Paper chain family held up to sunset © Getty Images/iStockphoto

La face cachée de l’adoption, quand l’amour ne suffit pas

Le grand public idéalise souvent l’adoption, inconscient des difficultés rencontrées de part et d’autre. La faute aussi aux familles multicolores et tout sourire des Angelina Jolie ou autre Madonna qui s’étalent en pleines pages dans les médias…

Si à l’arrivée de l’enfant ce n’est que du bonheur, l’adoption est parfois un parcours du combattant qui s’étale sur plusieurs années. Et si le bonheur est souvent au bout du chemin, ce dernier peut être long et tortueux.

La face cachée de l'adoption, quand l'amour ne suffit pas
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Certains parents adoptants resteront même sur le bas-côté. A cause d’une trop forte idéalisation, par manque de préparation, parce que l’amour ne suffit pas toujours et parce que certains enfants ne devraient pas être adoptés. Mais ça, c’est une vérité qui dérange. On touche à un tabou et les parents qui ont réussi à le verbaliser l’ont fait au prix de grandes souffrances.

Car oui, il en faut du courage pour dire que cela ne va pas, que ce n’est pas ce que l’on avait prévu, imaginé, rêvé… que l’adoption n’est pas toujours idyllique et que parfois elle peut même tourner au cauchemar…

Le scandale des enfants « deuxième main »

En 2010, une maman adoptive américaine, désespérée et à bout sans doute, avait remis son fils de 7 ans dans un avion en direction de la Russie avec un petit mot: « je ne désire plus être la mère de cet enfant ».

Le renvoi de cet enfant, un acte désespéré et isolé? Malheureusement non. En 2016, selon une estimation des services publics américains, sur 100.000 adoptions par an, 25.000 enfants (25%) ont été abandonnés par leur famille adoptive.

Quand cela arrive, les « solutions » mises en place outre-Atlantique nous semblent, à nous Européens, bien cruelles et choquantes. La famille adoptive en difficulté peut, soit rendre l’enfant, soit lui retrouver une nouvelle famille. Cet abandon s’appelle le « rehoming », un terme qui s’applique également à l’abandon des animaux de compagnie. On pourrait croire à une (mauvaise) blague et pourtant… le « rehoming » est une pratique légale.

Un documentaire de Sophie Przychodny, intitulé « Enfants jetables » et diffusé en 2016, dénonçait cette pratique choquante et le business qui en découle.

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« Enfants jetables » (2016). Un film de Sophie Przychodny, produit par Babel Doc. Durée : 52 min.

Le « rehoming » s’effectue au moyen de petites annonces, placées par les parents adoptifs, ou via des agences spécialisées dans les ré-adoptions, et est intéressant financièrement pour la famille suivante vu que son coût est de moitié moindre que celui d’une adoption classique (une adoption internationale aux Etats-Unis coûte entre 10.000 et 30.000 dollars). Business is business.

Bien entendu, si la ré-adoption plénière, c’est-à-dire l’adoption complète, est encadrée au pays de l’Oncle Sam et nécessite le passage devant un juge, avec vérifications d’usage des antécédents des adoptants, il n’en est pas de même pour le rehoming où un simple acte notarié transfère l’autorité parentale vers la nouvelle famille, avec les dérives que cela peut entraîner puisqu’ici il n’y a pas de contrôle.

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Plus dramatique encore que la pratique du rehoming, c’est le défilé d’enfants organisés à Topton en Pennsylvanie: salle de gala et tapis rouge, les enfants en seconde main défilent pour se vendre aux familles. L’enfant « plaît », il passera alors une interview avec la famille qui envisage d’être candidate. A lui de continuer à « bien se vendre » pour être adopté. Mais pas sans une période d’essai, il faut pouvoir tester la cohabitation, et en cas de « non compatibilité, l’adoption ne se fait pas.

Les pratiques sont choquantes, mais les dérives du système américain soulignent surtout la souffrance de part et d’autre: celle des parents adoptifs et celle encore plus grande de l’enfant.

Souffrance et attachement

La première blessure majeure d’un enfant adopté est celle de l’abandon et la perte de ses parents biologiques. L’enfant grandira avec cette perte, et la peur de l’abandon qui en découle. Plus tard viendra le déracinement, l’enfant devra quitter ses racines et ses repères pour suivre ses parents d’accueil.

