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La double provocation du MR

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Ce n’était pas son premier choix. Mais le MR reste convaincu des vertus de son alliance avec la N-VA : pas de communautaire, cap sur les réformes socio-économiques. L’opposition francophone dénonce et la rue grogne. Dans un climat délétère, 2014 fut une année de rupture politique.

Longtemps encore, les partis francophones se déchireront sur les circonstances qui ont mené à cet incroyable coup de poker joué par le MR au fédéral : participer en tant que seule formation francophone, minoritaire, à une coalition suédoise avec les nationalistes de la N-VA, l’Open VLD et le CD&V. Cette rupture, conjuguée à la confrontation avec des majorités asymétriques dans les Régions bruxelloise et wallonne, a généré, après les élections du 25 mai, un climat politique délétère, bipolarisé comme jamais, MR et PS analysant chacun l’attitude de l’autre comme une suite de provocations.

« Le péché originel vient du PS et du CDH qui ont décidé de former les gouvernements régionaux avant le fédéral, clame Richard Miller, administrateur délégué du Centre Jean Gol, le service d’études du MR. Cette majorité n’est pas celle que nous souhaitions initialement, mais la donne a changé en cours de route. » Le 5 juin, plus d’un mois avant le choix du MR, le PS, le CDH et le FDF ont annoncé, à la surprise générale, l’ouverture de négociations en Wallonie et à Bruxelles. « Nous n’avons pas attendu parce que nous avions connaissance de contacts avancés pour la formation d’une coalition alliant N-VA, CD&V et MR au fédéral, nous risquions de nous retrouver dehors partout », répète-t-on depuis lors du côté du PS.

« Nous n’aurons pas besoin d’historiens pour déterminer le péché originel, estime Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Tout a été décidé lors d’un bureau de parti flamand le 26 mai, au lendemain des élections. » Très vite, en effet, le CD&V a lié son sort à celui de la N-VA, grande victorieuse des élections au nord du pays. Dès lors, les dominos se sont enchaînés. Avec une série de facteurs connexes qui ont joué un rôle important : la détérioration des liens entre MR et PS, la fracture durable entre MR et FDF, le choix du CDH de refuser toute alliance avec les « séparatistes » et « racistes » de la N-VA… Le ver était dans le fruit.

« Une opportunité »

Charles Michel a-t-il joué la carte de la provocation en osant cette sulfureuse association ? Les libéraux francophones ont-ils agi par esprit de revanche ? « Ce ne fut pas un choix facile à poser, surtout après nos déclarations, avant les élections, sur notre volonté de ne pas collaborer avec la N-VA », concède-t-on au MR. Oui, il y avait, sans nul doute, une forme de provocation politique à l’égard du PS dans la formule inédite essayée le 22 juillet, une motivation née de la colère d’avoir été une nouvelle fois mis de côté du pouvoir dans les Régions, dont le MR est absent depuis dix ans. « Nous avons eu plusieurs nuits de brainstorming à l’issue desquelles nous avons compris que cela pouvait aussi représenter une opportunité », nous confiait un proche de Charles Michel peu après l’entrée en négociations. La suédoise rejette le PS dans l’opposition après vingt-cinq ans de présence ininterrompue au pouvoir. Aux yeux des libéraux, elle a le mérite d’une plus grande cohérence socio-économique pour mener une politique de « centre-droit raisonnable », selon leurs termes, tout en positionnant le MR… comme seule alternative francophone au PS.

Surtout, argument massue dans leur chef : la N-VA s’est engagée à ce qu’il n’y ait pas de débat communautaire durant cette législature et à exécuter loyalement la sixième réforme de l’Etat votée sous le gouvernement précédent d’Elio Di Rupo. Au fond, le rêve de Didier Reynders lorsqu’il était président de parti a été réalisé par son ancien rival : « Mettre le PS dans l’opposition est une réforme en soi. » Ce programme visant à créer plus d’emplois et à mener les réformes nécessaires à l’assainissement du pays couperait l’herbe sous le pied des velléités séparatistes flamandes : tel est le pari derrière la provocation opportuniste du MR.

De la « naïveté coupable »

L’opposition francophone dénonce en choeur la « naïveté coupable » du nouveau Premier ministre face aux nationalistes. Bart De Wever serait en réalité « le Premier ministre de l’ombre » tandis que la N-VA truste toutes les fonctions régaliennes importantes : Finances, Intérieur, Défense, Fonction publique… « Une telle concentration, c’est du jamais-vu et c’est inquiétant », tempête André Flahaut (PS), ancien ministre de la Défense et président de la Chambre. La suédoise ne serait qu’une étape sur le chemin du confédéralisme version N-VA, avec un Etat belge dépecé.

