Carte blanche

La distribution d’électricité en Wallonie doit changer de business model

On évoque le besoin de bonne gouvernance pour les intercommunales de distribution d’énergie en Wallonie. Il convient aussi d’examiner s’il y a une cohérence entre la stratégie de la distribution d’électricité wallonne et la transition énergétique. Un réseau qui coûte moins cher, cela existe, et plus de renouvelable, c’est possible.

Les coûts, c’est aussi une question de gouvernance

A coût comparable (y compris l’impôt et les obligations de service public liées au monopole), le coût de la distribution est, en France de 24 % de la facture du client. Chez nous, il est aux alentours de 28 %.

La Wallonie est plus dense en terme géographique que la France. Le réseau wallon est donc plus rentable. Il est donc anormal que son coût pour le consommateur soit plus élevé.

Le coût du renouvelable « tout-compris » (entre 16,8 et 21 % selon les déclarations) n’est pas compris dans ce chiffre.

Chez ORES, un des deux grands gestionnaires des réseaux de distribution, le dividende (au profit principalement des communes et bientôt exclusivement) représente, en 2016, 7,746 % du chiffre d’affaires. Les redevances de voirie (essentiellement au profit des communes) représentent 3,97 % du chiffre d’affaires. Au total, ces flux financiers représentent 11,72 % de la facturation d’ORES. En France, les taxes communales et départementales représentent 6 % de la facture.

Le paradoxe existe quand ces mêmes communes interpellent sur l’accroissement de la précarité énergétique d’une partie de la population, dont doit s’occuper leur propre service social. Il n’y a par ailleurs plus eu de contribution communale aux réseaux wallons de gaz et d’électricité depuis avant 1940, soit depuis plus de 77 ans. Ce qui correspond dans le Larousse, à la définition du terme « rente ». En Wallonie, le dividende d’intercommunale est un calcul compliqué, au croisement de plusieurs problématiques, en pratique opaque pour le citoyen (adulte pourtant). Il n’a jamais fait l’objet d’un vote dans une instance démocratique, malgré l’importance de ces ponctions.

Quand, de plus, on entend qu’on n’a pas tenu compte de la transition énergétique, et des mutations qu’elle induit (micro-réseaux, autoconsommation individuelle ou collective du renouvelable, batteries en aval de capteurs photovoltaïques, etc.), parmi les paramètres de fixation du prix de rachat des parts d’Electrabel dans ORES (407 millions d’€), alors, il devient bien clair que ces manques de modération dans la structure des coûts , à tous les étages, sont l’élément premier des prix élevés de la distribution d’électricité en Wallonie.

Un réseau qui coûte moins cher, cela existe, et plus de renouvelable, c’est possible.

La transformation du réseau public en smartgrid : un « éléphant blanc »

Abordons la façon dont les intercommunales distribuent leurs investissements.

On invoque la transition énergétique chez les gestionnaires de réseaux de distribution d’énergie (G.R.D.) pour justifier deux démarches. D’une part, tous les flux électriques doivent passer par le réseau (c’est ce qu’on appelle « le tout-au-réseau »). Clairement, rien ne doit échapper à la facture de l’intercommunale. D’autre part, on doit investir dans ce réseau de façon importante et coûteuse pour accueillir le renouvelable dont il faut gérer les intermittences et les variations. C’est sur base de ces deux fondements, qu’on veut nous transformer le réseau public en « smartgrid », en « réseau intelligent ». Ne nous a-t-on même pas dit que c’est « la garantie future d’une diminution du coût du renouvelable » ? Or, les tarifs de la distribution augmentent. Et ce n’est pas terminé.

Comment en est-on arrivé là ?

L’injection de renouvelable tout au long du réseau génère aux heures d’intensité une accumulation des congestions et des surtensions sur le réseau. Il s’en suit qu’il faut faire évoluer les transformateurs, renforcer les lignes, installer une électronique de puissance, tous éléments qui ne fonctionneront pas plein-temps, vu l’intermittence des productions. Le coût de cet investissement est important. C’est ce qu’on appelle « transformer la majorité du réseau en smartgrid ». Le ministre Furlan affirmait que ces investissements étaient la cause principale expliquant la hausse des tarifs de la distribution. Plus le renouvelable se greffera tout au long de ce réseau, plus il faut investir, et plus on paie.