Certains enfants adoptés penseront que s’ils ont été abandonnés, c’est qu’ils ne valent pas la peine d’être aimés. Donc, logiquement (pour eux), leur famille d’adoption finira par se détourner d’eux et par les abandonner. Autant « provoquer » cette rupture le plus rapidement possible, pour souffrir moins… Ils testeront leurs parents adoptifs, encore et encore, afin de s’assurer de leur amour, cet amour qu’on leur a promis indéfectible et dont ils ne se sentent pas « dignes ». Ils pourront multiplier les actions et les délits pour provoquer ce rejet qui, à leurs yeux, est inévitable.

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Ces jeunes en voudront aussi à leurs parents adoptifs de les avoir emmenés, de les avoir déracinés, idéalisant parfois à outrance cette famille perdue, celle qui leur était due, mais qui n’existe plus.

Parfois, le rejet a finalement lieu. L’éloignement devient alors nécessaire avec, dans certains cas un placement en institutions pour l’enfant. Tant chez les parents adoptifs que chez l’enfant, la blessure relationnelle est profonde.

La blessure des parents

C’est un sujet tabou de vouloir « rejeter » son enfant après l’avoir voulu si ardemment. Un sentiment d’échec aussi, de culpabilité : avoir tant attendu, tant désiré, avoir voulu sauver cet enfant et ne pas arriver à l’aimer et à le protéger.

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Depuis quelques années, en France, les psys plaident d’ailleurs pour un refus du jugement d’adoption si la générosité est la motivation première des adoptants. « Il faut refuser l’adoption humanitaire, tranche le pédopsychiatre Christian Flavigny, patron du département de psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Parce que cela crée une surcharge de dette, et l’enfant ne se sent pas à la hauteur de cette dette. »

L’adoption « humanitaire », celle pour « pour sauver des enfants malheureux de toute cette misère », soulève la question de la dette. Ce sentiment de « devoir quelque chose, d’être reconnaissant à vie » à ses parents adoptifs est lourd à porter pour ces enfants. Une autre interrogation vient rapidement dans la foulée: pourquoi cette reconnaissance va toujours dans le même sens? Pourquoi est-elle à sens unique ? Pourquoi ce ne sont pas les parents adoptifs qui sont reconnaissants envers l’enfant?

La blessure de l’enfant

Ensuite, il y a la blessure de l’enfant, cette blessure de l’abandon maternel qui se matérialise avec ce « nouvel » abandon. Même si dans de nombreux cas, la séparation sera temporaire, et servira d’électrochoc pour (re)construire la relation et en sera le ciment pour la consolider à l’avenir.

Adoption, je t’aime moi non plus – Documentaire

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Adoption, je t’aime… moi non plus », de Stéphanie Malphettes (Fr., 2017, 70 min).

Préparation des adoptants

Pour tenter d’éviter les problèmes, du moins une partie de ceux-ci, la préparation des adoptants est primordiale. Débroussailler avec eux leurs doutes, leurs angoisses, les problèmes qui pourraient survenir après l’adoption.

Véronique et son mari se sont lancés dans l’aventure de l’adoption, il y a 8 ans. Aujourd’hui, ils sont sur le point de partir, en Inde, pour revenir avec leur fille. « Oui nous sommes préparés à la post-adoption, mais mieux vaut être pro-actif et aller chercher soi-même des informations complémentaires, souligne Véronique.

Et d’ajouter « Oui on nous parle des problèmes post-adoption, mais il faut savoir l’entendre… La première année, après la prise de rendez-vous avec la Communauté française, nous devons suivre des séances d’informations, ainsi que rencontrer des psychologues et des assistants sociaux qui nous expliquent les grandes lignes de l’adoption. Pendant un an, par groupe d’une dizaine de personnes, nous avons ce coaching, si on peut l’appeler ainsi. L’intérêt de pouvoir faire cela en groupe c’est qu’on peut échanger des idées, des craintes, se confronter à certains aspects que nous n’avions pas envisagés d’emblée. Mais il faut bien avouer qu’au départ nous y avions été avec des pieds de plombs, l’aspect « en groupe » ne nous avait pas séduits de prime abord. Mais ces formations nous ont vraiment apporté quelque chose et ouvert l’esprit. »

