A l'Observatoire royal, on veille sur la régularité du tic-tac atomique. © GILLES MENARD/Belgaimage

La Belgique n’est toujours pas à l’heure atomique universelle

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Ses trains le prouvent tous les jours, la Belgique n’est pas un modèle de ponctualité. A ce propos, ses gouvernants n’ont toujours pas trouvé le temps de mettre le pays à l’heure atomique universelle. Quarante-cinq ans que dure une insécurité juridique potentiellement fâcheuse.

Remettre les pendules à l’heure n’est jamais chose aisée. En Belgique, la tâche reste une épreuve au-dessus des forces de ses dirigeants. Pour en prendre toute la mesure, il faut prendre le temps de poser le problème.

1967, la communauté scientifique internationale s’accorde pour propulser la seconde dans l’ère atomique et tourner le dos à l’inexorable rotation de la Terre comme garde-temps. Jusqu’alors, explique Pascale Defraigne, responsable du laboratoire du temps à l’Observatoire royal de Belgique,  » les observations astronomiques déterminaient la durée du jour, donc la durée de la seconde « . Mais la méthode butait sur  » une rotation de la Terre irrégulière, qui donne une seconde parfois plus courte, parfois plus longue « . Et les bonnes vieilles horloges à pendule avaient un peu de mal à digérer ces variations capricieuses, de l’ordre du millième de seconde sur une journée. Rien d’affolant, mais gênant quand même.

D’où le grand bond en avant décidé en 1972, à l’échelle internationale :  » Le passage à la transition atomique pour mesurer le temps et le dater de manière beaucoup plus précise.  » La planète est invitée à régler ses montres sur le temps universel coordonné (UTC), qui sera la nouvelle boussole pour toutes les heures officielles sur terre.

Depuis lors, trois cents horloges atomiques logées dans 56 labos de temps répartis à travers le monde dictent le tempo. Non sans de nécessaires mini-ajustements puisque cette nouvelle échelle de temps n’est pas parfaite. Non disponible en temps réel, elle n’est que le fruit d’une subtile moyenne mathématique fournie par le concert harmonieux de toutes ces horloges atomiques réglées comme du papier à musique.

Ce savant mécanisme doit être tenu à l’oeil. Car la Terre aime lui jouer de mauvais tours. Lentement mais sûrement, l’astre tourne de plus en plus au ralenti et pousse ainsi le temps atomique à s’emballer. Dès que le désaccord entre la rotation terrestre et le temps universel coordonné approche 0,9 seconde, une correction s’impose.  » Elle consiste à ralentir le temps atomique pour coller au temps de la rotation de la Terre, par l’ajout d’une seconde dite intercalaire « , poursuit Pascale Defraigne. L’opération, si nécessaire, s’effectue deux fois par an : le 31 décembre ou le 30 juin, sur le coup de minuit.

L’heure légale s’est arrêtée en 1892

Pascale Defraigne, responsable du laboratoire du temps à l'Observatoire royal de Belgique.
Pascale Defraigne, responsable du laboratoire du temps à l’Observatoire royal de Belgique.© DR

La Belgique s’acquitte de sa part dans ce travail d’une précision d’horloger : depuis le plateau d’Uccle, l’Observatoire royal veille jalousement sur l’implacable régularité du tic-tac des cinq horloges atomiques hébergées dans un environnement sécurisé.

Mais la science ne fait pas la loi. Et sous nos latitudes, le temps s’est figé à la fin du xixe siècle. Ses habitants continuent à vivre à l’heure dite  » en temps moyen du méridien de Greenwich « , sous l’empire d’une loi du 29 avril 1892. C’est à l’ombre d’une échelle de temps toujours déterminé par la rotation de cette bonne vieille Terre que les Belges vaquent à leurs occupations. Inconscients de se mettre ainsi affreusement en retard. Et de l’intérêt qu’il y a à être à l’heure, dans un monde devenu hyperchatouilleux sur le respect d’un timing mesurable à la (milli)-seconde près.

Oublié le bon vieux cachet de la Poste faisant foi, la datation électronique est omniprésente dans les échanges : pour une signature électronique, un recommandé électronique, l’archivage et l’horodatage de documents électroniques. Le temps, c’est aussi de l’argent : transactions financières et opérations boursièress’exécutent à la vitesse de l’éclair. Et sur les marchés financiers, un délai entre l’introduction d’un ordre et son exécution est de l’ordre de quelques millisecondes. Sans oublier les achats en ligne de produits dont le prix ne cesse de varier au gré des promos ou des bons plans à saisir d’un coup de clic. Sans parler des satellites télécoms et GPS qui ne jurent plus que par l’heure atomique d’une précision diabolique.

Casse-tête juridique

L’exactitude n’est pas que politesse des rois, elle est devenue une affaire de (gros) sous. On peut perdre ou gagner une fortune, pour une poignée de millisecondes. Une querelle sur le minutage d’une transaction financière, portée devant un de nos tribunaux, vaudrait son pesant d’or. Comment brandir, en guise de preuve, une heure atomique qui n’a pas cours légal sous nos contrées ?  » Dans l’état actuel de notre législation sur le temps, nul ne pourrait actuellement donner raison ou tort à l’une ou l’autre des parties « , assure Pascale Defraigne. Cette histoire belge reste à écrire. Tout vient à point à qui sait attendre.

Et si le pire était à venir ? La Belgique pourrait même perdre son unique variable d’ajustement : cet ajout régulier d’une seconde intercalaire, qui réaligne le temps atomique sur la rotation de la Terre, référence de l’heure légale belge. Or, cette minute exceptionnelle de 61 secondes est en sursis, prolonge la physicienne :  » Non seulement les progrès technologiques ne la rendent plus nécessaire mais elle devient une source de problèmes pour les récepteurs GPS.  » Elle doit le report à 2023 de sa suppression à l’Angleterre, qui ne peut se résoudre à abandonner son glorieux méridien de Greenwich.

Il suffirait de l’approbation d’une loi fédérale pour écarter tout danger et propulser la Belgique dans l’UTC, la mère de toutes les heures officielles dans le monde. Majorité et opposition, nord comme sud, devraient pouvoir s’accorder sans trop de mal sur ce geste fort. Las : depuis 45 ans, le momentum se fait attendre.

A l’Observatoire royal de Belgique, on a appris à patienter. Voilà douze ans que la gardienne du temps s’épuise à faire remonter le dossier vers les hautes sphères du pouvoir. La faute à pas de chance. A d’autres chats à fouetter. A une crise politique ou une échéance électorale qui brisent l’élan, obligent à remettre les compteurs à zéro et condamnent le dossier à réintégrer le bas de la pile des fardes estampillées  » moyennement urgent « . La dernière tentative gouvernementale remonte à décembre 2013. Elle a échoué pour cause de dissolution du Parlement fédéral.

Bref, ce n’est jamais l’heure. Zuhal Demir (N-VA), fraîchement bombardée secrétaire d’Etat à la Politique scientifique, a promis à la députée Leen Dierickx (CD&V) de suivre attentivement l’évolution du dossier et de lui apporter tout son soutien. Doucement, on n’est pas aux pièces non plus.

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