Le réflexe dépensier semble être une habitude. Pour les compteurs dits intelligents, on lit la volonté chez ORES d’implanter des « grappes » de compteurs, sur plusieurs arrondissements. On invoque les contraintes de communication. Or, le compteur intelligent ne se justifie au plus que là où il y a de la production et de la consommation. Pour les protocoles de communication, il y a LORa et Sigfox. Par exemple, Nethys a choisi Sigfox. Ces protocoles n’obligent pas à investir ces « grappes » de compteurs. Ces coûts sont donc largement inutiles.

Et le véhicule électrique ?

De la même façon, le véhicule électrique va-t-il conforter la dépense ? Rien n’est moins sûr. D’abord c’est à l’automobile de payer son infrastructure, et pas au consommateur individuel ou aux entreprises. Ensuite, responsabilisée financièrement, la branche industrielle automobile comprendra vite son intérêt, et d’autres stratégies, moins coûteuses en investissements, elles existent, pourront être adoptées.

Au plan de la recherche-développement sur les smartgrids, il faut souligner que depuis le programme « Reliable », il y a cinq ans, aucun grand projet ne s’est fait autrement que sous le contrôle, direct ou indirect, des intercommunales et toujours dans l’optique de transformer le réseau public en smartgrid (« l’éléphant blanc »). Ce ne sont pourtant pas les intercommunales qui exporteront ces nouveaux produits… Cette polarisation, directe ou indirecte, des budgets de recherche-développement, a produit en Wallonie une relative désertification de nouveaux produits en ces matières.

Comparons. Il n’y a pas cinq projets, sur ce créneau en Wallonie, qui ont une chance économique de se transformer en un leader international, malgré nos compétences et nos traditions en matière d’électricité. Voyons la Bretagne qui a un programme ‘smartgrid’, mais qui n’a aucun passé électrique. Elle a réussi en deux ans à créer un écosystème sur les smartgrids regroupant 25 consortiums d’entreprises effectivement au travail, avec 177 partenaires, et le développement, entre autres, d’une dizaine de projets de micro-réseaux de moyenne puissance. Constatez la différence.

En ce qui concerne l’objectif européen d’efficience énergétique, rappelons que nous devons atteindre une amélioration de 20 % en 2020. Or, la stratégie wallonne des GRD aboutit déjà aujourd’hui, à l’inverse, à un accroissement des pertes électriques sur le réseau. La croissance de la consommation d’électricité est stoppée depuis les années 2008-2010. Pourtant, ces cinq dernières années ces pertes ont augmenté de plus de 20 % le jour et de 12,5% la nuit et le week-end. Les pertes électriques sur le réseau sont fonction de la distance entre le producteur et le consommateur. Et effectivement, on a fermé des centrales au gaz, urbaines, et on a planté nos éoliennes en pleine campagne : de quoi accroître la distance, entre la production et la consommation, et donc les pertes sur réseau. Le rapatriement récent de projets d’installation d’éoliennes sur les zonings n’envisage pas encore ni la question de l’intelligence qui devrait accompagner cette production de renouvelable, ni le rôle et la contribution du client.

Au moins, ces dépenses ont-elles aidé à atteindre de bons taux de pénétration du renouvelable ?

Pas du tout. L’automne dernier, la Région wallonne a reporté de 10 ans, en 2030, son objectif d’atteindre une part de 20 % d’énergie renouvelable. Le ministre de l’énergie de l’époque invoquait le coût de cet objectif pour les citoyens, mais en même temps, il était lui-même le responsable du système de distribution électrique, qui produit des prix aussi élevés. Notre pays est dans le ‘top 3’ des prix des plus élevés en Europe pour le résidentiel (Eurostat).

Notre système de distribution d’électricité en Wallonie est non seulement coûteux, mais aussi peu performant en matière de production de renouvelable. Transformer la majorité du réseau public en smartgrid global, en réseau intelligent global, c’est un « éléphant blanc » pour la Wallonie. La Wallonie n’a pas les moyens de réaliser cette vision, sauf accroissement encore notable de la facture de chacun.