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Car en Belgique les adoptants ne sont pas lâchés dans la nature, sans encadrement comme l’explique Françoise Hallet, coordinatrice de L’Envol, une ASBL dont les portes sont ouvertes à tous, adoptants comme adoptés, et qui les accompagne dans tous les domaines possibles quel que soit l’âge ou le besoin. « Il n’existe pas de chiffres ou de statistiques d’adoptions « ratées », d’ailleurs le terme de « ratée » ne convient guère. A certaines périodes de la vie des familles et des adoptés, il y a des moments difficiles, parfois très difficiles, mais c’est rarement un échec en définitive. Après 5 soirées de sensibilisation et d’informations organisées par le Ministère de la Communauté française de Belgique (Autorité centrale communautaire (ACC) – www.adoptions.be), des entretiens avec des psychologues et des assistants sociaux, le jugement d’aptitude est délivré par un juge de la famille aux candidats parents adoptants. A eux de s’inscrire après cela auprès d’un organisme d’adoption agréé (OAA) pour une adoption internationale. Il faut savoir que c’est le pays qui pose ses critères pour les adoptants, on choisit donc un organisme en fonction de cela. »

Les difficultés post adoption

Parmi les difficultés, arrive en tête l’âge de l’enfant au moment où il rejoint sa famille adoptive. « Ce qui est difficile aujourd’hui c’est que les enfants proposés à l’adoption sont souvent plus âgés qu’avant, avec des passés douloureux, des problèmes de santé éventuellement, prévient Françoise Hallet. Pour le suivi santé, il y a des médecins spécialisés dans l’accompagnement post-adoption qui peuvent prendre l’enfant en charge après son arrivée sur le sol belge. »

Mais il y a aussi une difficulté bien réelle, mais qui ne saute pas aux yeux de prime abord : le blues de l’adoption. Un « blues » très proche du « baby blues » post-partum. « Oui le blues post adoption existe et est même très fréquent sous sa forme la plus légère, explique la coordinatrice de L’Envol. Une étude américaine parle de 60% des adoptants touchés par ce « blues post-adoption » et il faut souligner encore qu’il touche aussi bien le père que la mère. Le « blues post-adoption » est comme le « baby blues » provoqué par la chute des hormones, mais pas les mêmes hormones, bien entendu. Dans le cas de l’adoption, c’est la chute des hormones du stress, adrénaline et cortisol. Soudain, le stress dû à l’attente, les démarches, la peur du papier manquant, de ne pas pouvoir rentrer avec l’enfant disparaît… C’est une étape à gérer. »

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La question des origines est une des clés de l’adoption et peut aussi faire surgir un flot de difficultés à surmonter. « Ces enfants ont toujours la question de leurs origines, de pourquoi ils ont été adoptés, qui les turlupine », déclare Françoise Hallet.

Car les origines qui peuvent être dans un premier temps niées par l’enfant comme l’explique Véronique: « Bon nombre d’adoptés veulent une coupure nette avec leur pays d’origine, ils ne veulent plus en entendre parler. C’est plus tard, à l’adolescence que certains veulent reprendre le « contact » et parfois partent à la recherche de leurs origines, de leurs racines. Je pense qu’il vaut mieux que cette quête se passe à l’âge adulte… Personnellement j’ai gardé toutes les informations, les renseignements des premières années de ma fille, ainsi je pourrai lui donner des clés si un jour elle veut entamer des recherches, mais je ne chercherai pas pour elle. C’est quelque chose qu’elle devra entreprendre elle-même, si elle le désire, mais je suis prête à faire le voyage avec elle. »

Une démarche familiale

Il ne faut jamais perdre de vue que si avoir un enfant (biologique) fait partie de la sphère privée du couple, l’adoption est un projet de toute la famille. Pour Véronique, c’est clairement un projet « de famille ». « Toute la famille est impactée, pas juste nous les parents et nos deux enfants, mais les grands-parents, les oncles et tantes. On s’est heurté au début à une forme d’incompréhension passagère de la part de certains. Mais pourquoi adoptions-nous alors que nous avons deux enfants? Une espèce de « croyance » en quelque sorte que l’adoption est réservée aux couples sans enfants. Mais avec l’attente, huit ans dans notre cas, ce genre de questionnement disparaît. Ils attendent tous avec impatience, et pour ma grande fille c’est sa soeur depuis le début. »

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Cette idée de projet familial est partagée par le Dr Lévy-Soussan : « Adopter, c’est construire une famille. Ce n’est pas un hébergement. Ce n’est même pas seulement une éducation. Il faut que les parents fassent leur cet enfant, et que celui-ci accepte les identifications qu’ils lui proposent.  »

