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La Flandre enfonce un coin dans les facilités

Il faut vraiment rester attentif tout le temps : c’est en effet presque par hasard que les gouvernements wallon et de la Communauté française ont appris que la Flandre s’apprêtait à adopter un décret modifiant les lois linguistiques sur son sol, et donc aussi dans les communes à facilités…

Tout part d’un cas particulier. Une personne de nationalité étrangère, ressortissante d’un pays de l’Union européenne, est candidate à un emploi dans les services d’une commune flamande. En application des lois belges sur l’emploi des langues en matière administrative, elle doit démontrer sa connaissance du néerlandais : soit en produisant un diplôme ou un certificat prouvant qu’elle a suivi l’enseignement en néerlandais, soit en passant un examen linguistique que seul le Selor, le bureau de sélection de l’administration, peut organiser.

Le candidat n’accepte pas cette dernière disposition, estimant que dans son pays, en Irlande, en Italie ou au Danemark, des organismes sont parfaitement à même de lui faire passer l’examen. Il dépose plainte auprès de la Commission européenne pour entrave à la libre circulation des travailleurs. Et il est entendu : le 18 mars 2010, la Commission met l’Etat belge en demeure d’adapter au droit européen ses lois sur l’emploi des langues administratives. Sans peut-être se rendre compte à quel point elle touche un sujet hyper-sensible…

Nouvelles règles en Flandre

Car la Communauté flamande, subrepticement, et en l’absence de réaction dans les temps du fédéral, saisit la balle au bond et répond à la Commission européenne qu’elle va arranger les choses et modifier la législation. Sa législation. Le gouvernement flamand rédige en effet un avant-projet de décret qui devrait lui permettre de fixer de nouvelles règles de vérification des connaissances linguistiques sur le territoire supputé unilingue flamand, à l’exception donc de la Région bilingue de Bruxelles. Mais sans un mot pour les communes à facilités, dont le statut linguistique particulier ne peut être modifié que par le Parlement fédéral, et par la majorité spéciale (2/3 des suffrages et la majorité dans chaque groupe linguistique). C’est également le fédéral qui est compétent pour la législation sur l’emploi des langues dans ces communes à facilités.

Mis au courant de ce qui se trame, les gouvernements de Rudy Demotte (PS) allument tous les feux rouges : « Les communes à facilités ont un statut spécifique, et le gouvernement de la Communauté française entend qu’on respecte ce statut, garantie de la protection des francophones de la périphérie bruxelloise. »
Qui a raison ? Comme toujours en Belgique, ce n’est pas simple. Les lois linguistiques datent d’avant les dernières réformes de l’Etat, notent d’éminents juristes wallons, qui seraient néanmoins presque prêts à reconnaître à la Communauté flamande le droit de modifier les règles de recrutement dans sa fonction publique, à condition qu’elle tienne compte de la spécificité des communes à facilités. Pour Pierre Verjans, politologue de l’ULg, un recours éventuel devant la Cour constitutionnelle limiterait immanquablement la zone de compétence « aux communes qui sont directement sous tutelle de la Communauté flamande », à l’exception donc des communes à facilités. Les francophones peuvent aussi faire valoir que la loi fédérale ne peut être modifiée que par le Parlement fédéral, d’autant que c’est le fédéral qui est compétent en ce qui concerne le Selor.

Ce lundi, une deuxième réunion a été organisée entre le fédéral et les Communautés, mais chacun est resté sur ses positions. Côté francophone, on estime que cette politique flamande du petit fait accompli envenime tout dialogue : on cherche le défaut de vigilance, sachant que, de toute façon, on ne peut pas pour l’instant faire tomber le gouvernement fédéral, puisqu’il n’existe que pour traiter les affaires courantes…

MICHEL DELWICHE

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