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La Flandre ne veut plus que son argent file au sud

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Samedi, réuni en colloque, le mouvement flamand a sonné une nouvelle charge furieuse contre les milliards d’euros dont est privée chaque année la Flandre pour soulager une Wallonie impécunieuse. Les élus N-VA présents n’ont pas bronché.

Les oreilles des Wallons ont à nouveau sifflé sous les voûtes du Parlement flamand. Samedi matin, le temps d’un colloque réunissant le gratin flamingant à l’initiative du Vlaamse Volksbeweging, les compteurs manipulés par les experts se sont une fois de plus affolés. Le sud du pays continue de se shooter à l’argent flamand. Budget fédéral, loi spéciale de financement, sécurité sociale ou charges d’intérêts sur la dette publique : les canaux d’irrigation qui abreuvent la Wallonie et/ou Bruxelles depuis la Flandre sont multiples. Ce qui complique l’estimation exacte de ces flux financiers. Samedi, on a donc jonglé avec les milliards : 6, 8, 12, 14 ?

Une certitude : ces masses d’argent sont à sens unique, du nord vers le sud. Et tout ce que la Flandre compte d’autonomistes ou d’indépendantistes enrage de ne pouvoir mettre fin à ce manège. Ceux-là pleurent sur tous ces milliards qui filent vers un sud du pays aux poches éternellement trouées. Invité à planter le décor de la journée d’études, un ancien journaliste à la VRT, Wilfried Haesen, sait y faire pour décupler les regrets et remuer les tripes de l’assistance :  » 50.000 logements sociaux pourraient être construits ; nous pourrions sans problème soutenir la culture, le sport, les mouvements de jeunesse, aménager des dizaines de kilomètres de pistes cyclables, réaliser deux Oosterweel ! » (NDLR : le mégaprojet de bouclage du ring d’Anvers).

Derrière la cruelle vérité des chiffres, appuie l’orateur, se jouent des drames humains: ainsi ces handicapés lourds ou cette jeune autiste de 14 ans, en attente d’une prise en charge que la Flandre ne peut leur assurer, par manque de moyens financiers. « Ces listes d’attente sont le scandale de la Flandre ! »

Avis à ceux qui, en face, « encaissent l’argent avec le sourire » : le mouvement flamand ne veut plus tolérer ce puits sans fond que creuse sans cesse le sud du pays et qui affecte le bien-être du nord. Il fait de la mise à l’agenda politique de ces transferts financiers nord-sud une question de principe. Un devoir moral. Pas de malentendu : il n’est en rien guidé par un réflexe égoïste.

A ce propos, une spécialiste en sciences morales, Madga Michielsens, se charge de rassurer une assemblée qui, à dire vrai, n’en a pas vraiment besoin. Rien de tel pour cela qu’une petite leçon sur la notion même de « solidarité », au coeur de ces transferts financiers mis en cause.

D’emblée, les paroles de Jésus s’affichent sur grand écran : le fils de Dieu n’a-t-il pas dit « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ? Soit, mais cela compte-t-il quand ce prochain est wallon et de mauvaise composition? La salle écoute religieusement la spécialiste en pleine séance de déculpabilisation: « le terme « solidarité » est le levier par lequel un discours financier-économique est converti en un discours moral » et sert ainsi de prétexte pour imposer le silence sur cette question.

Et l’oratrice de poursuivre sa démonstration : les francophones, leurs médias en particulier, ont su exploiter le filon puisque celui qui n’est pas solidaire est mauvais dans le discours dominant. L’affreux de service sera donc flamand, sur les plateaux des débats politiques dominicaux de la RTBF et de RTL que Magda Michielsens a passés aux scanner « Les francophones se désolidarisent de la Flandre mais veulent la solidarité de cette Flandre démonisée, tandis que les responsabilités francophones restent hors d’atteinte. »

Ce n’est pas un motif pour perdre espoir, conclut-elle : depuis la grande crise de 2010-2011, ce discours médiatique francophone abandonne les stéréotypes pour en faire l’objet de blagues, et « la Flandre n’est plus vue comme un bloc, tout comme les francophones non plus. » Comme quoi, « si le gouvernement fédéral sans le PS est une réforme de l’Etat en soi, avec le MR, il est une réforme médiatique en soi. » Gare cependant au retour de l’angoisse en 2019, année de rendez-vous électoral, prévient la philosophe.

Solidaire, oui. Mais il y a donc des limites. Et ces bornes sont manifestement dépassées par le sud. En somme, la Wallonie endette continuellement la Belgique et c’est la Flandre qui passe à la caisse à tous les coups. Cette spirale infernale est à casser sans tarder au nom de ce raisonnement limpide rappelé en préambule du colloque, qui trotte dans toutes les têtes des indépendantistes : « En finir avec les transferts, c’est ôter à la Belgique toute raison d’exister. ». Et si scinder la dette belge ne sera pas forcément une promenade de santé, l’opération serait techniquement jouable voire « même assez simple », de l’aveu d’experts sondés à ce sujet.

Tout est donc question de volonté politique. Elle ne saute pas aux yeux, par les temps qui courent. Le Vlaamse Volksbeweging a la dent dure, dans le communiqué qui justifiait l’organisation de la matinée d’études : « Le frigo communautaire de Michel I (par la grâce de nationalistes flamands !) prouve paradoxalement que l’argent flamand est le ciment du royaume. »

Pas d’attaque frontale en direction de la N-VA mais un lourd reproche à peine voilé, à l’heure des conclusions politiques du colloque tirées par le président du VVB Bart De Valck. « La solidarité est une question de souveraineté. C’est pourquoi la Flandre doit devenir souveraine. » Rehaussant l’événement de leur présence, deux ténors N-VA ne bronchent pas : Hendrik Vuye, chef de groupe à la Chambre, et le député fédéral Peter De Roover, ex-leader du VVB, restent muets comme des carpes mais sourire aux lèvres. Ce n’était ni le lieu ni le moment de se manifester bruyamment.

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