Christine Laurent

La cinquième roue du carrosse

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

La scène a surpris. Médusé même. La princesse Astrid essuyant quelques larmes furtives avant de disparaître dans les coulisses lors de la réception de Nouvel An au palais royal a laissé plus d’un observateur coi. Drôle de tableau, image brouillée en rupture totale avec les clichés distillés avec soin par les conseillers de Laeken et qui nous vendent sur papier glacé une ribambelle de princes et de princesses au coeur d’étranges contes de fées. Une com’ savamment huilée, trop naïve pour être vraie.

Pour preuve, ce brin d’émotion, ces tensions palpables au Palais ce jour-là. Et puis, il y eut le message d’Albert II, un petit discours de politique générale peut-être, mais un grand discours de politique familiale. Le roi faisant publiquement acte de contrition au nom des siens… Du jamais vu. De quoi culbuter toutes les règles imposées depuis des lustres par l’establishment. Les temps auraient donc changé.

Baudouin protégé, Albert et ses enfants exposés. Un véritable tsunami menace désormais le trône. Changement de siècle, changement de règne. Fini l’état de grâce, terminée l’époque où la famille royale, repliée derrière les grilles de ses châteaux, se voulait intouchable. Réflexe de caste, tabous submergés de non-dits… l’enfermement depuis toujours dans le monde de l’entre-soi allait se révéler particulièrement dévastateur. Rien moins que l’incarnation crépusculaire d’un régime qui se délite, lentement mais sûrement. Ignorant les clignotants d’alerte, Albert II et les siens n’ont rien pressenti, ou si peu. Ni la N-VA et ses velléités républicaines, ni un ennemi insaisissable et rebelle : l’opinion. Hélas, le populisme gigote toujours dans les déflagrations de la crise. Et aujourd’hui, la colère, l’angoisse des citoyens face à des lendemains qui ne chantent plus, ont considérablement modifié la donne. Dans ce contexte, l’affaire des dotations royales ne pouvait qu’embraser les esprits. La défense maladroite de Fabiola et les frasques du prince Laurent ont fait le reste.

Mais que dire des politiques, de la gauche à la droite, en passant par le centre, qui ont financé il y a dix ans, avec une légèreté coupable et sans contrôle aucun, Astrid et Laurent ? La folie du chèque en blanc ! La Belgique alors était riche. Du moins le croyait-on. Pourquoi mégoter ? Une largesse qui avait bénéficié à la reine Fabiola en 1993, et avant elle, … à la princesse Lilian de Réthy, qui a reçu une rente annuelle de quelque 400 000 euros pendant dix-neuf ans, comme nous le révélons cette semaine. Autant de nids à malentendus, de bombes à retardement (mais qui s’en préoccupait ?) pour une monarchie désormais aux abois. Et bien vite lâchée par les généreux donateurs d’hier. Obligée aujourd’hui d’ondoyer dans le vague, d’avancer à l’aveugle, de patauger piteusement. Mais ce n’est pas un réformisme brouillon, à petites foulées, qui la sortira de cette impasse. Tout est à changer, à transformer si elle ne veut pas devenir la cinquième roue du carrosse. Pour traverser la tempête, elle devra se couler dans les plis d’un changement radical. Fendre l’armure. Trouver les mots, convaincre par les actes. Un chamboulement total qui peut donner le vertige. En espérant qu’il ne soit déjà pas trop tard.

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