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« La Belgique légalisera le cannabis. Ce n’est qu’une question de temps »

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

En Belgique, la production, la distribution et la consommation de drogue sont interdites. Le cannabis tombe également sous la législation de drogue qui fête son centième anniversaire. Mais de plus en plus de voix s’élèvent pour autoriser la consommation médicale et récréative. « C’est une tendance internationale que la Belgique ne peut stopper. »

C’était une promesse électorale du Premier ministre Justin Trudeau, qui sera honorée l’été prochain. La production, distribution, vente et consommation de cannabis sera tout à fait légale au Canada, qui suit ainsi l’exemple de l’Uruguay.

En 2014, le Colorado a été le premier état américain à approuver la vente et la consommation de cannabis pour usage récréatif. Depuis, sept états ont fait de même – le dernier en date, la Californie le 1er janvier. : le New Jersey, le Maine et les Massachusetts ont annoncé qu’ils suivraient. A Wall Street, on estime que d’ici 2025, l’industrie du cannabis américaine réalisera un chiffre d’affaires de 75 milliards de dollars.

Le Colorado, pionnier en la matière, révèle que le cannabis est bon pour l’économie : dans l’état centenaire, qui compte 5,6 millions d’habitants, la législation a rapporté 25 000 emplois et 637 millions de dollars de recettes fiscales. Il y a désormais au Colorado plus de commerces de cannabis que de filiales Starbucks.

Le cannabis comme expresso

Chris Burggraeve, longtemps directeur marketing pour Coca Cola Belgique puis AB InBev, est l’un des premiers investisseurs belges dans l’industrie du cannabis américaine, dont la croissance est si rapide.

Aujourd’hui, il vit et travaille à New York. « Je m’intéresse au cannabis depuis des années. Mais je n’ai vraiment approfondi le sujet qu’après que mes étudiants de la NYU Stern School of Business aient attiré mon attention sur le nombre croissant de start-up dans ce secteur. Comme je crois au « learning by doing » j’ai investi dans deux jeunes entreprises de cannabis : Toast, qui propose des joints pré roulés (un paquet de 10 coûte 85 euros, NLDR), et GreenRush, une société internet qui livre toutes sortes de produits dans plus de 150 villes américaines. »

Car effectivement, le joint traditionnel est loin d’être le seul débouché. D’après Burggraeve, il y a aux États-Unis des milliers de produits au cannabis sur le marché : sprays, huiles, essences, vapoteurs, tatouages, etc. Le chanvre est même utilisé en construction, comme alternative au bambou.

Ce n’est pas un hasard si quelqu’un issu du secteur de bière choisisse l’industrie du cannabis. Le 9 octobre 2017, le groupe de boissons américain Constellation Brands a acheté de 10% dans la société canadienne de cannabis cotée en bourse Canopy Growth. Cette dernière teste des boissons contenant du cannabis. Selon les experts, celles-ci pourraient compenser les baisses dans la vente de certains produits alcoolisés, tels que la pils bon marché.

« Constellation Brands a pris une option sur l’avenir », déclare Chris Burggraeve. « Le cannabis est apparenté de loin au houblon : les brasseurs peuvent tirer beaucoup d’enseignements des producteurs de cannabis et inversement. Il y a déjà de la bière sur le marché contenant du cannabis, et ce marché ne fera que grandir. »

L’industrie du cannabis risque donc de se développer davantage côté boissons que côté tabac. Aux États-Unis il n’y pas de tabac dans les joints, contrairement à l’Europe: ils sont entièrement composés de cannabis. En outre, dans le secteur du cannabis tout tourne autour de la construction de marques. « On peut associer le cannabis à la convivialité, tout comme un verre de bière ou une flûte de champagne. Si on fume un joint à teneur faible en THC, on peut s’amuser toute une soirée. »

Le THC qui crée l’accoutumance (delta-9-tétrahydrocannabinol) est le principal principe actif du cannabis. Alors que Toast se spécialise en joints en teneur THC d’environ 0,3%, la teneur de l’actif dans l’herbe belge et néerlandais est de 15 à 20%. L’idée d’opter pour ces « soft joints » vient également de ses étudiants, déclare Burggraeve. « Aux États-Unis, le cannabis à teneur élevée en THC est la norme, surtout auprès de ce qu’on appelle les stoners : on estime qu’il y en a entre 2 et 3 millions, mais au niveau commercial ce groupe est peu intéressant. Toast vise surtout les centaines de millions d’Américains ordinaires – nouveaux consommateurs – qui veulent de temps en temps fumer un joint. J’appelle nos joints pré roulés « l’expresso parmi les produits de cannabis ».