Le casting ministériel contesté du MR, marqué d’emblée par une série d’approximations, et surtout les provocations initiales de la N-VA n’ont rien pour rassurer. Le Parlement s’est transformé à plus d’une reprise en une poudrière, et ce, dès la déclaration générale du Premier ministre, à la suite des propos du vice-Premier ministre N-VA Jan Jambon affirmant que certains avaient eu « des raisons » de collaborer pendant la Seconde Guerre mondiale. Ses excuses n’apaiseront rien (lire page 14). Dans l’entourage du Premier ministre, on se dit las de ce bashing permanent, de cet « écran de fumée » pour masquer les enjeux de fond, alors que la N-VA serait le partenaire « le plus loyal » de la coalition. Le malaise devient toutefois palpable chez certains libéraux et pourrait s’amplifier en cas de nouvel incident.

En attendant, le nouveau président du MR Olivier Chastel et ses troupes chargent aussi le gouvernement wallon et l’accusent en retour de provocations communautaires : le ministre-président PS Paul Magnette serait dans une  » logique pré-séparatiste » quand il refuse d’inviter le ministre de l’Intérieur Jan Jambon pour l’inauguration d’un hôtel de police à Charleroi, ce qui lui vaudra une rare critique du CDH Benoît Lutgen. Un bras de fer.

Une « vision néolibérale »

Au-delà de l’alliance du MR avec la N-VA, la provocation à la mode suédoise est surtout socio-économique. Le mot d’ordre des troupes de Charles Michel est un slogan : il faut créer des emplois et de la richesse pour sauver notre système de sécurité sociale. Dès l’annonce des premières mesures, pourtant, l’opposition se cabre, campagne de dénonciation à la clé, et les syndicats sortent dans la rue.

Le programme vaut, il est vrai, son poids de symbole et de rupture avec le gouvernement Di Rupo : saut d’index, allongement de la pension de 65 à 67 ans, suppression du crédit-temps sans motivation… Autant de mesures qui, si elles sont corrigées socialement et peuvent encore être allégées lors de la concertation sociale, ne passent pas la rampe. Il y a certes une forme de continuité avec la politique menée par la majorité précédente, comme l’ont démontré les écologistes, mais la tonalité de droite est avérée. Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp), évoque une vision « néolibérale « . Pascale Vielle, professeur en droit social de l’UCL, pointe un risque de « démantèlement de la sécurité sociale ». Résultat ? Le 6 novembre, plus de 120 000 personnes manifestent dans les rues de Bruxelles contre cette cure d’austérité, avant une série de grèves tournantes, puis une grève nationale le 15 décembre. La menace d’une contestation de longue durée est brandie pour « faire reculer » le gouvernement Michel. Un mouvement « instrumentalisé politiquement », accuse le MR. La concertation sociale, elle, peine à retrouver le chemin du dialogue.

Au sein de la coalition, cela tangue. Le CD&V, qui est de façon inédite le parti le plus à gauche du gouvernement, remet sur la table l’idée d’un tax shift, une réforme fiscale permettant notamment une taxation du capital ou des plus-values. « Ce n’est pas dans l’accord de gouvernement », bloque Bart De Wever (N-VA) ou Didier Reynders (MR).  » Une réforme fiscale est bien prévue, mais nous n’avons pas les moyens budgétaires de le faire en début de législature », glisse-t-on dans les milieux gouvernementaux.

Résister à la grogne

Avec dans une main Le capital au XXIe siècle de l’économiste français Thomas Piketty, cet essai devenu un triomphe éditorial chez nous mais aussi aux Etats-Unis, et dans l’autre un rapport de l’OCDE affirmant que les inégalités de revenus ont un impact négatif sur la croissance, le président du PS Elio Di Rupo incrimine le jusqu’au-boutisme du MR. « Les temps sont en train de changer, souligne- t-il en faisant référence à la célèbre chanson de Bob Dylan. Il est dès lors incompréhensible que le gouvernement fédéral veuille insuffler une nouvelle vie à la pensée de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, plutôt que de l’enterrer définitivement. » A gauche, Ecolo et le PTB poussent le premier parti francophone.

Au MR, on raille une politique de « diabolisation » en croisant les doigts pour que la virulence de la contestation s’amenuise avec le temps. Charles Michel devra toutefois être très fort pour résister à la grogne, renouer le dialogue et mener à bien cette mission à laquelle il dit croire comme une nécessité pour la survie du pays et de son bien-être. Le MR fait bloc, en apparence à tout le moins : « Nous irons au bout de la législature, car nous sommes convaincus que cette politique délivrera des résultats. » Mais le début de 2015 sera, sans nul doute, le moment de vérité pour la suédoise.

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