Renforcer le lien d’attachement

« Quand on voit certains adolescents en crise, on peut penser que l’adoption se passe mal, que c’est difficile, mais en général cela se tasse avec le temps, rassure Françoise Hallet. Tout vient de la souffrance de l’abandon. Il faut bien se rendre compte qu’avoir été adopté, c’est d’abord avoir été abandonné. Et cet abandon est la souffrance la plus grande qu’il soit. Toutes les difficultés viennent de là, avec parfois des comportements limites, des périodes de tests… Il est difficile pour ces enfants de perdre cet instinct de survie, qui justement a fait d’eux des survivants. Par exemple, si un enfant vole de la nourriture, ce n’est pas dans le but de nuire ou de poser des problèmes à ses parents. Il vole, car il a eu faim et pour lui, la prise de conscience qu’il ne manquera plus de nourriture n’est pas automatique. Il lui faudra un certain temps pour comprendre que cette période de sa vie est finie. »

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Et de préciser : « Nous aidons donc les parents à tenter de comprendre le pourquoi du comportement de leur enfant, les raisons de celui-ci. Une fois ces raisons mises en lumière, les parents sont mieux outillés pour aider l’enfant. Cela passe avec le temps, mais les « crises d’adolescence » sont souvent plus violentes et plus longues qu’une crise d’adolescence « classique ». Et ne jamais oublier que, quelle que soit la souffrance des parents, celle de l’enfant ou de l’adolescent est encore bien plus grande. »

La clé d’une adoption « réussie », ou plutôt celle qui offrira la possibilité de surmonter les difficultés réside dans le lien d’attachement que les parents adoptifs construiront avec leur enfant. « Il faut du temps pour créer un attachement, ce lien de sécurité et de confiance qui permettra à l’enfant d’accorder à nouveau sa confiance à ses nouveaux parents, explique Françoise Hallet. Il est primordial que les adoptants se rendent compte que la création de ce lien d’attachement prendra du temps et il faut qu’ils aient l’occasion de s’accorder ce temps nécessaire au moyen de congés supplémentaires ou autre étant donné que le congé d’adoption est relativement court (on parle de 8 semaines pour un enfant de moins de 3 ans et de 4 semaines si l’enfant a entre 3 et 8 ans, NDLR). »

D’autant que les enfants adoptés étant de plus âgés, le problème de la scolarisation se pose très tôt, parfois avant même que l’enfant ne maîtrise la langue de son nouveau pays. « La scolarité est obligatoire en Belgique à partir de 6 ans, rappelle la coordinatrice de L’Envol. Donc théoriquement, l’enfant devrait aller à l’école dès son arrivée s’il a plus de 6 ans. Et ce, sans parler la langue, sans parfois avoir été scolarisé dans son pays d’origine, et surtout sans avoir eu le temps de créer ce lien d’attachement… Ce n’est vraiment pas idéal. »

C’est l’enfant qui adopte

Souvent, pour les familles adoptives, le « coup de coeur » est immédiat à la vue de l’enfant. Parce que l’attente a été longue. Comme l’explique Véronique, ils ont eu le temps de se préparer le coeur à accueillir leur enfant. « La première photo et l’ouverture du dossier sont vraiment deux instants magiques! Nous avons commencé à tisser le lien parental dès que nous avons vu sa frimousse. Mais il faut se préparer émotionnellement, car cette première rencontre nous l’avions tellement imaginée… et pour finir rien ne se passe comme prévu. Il faut s’y attendre malgré tout. C’est un moment unique émotionnellement très fort. »

Mais le « coup de coeur » est rarement réciproque et il n’en va pas de même pour l’enfant comme l’explique Barbara Monestier, adoptée et auteure du livre Dis merci (éditions Anne Carrière), reprise par le blog de Serge Moulin. « Quand on adopte un enfant qui se souvient de son passé, on ne devrait pas s’autoriser d’emblée à s’appeler parent comme si on en était propriétaire. Il faut laisser le temps à l’enfant d’y venir. »

La face cachée de l'adoption, quand l'amour ne suffit pas
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Un sentiment partagé par Françoise Hallet pour qui « c’est l’enfant qui s’attache à l’adulte et non l’inverse. C’est l’enfant qui va « accepter » ses parents adoptifs, il va commencer à se sentir en sécurité auprès d’eux, à s’attacher à eux et ainsi pouvoir créer ce lien affectif qui le mènera à leur faire confiance. »

Et si la véritable adoption c’était l’enfant qui la réalisait en adoptant ses parents adoptifs ?

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