend que peu de risques politiques. Si à Washington il y a bien quelques voix qui s’élèvent pour dénoncer ce genre de pratiques, les républicains ne disent jamais non à une intervention militaire musclée et les démocrates ne lâcheront jamais totalement leur président.

Et c’est là où réside l’autre problème: pour un contrôle démocratique, il faut un parlement qui ose montrer les crocs. Et dans les affaires de sécurité nationale, depuis le 11 septembre, on est plutôt du côté des agneaux lorsqu’il s’agit de mettre son veto.

Tom Vandyck / Trad CB

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