Gérald Papy

La France désemparée

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Du culot. S’il y a une vertu que l’on ne peut nier à Nicolas Sarkozy, c’est bien celle-là. Du culot, du toupet, de l’audace, le président français sortant n’en manque assurément pas. Rien ne l’arrête et certainement pas les procès en incohérence.

Président bling-bling en 2007, il s’affiche aujourd’hui en président du peuple. A la tête de la République depuis cinq ans après en avoir été le ministre de l’Intérieur pendant près de quatre, il déclare aujourd’hui vouloir parler « aux sans-grade, aux ruraux, aux petits retraités », que l’échec de sa politique de sécurité et d’immigration aurait pourtant jeté dans les bras du Front national.

Les 18 % de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle ont provoqué un coup de semonce dans la classe politique française. La course aux voix des électeurs frontistes est lancée. Et d’ici au 6 mai, tout sera permis pour en glaner la plus grande proportion. L’Institut de sondages Ipsos évaluait au soir du premier tour le report de voix du FN à 60 % en faveur de Nicolas Sarkozy et à 18 % au profit de François Hollande. Délaissant le tiers des électeurs du candidat centriste François Bayrou promis à Nicolas Sarkozy au risque même de les en détourner, la droite présidentielle a décidé de placer toute son énergie dans une foire aux promesses dont, comme le rappelait Marine Le Pen, « les Français ont été gavés » ces cinq dernières années.

Au vu de ses premières déclarations d’entre-deux tours, François Hollande a décidé, lui, de privilégier une réponse économique et sociale au désarroi supposé des électeurs de l’extrême droite. Stratégiquement, ce n’est pas nécessairement un mauvais calcul sachant que le chômage, la désindustrialisation ou les délocalisations sont, dans l’Europe de la Merkozy, autant de préoccupations prioritaires de la « France d’en bas ». Que Marine Le Pen recueille le plus de votes dans la classe ouvrière (29 % contre 28 % à François Hollande) interpelle, il est vrai, une gauche plus « caviar » que de combat ces dernières années. Mais en réduisant ses propositions au seul domaine socio-économique, François Hollande n’arrive pas à dissiper et, au contraire, entretient le malaise que semble continuer à éprouver la gauche dès qu’il s’agit d’aborder de front les questions de sécurité et d’immigration. « On le voit bien à travers l’inexorable montée du Front national depuis trente ans, cette cécité nous empêche de combattre efficacement la bête ; en la discréditant uniquement par principe, on néglige de la combattre par l’argumentation », assénait récemment à l’adresse de ses amis de gauche l’essayiste Julien Wagner ( La République aveugle, éd. de l’Aube).

Que faire avec l’avertissement des électeurs du Front national auquel répondent les percées d’autres mouvements populistes ou d’extrême droite en Europe ? Les commentateurs ont lourdement insisté depuis dimanche soir sur le caractère inédit par son ampleur du vote en faveur de Marine Le Pen (qui plus est, au vu du taux élevé de participation). Mais c’est pourtant une évidence que le Front national est installé sur l’échiquier politique français depuis des années et qu’il y est de plus en plus enraciné. Ce n’est donc pas dans l’effervescence d’un entre-deux tours d’une élection présidentielle que les candidats à la magistrature suprême d’un grand pays européen répondront à ce défi mais dans une oeuvre de longue haleine, qui n’a que trop tardé, intégrant l’ensemble de ses dimensions, sans angélisme mais non sans humanisme.

GÉRALD PAPY

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