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La chance belge au Bocuse d’or

Ces 20 et 21 mars, au Heysel, finale européenne de la plus grande compétition culinaire au monde : le Bocuse d’or. La Belgique y est représentée par Robrecht Wissels, un chef de 35 ans bourré d’idées. Le Vif/L’Express a suivi sa préparation pour le grand affrontement. Attention, marmite sous pression!

Il est 4 heures. Dans le froid mauvais d’un obscur zoning industriel d’Alost, Robrecht Wissels traverse le parking à toute allure. Quelques escaliers plus loin, il pousse la porte de la Mnu Kitchen, son laboratoire. Sous l’oeil indifférent des portraits noir et blanc des triples étoilés Peter Goossens et Sergio Herman, il ne tarde pas à s’agiter comme de l’huile sur un wok. De grosses gouttes perlent sur son front et se perdent dans sa barbe taillée de près.

C’est encore l’un de ces matins où avec Mathijs Vanheule, son commis de 20 ans, il s’entraîne à répéter inlassablement les gestes qui seront les siens, le 20 mars vers 10 heures, heure fatidique à laquelle le chef belge devra suer sang et eau pour inscrire son nom parmi les douze qualifiés du Bocuse d’or Europe. Seul différence, de taille, au jour J, la pression aura monté d’un cran – dix-neuf autres équipes le fouet entre les dents – et l’ambiance aussi – 2 500 spectateurs chauds comme des beignets. La compétition qui se déroulera à Bruxelles n’est pourtant qu’une mise en bouche, une qualification. La phase finale, mondiale, de ce concours imaginé en 1987 par Paul Bocuse se tiendra les 29 et 30 janvier 2013 à Lyon. Même si cela semble bien loin, Robrecht Wissels y pense. « La reconnaissance ultime », commente-t-il les yeux rivés sur une dentelle d’algues, sorte de moucharabieh vert, rond et ultrafin, qui en dit long sur sa précision.

Pour s’ouvrir les portes de la finale, il faut d’abord passer par l’épreuve bruxelloise calibrée tant du point de vue du timing – 5 heures pas une minute de plus – que du contenu. Les participants doivent signer deux plateaux autour de produits désignés : la poularde de Bresse en guise de déclinaison terre, la sole et les crevettes en guise de variations sur la mer. Pour accompagner chacun des produits, trois garnitures. « Il faut tout condenser dans ces bouchées de deux centimètres carrés, tout ce que l’on est capable de faire, tout ce que l’on a appris, ça doit être une bombe de goût », explique la gorge serrée ce chef originaire d’Hasselt.

C’est que la pression qui repose sur ses épaules n’est pas négligeable, car depuis 1999, la gastronomie nationale n’a plus réussi à se hisser sur les marches du podium. Une vraie lacune quand on sait qu’aujourd’hui la gastronomie promeut activement l’image d’un pays dans le monde. Un message reçu 5 sur 5 par les pays scandinaves dont les gouvernements n’hésitent pas à investir sonnant et trébuchant dans leurs chefs. Ce n’est un secret pour personne, en se hissant à la première place du classement Fifty Best des 50 meilleurs restaurants du monde, le Noma de René Redzepi a fait davantage pour le Danemark que toutes les campagnes du pub jamais imaginées. Très lucide sur le sujet, Robrecht Wissels analyse : « A l’heure du storytelling, il est important que la cuisine fabrique des histoires. L’Espagne a raconté un récit moléculaire tandis que la Scandinavie nous parle de retour à la nature. Pourquoi ne serait-ce pas au tour de la Belgique de prendre la parole ? »

Robrecht Wissels nourrit son rêve de reconnaissance au sommet de la gastronomie mondiale depuis janvier 2011. C’est à Lyon-Eurexpo qu’il le contracte, lors de l’édition 2011 du Bocuse. Spectateur médusé par l’ambiance et fasciné par la maîtrise, il rêve de tenter sa chance. Cette idée fixe ne le quitte plus au point de convaincre son employeur, la société Belgocatering – un traiteur qui restaure entre autres Volvo, VTM ou Ernst & Young et sous-traite les demandes de banquets de restaurants haut de gamme tels que Het Gebaar à Anvers, Oud Sluis à Sluis ou Hof van Cleve à Kruishoutem. S’ils lui donnent rapidement leur bénédiction, Yves Matthys et Bartel Dewulf – les deux administrateurs délégués de la firme basée à Alost – n’ont pas jamais eu à le regretter. Pendant de longs mois, Robrecht Wissels « se lève et se couche avec la perspective du concours ». Première étape significative, en septembre 2011, il remporte l’épreuve faisant de lui le candidat belge au Bocuse d’or. Sur place, les journalistes présents n’ont pas oublié le caractère atypique de ses présentations. Pour mettre une pièce de viande en valeur, le chef n’avait pas hésité à l’embrocher sur… un vase funéraire. Le tout pour une mise en scène complétée par des os de boeuf laqués de noir.

Depuis sa victoire, Robrecht Wissels n’a eu de cesse d’imaginer les deux plateaux décisifs. Il a multiplié les esquisses, accumulé les objets chinés – une passion -, mais surtout répété à l’envi les sessions de dégustation au cours desquelles les plus grands chefs belges du pays – Yves Mattagne, David Martin, Roland Debuyst (ex-Bocuse d’argent)… – ont donné leur avis. A force de soustraire, le chef est aujourd’hui fin prêt. Désormais les entraînements ne concernent plus que l’exécution, la plus précise possible, des différentes étapes. « Dans la lignée de ce que j’ai fait précédemment, je cherche à susciter le « wow effect », je veux surprendre le jury par une présentation radicale qui se démarque des habituels plateaux de verre et d’argent. » Pour ce que l’on a pu en voir, les jurés ne devraient pas s’assoupir devant l’assiette de Wissels. Passé par les Beaux-Arts, il a lui-même conçu ses plateaux plutôt que se servir des ready-made habituels. C’est flagrant pour le versant « mer » qui suggère un biotope marin. La poularde, quant à elle, sera accompagnée de truffes et de morilles, mais surtout mise en scène avec d’incroyables couverts réalisés à partir de véritables pattes de coq par le coutelier flamand Antoine Van Loocke.

Volonté de rupture

Pour ne pas gâcher l’effet de surprise de celui qui sera l’ambassadeur de la gastronomie belge les 20 et 21 mars, impossible d’en dire plus. Le background du chef parle pour lui. Premier belge passé au El Bulli de Ferran Adrià, Robrecht Wissels possède un joli parcours qui l’a fait passer en vrac par les cases : distillerie de genièvre familiale, restauration d’objets anciens, Londres – où il s’est initié aux cuisines asiatiques -, Scholteshof de Roger Souveryns, Noma pour un stage intensif – comprendre de 7 h 30 à 1 heure – et Comme chez Soi époque Pierre Wynants. Son atout ? Une vraie volonté de rupture et surtout un penchant pour la transversalité. L’homme compte parmi ceux qui ont compris que la cuisine d’aujourd’hui se devait de regarder les autres disciplines, du design à l’art contemporain, en passant par l’écologie. Pas de doute, le sort de la Belgique est entre de bonnes mains.

MICHEL VERLINDEN

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