Première opportunité : l’autoconsommation collective[1] et le micro-réseau

En Wallonie, il est, en pratique, impossible de réaliser des micro-réseaux (microgrids). Par exemple, injecter la production d’un parc éolien directement vers une usine de surgélation, est impossible aussi bien à l’ouest qu’à l’est de la Wallonie. Essayer de combiner le fonctionnement d’une cogénération de 15 MW avec un parc éolien de 15 MW qui se trouve à 800 mètres, est aujourd’hui tout simplement impossible, vu les nombreuses embuches et chausse-trappes, notamment règlementaires et politiques. Et ce malgré l’intérêt scientifique et écologique de ces opérations, et la valeur ajoutée de ces technologies.

La « doxa », le langage officiel, véhiculée par ces intercommunales est que ces systèmes risquent de rompre la solidarité que permettrait le « tout doit passer par le réseau ». En fait, la Commission Publifin du parlement wallon a mis en évidence l’argent facile et abondant qui circule dans la distribution de l’énergie en Wallonie. La solidarité a bon dos.

La tendance à la consommation locale de l’énergie produite est pourtant un mouvement technologique de fond au plan mondial. C’est une méthode pour gaspiller moins l’énergie renouvelable, et pour atténuer les instabilités dans les réseaux, dues notamment à l’intermittence intrinsèque du renouvelable. C’est donc une méthode qui peut diminuer l’investissement dans les réseaux. C’est donc aussi une solution envisageable.

Le principal gestionnaire de réseau de distribution français, ENEDIS (l’ex-ERDF), a tenté plusieurs fois, comme cela se fait en Wallonie, d’empêcher les micro-réseaux qui relient directement production de renouvelable et consommation industrielle. Par trois fois, les contentieux ont été jusqu’en Cour de cassation, et ENEDIS fut condamné chaque fois. En juin 2014, le régulateur français, la CRE, a sorti un document d’orientation rompant avec les anciennes perspectives et faisant appel à des expérimentations et des innovations. Régulateur et politique ont voulu, ensemble, une nouvelle stratégie.

Contrairement à l’Allemagne qui peut prévoir un investissement de 90 milliards d’€ pour renforcer ses réseaux de transport, par exemple, la France n’en n’a pas les moyens, ne dépensera pas ces montants, et ne demandera pas au citoyen de ‘vider ses poches’ au profit du réseau électrique

La première conséquence donc de cette stratégie est la place importante à l’autoconsommation individuelle ou collective de renouvelable. En effet, le micro-réseau (microgrid), par l’intégration immédiate et directe de cette production électrique renouvelable, dans la consommation de l’entreprise, diminue d’autant l’ampleur des variations des besoins d’équilibrage sur les réseaux, et donc l’ampleur du besoin d’investissement sur le réseau public. Les micro-réseaux, par la proximité entre le producteur et le consommateur, suppriment 99,9 % des pertes électriques sur le réseau. Et donc, vu ces diverses économies pour le réseau, l’ordonnance française prévoit désormais une baisse du tarif de connexion de l’autoconsommation au réseau.

Dans le concret.

Cette stratégie concerne le solaire et l’éolien jusque 18 MW. Au-delà, c’est l’appel d’offres pour obtenir le prix le plus bas. En fait, l’idée de ce fonctionnement, basé sur un micro-réseau, est d’avoir un consommateur, et un producteur de renouvelable, dans les parages de ce micro-réseau. Le consommateur peut être une zone industrielle, un voisinage industriel, une usine qui se trouve en face d’une éolienne, un boucher dont l’espace-frigo consomme l’énergie produite par son capteur photovoltaïque, des voisins qui mutualisent une installation de stockage pour y stocker des pics de production dont personne ne sait que faire à l’heure où elles sont produites, etc.

L’ensemble de cette chaîne d’autoconsommation en micro-réseau constitue une entité juridique à part (ce qui élimine beaucoup d’obstacles à l’autoconsommation, comme nous les connaissons en Wallonie). Le processus de mise en place est simple : le régulateur, et la mairie (pour le passage des câbles sur les terrains qui n’appartiennent pas aux participants) donnent les autorisations. Le GRD n’intervient plus dans l’autorisation, mais une convention technique est passée entre le GRD et l’entité juridique.