Étant donné la teneur faible en THC dans ses produits, Burggraeve compte sur le fait que les autorités n’interviendront pas trop dans la vente. Il espère par exemple éviter la mise en garde obligatoire, comme sur les produits de tabac. « Cela chasse les investisseurs potentiels et le marché noir risque de ne jamais blanchir. »

Cannabis Social Club

Notre pays applique toujours la loi de 1921 qui interdit la production, la distribution, la vente, et la consommation de toute drogue. Cette loi s’applique moins aux drogues douces qu’aux drogues dures, telles que l’héroïne et la cocaïne. Sous le Premier ministre Guy Verhofstadt (Open VLD), le gouvernement fédéral a tenté début des années 2000 de légaliser les drogues douces. Il n’a jamais dépassé la politique de tolérance actuelle. La consommation particulière de cannabis demeure interdite, mais sa poursuite est la dernière priorité des services de police.

Chris Burggraeve estime tout à fait réaliste qu’on sorte le cannabis du code pénal en 2021, cent ans après son interdiction. « Depuis peu, les supermarchés suisses de Lidl proposent des cigarettes de cannabis à teneur en THC d’1% maximum alors que les autorités suisses savent aussi bien que leurs homologues belges ce qui est bon et mal pour leurs concitoyens. Pourquoi ne serait-ce pas possible chez nous ? C’est une tendance internationale que la Belgique ne peut arrêter. Notre pays légalisera le cannabis. C’est seulement une question de temps. »

Selon Burggraeve, il y a plus de soutien que ce que s’imaginent la plupart des politiques. L’entrepreneur se base sur une enquête réalisée par le bureau d’études de marché InSites Consulting auprès de 1001 Belges âgés de plus de 15 ans. 17% indiquent avoir un jour fumé un joint. 6% ont déjà usé de drogues dures. 38% estiment que l’Etat doit traiter le cannabis de la même façon que l’alcool et le tabac, et un peu plus de personnes trouvent le cannabis moins nocif pour la santé que l’alcool.

Tom Decorte, professeur en criminologie à l’Université de Gand et le principal spécialiste de drogue de notre pays, se bat depuis des années pour la législation de toutes les drogues. Pourtant, il ne trouve pas une bonne idée de commercialiser la vente de produits de cannabis. « Les entreprises comme Toast veulent convaincre un maximum de gens d’allumer un joint. Je ne cautionne pas cela. Je ne veux inciter personne à consommer de la drogue. »

Decorte estime qu’il faut confier la production et la vente de cannabis aux organisations sans but lucratif contrôlées par l’Etat. « De cette façon, vous sortez le secteur de la criminalité et vous veillez sur la qualité. » Pour lui, il vaut mieux d’abord légaliser la culture à domicile. Ce professeur n’a rien contre les consommateurs qui ont cinq ou six plantes chez eux, pour leur propre consommation. Il n’a rien contre les drogues consommées dans les associations fermées ou lesdits Cannabis Social Clubs. « Mais pas comme en Espagne, où ces clubs sont presque tous aux mains d’entreprises commerciales. »

Doigts brûlés

Aux États-Unis, l’industrie du cannabis bénéficie d’un soutien inattendu: différents ténors du Parti républicain lui sont favorables. John Boehner ancien président de la Chambre des représentants est lui-même administrateur d’une entreprise de cannabis. Andrew Cuomo, le gouverneur démocratique de l’état de New York, qui a lutté pendant des années contre la légalisation du cannabis, a laissé entendre qu’à présent elle est négociable. En avril, le capricieux président américain Donald Trump a rappelé son ministre de la Justice à l’ordre quand ce dernier a voulu étudier la légalisation du cannabis dans une série d’états américains.

On n’en est pas encore là en Belgique. D’après Tom Decorte, il n’y a aucune chance, malgré le soutien croissant de la société, que le cannabis récréatif devienne légal sur notre territoire avant 2021, comme l’espère Chris Burggraeve. « Un parti comme la N-VA se profile justement sur la lutte contre la drogue. La plupart des politiciens belges ont de toute façon peur de se brûler les doigts sur les joints. Sous Verhofstadt, les Verts plaidaient pour la politique de tolérance, mais après, se sentaient utilisés par les autres partis. J’en ai déjà parlé aux ténors de Groen : ils disent qu’ils sont sur la même longueur d’onde, mais ajoutent qu’ils ne mèneront pas le débat. Un groupe de travail parlementaire où tous les experts sont entendus, à court terme, c’est la seule chose qu’on peut espérer. »

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