On remarquera pour nous wallons qui disposons des barrages hydrauliques de Coo et de l’Eau d’Heure, dont la rénovation et l’extension peinent à se financer (malgré le très grand intérêt de ces barrages pour l’équilibre de notre système électrique), que dans cet ensemble législatif, le coût-réseau pour un barrage (prélèvement d’électricité lors du pompage ou renvoi d’électricité lors du turbinage) est diminué de moitié dans un des sens.

Une solution pour les certificats verts ?

La deuxième grande conséquence de cette stratégie en France est la possibilité qu’offre la technique de l’autoconsommation et du micro-réseau, de baisser de façon importante l’aide publique à l’énergie renouvelable, et donc la facture d’électricité du consommateur. Un premier appel d’offres a été organisé en septembre 2016. Il a vu la sélection d’un premier paquet de 62 projets. Trois quarts des projets retenus proviennent d’entreprises, la moitié d’industries. A rendement financier identique, le montant de l’aide publique, au profit du producteur, est tombé à 40,88 €/le MWh, alors que chez nous, le certificat vert est à 65 €/MWh. Une prime de 2,80 € existe pour compenser le risque de variation de prix lié à des marchés fluctuants pour des énergies variables et intermittentes.

L’équipement qui permet l’intelligence du réseau face aux énergies renouvelables, est placé sur le micro-réseau. Il est donc payé par les participants à l’autoconsommation. Le réseau public ne doit donc plus financer ce « smartgrid ». La conjonction du micro-réseau et de l’autoconsommation est un moyen nouveau d’accompagner une baisse des prix que l’on constate dans l’éolien maritime, et qui ne s’est pas manifesté pour l’éolien terrestre. Le coût total de l’approvisionnement en « vert », pour le consommateur, est inférieur à son prix d’aujourd’hui, et cela ‘booste’ la consommation de renouvelable.

L’autoconsommation et le micro-réseau diminuent le coût pour le consommateur concerné ; la baisse du soutien financier au renouvelable, diminuera la facture de chaque client d’électricité. Le renouvelable est une priorité, mais il est développé de manière performante pour tous les partenaires.

Le nouveau rôle des gestionnaires de réseaux

Cela peut aller très loin. La loi française autorise le gestionnaire de réseau à mettre en commun des portions du réseau de distribution pour des expériences de flexibilité, avec des partenaires. Après quelques projets assez classiques, on arrive par exemple à voir un micro-réseau de photovoltaïque se combiner avec le réseau public, pour permettre à des conducteurs de véhicules électriques d’utiliser l’équivalent de leur production propre, mais sur des bornes installées sur le réseau public.

Car une troisième conséquence de cette stratégie concerne le rôle du gestionnaire du réseau de distribution en France. Il est désormais contraint par la loi d’aider les initiatives d’autoconsommation individuelle ou collective. Il est devenu un facilitateur, et cela se passe très bien, dans un climat de confiance. Au lieu d’avoir le contrôle monopolistique des opérations, il aide à l’innovation. Comme le dit son président du directoire, ENEDIS devient l’optimiseur des différents systèmes de distribution et son opérateur de données.

Développement des start-ups

Il est d’ailleurs significatif qu’une conséquence de cette stratégie soit le bourgeonnement des start-ups dans ce cadre de transition énergétique en France : car tout est à repenser.

Comme nous connaissons la Wallonie, il faudra éviter que cette nouvelle relation avec le gestionnaire du réseau, qui permet un renouvelable « low-cost » et une baisse du coût-réseau, voie cette valeur captée par un organisme ou une société d’électricité qui se prévaudraient d’un quelconque monopole sur les zonings.

Cette orientation vers un réseau de distribution d’électricité visant un coût-réseau plus bas, un prix du renouvelable inférieur, facilitateur de la transition énergétique (consommation locale, autoconsommation collective, micro-réseaux,..) est possible en France. Elle est donc possible en Wallonie. Expérimentons-la.

Par Michel Vercaempst, spécialiste en smartgrids industriels

[1] Selon la définition de la loi française, par autoconsommation collective, on entend la possibilité de regrouper un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs.

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