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La Belgique entre les mains de ses pires ennemis

Bart De Wever en grand vainqueur, c’est le thème de la rupture et du changement qui a gagné en Flandre. Mais côté wallon, c’est le PS d’Elio Di Rupo qui remporte la mise, avec un slogan misant sur la stabilité et la durabilité… C’était déjà mal parti pour qu’ils s’entendent. Et pourtant, PS et N-VA vont devoir négocier.

Deux mondes. « Deux démocraties », relève Bart De Wever. Et dans la bouche du nouvel homme fort de Belgique, le constat n’est pas forcément rassurant. Il risque d’alimenter la conviction du chef de file de la N-VA que ce pays n’a décidément plus grand chose en commun. Que ses électeurs ne parlent vraiment plus d’une même voix quand ils sont appelés aux urnes.

Ce scrutin fédéral de 2010, sous haute tension communautaire, s’annonçait éminemment sensible. Redoutable. Décoiffant. Il a fait plus que tenir ses promesses. Il se clôture par un résultat qui creuse encore plus le fossé entre le nord et le sud du pays. Le contraste est saisissant. Net et sans bavures. Sans suspense.

Les sondages l’annonçaient, le verdict des urnes l’a pleinement confirmé. Une partie significative de la Flandre a clairement joué la carte de l’audace, prête à l’aventure. Elle propulse un parti à la vocation ouvertement séparatiste vers des sommets inégalés dans l’histoire du nationalisme flamand. La N-VA de Bart de Wever capte quelque 30% des voix flamandes, passerait de 8 à 28 députés. Première force politique en Flandre, premier parti à la Chambre.

Le signal adressé par le nord du pays est on ne peut plus clair. Et c’est la présidente du grand battu à ce scrutin au nord du pays, la CD&V Marianne Thyssen, qui l’a lourdement signalé pour expliquer la nette défaite de son parti: « La déception de l’électeur flamand devant l’absence de grande réforme de l’Etat ». Un vote à teneur éminemment communautaire en somme, qui traduit une impatience désormais non dissimulée pour une Flandre libérée, désireuse de vivre sa vie.

L’écho que lui renvoie le sud du pays est d’une tout autre nature. Il s’est massivement porté sur une valeur-refuge en période de crise économique. Celle incarnée par le PS, l’autre grand vainqueur de ce scrutin. « Nu durven veranderen », « oser changer maintenant », clamait la N-VA en campagne. « Un pays stable, des emplois durables », répliquait le PS. Les Wallons, et les Bruxellois, ont clairement opté pour la stabilité, là où la Flandre veut du neuf.

Une Flandre qui déclare sa flamme pour une droite nationaliste, remuante, pressée de faire bouger les lignes. Un sud du pays qui maintient le cap d’une gauche qui se veut rassurante. Le bélier flamand contre le rempart wallon. La Belgique, déjà bien lézardée, y résistera-t-elle?

Lors de la soirée électorale, aucun mot de rupture n’a été prononcé entre des responsables politiques francophones tétanisés, inquiets, et l’homme fort d’une N-VA perçue comme le fossoyeur du pays. Bart De Wever enfile déjà le costume de circonstance: lui qui devrait avoir logiquement la main, clame « la nécessité de créer des ponts », annonce d’emblée une main tendue aux francophones. Lesquels ne semblent guère pressés de la saisir. Préférant attendre de voir. « Quand Monsieur De Wever est apaisant, je suis encore plus vigilant », résumait le PS Charles Picqué, le ministre-président de la Région bruxelloise.

On a déjà connu entrée en matière plus réjouissante pour former un gouvernement. Ce scrutin n’annonce pas une sortie rapide de crise politique, tant les sujets qui vont fâcher restent entiers. C’est de l’avenir de la sécurité sociale, du sort de la Région bruxelloise et de BHV, du futur des impôts, que les francophones, le couteau sur la gorge, vont devoir discuter avec un parti qui ne rêve que de scission de la sécu, de disparition de la Région bruxelloise, de scission de BHV, de régionalisation des impôts. « Ce n’est plus un parfum de crise, c’est un flacon de crise », lançait la tête de liste CDH au Sénat, Francis Delpérée, le regard en coin vers un Bart De Wever qui cache encore habilement son jeu.

Vers un Di Rupo Ier?

Quel visage pourrait offrir un gouvernement enfanté dans des conditions aussi ingrates? Les paris sur la future coalition restent ouverts. Mais une formule risque de tenir la cote, au moins un temps. Une aile flamande alimentée par une N-VA triomphante, un CD&V mal en point et un SP.A qui limite la casse. Et un versant francophone aux allures d’Olivier: avec un PS fringant, un CDH soulagé, des Ecolos confortés mais sans plus.

Cette configuration aurait plus d’un mérite: elle reflèterait les majorités régionales et communautaires qui sont au pouvoir au nord, au sud et au centre des pays. Elle disposerait de la majorité des deux tiers indispensable à une réforme de l’Etat. Et conserverait l’axe PS-CD&V, qui a officié dans toutes les réformes institutionnelles. Elle passerait par la mise hors jeu de la famille libérale, qui serait reléguée dans l’opposition à tous les niveaux de pouvoirs. Facilitée, dans le cas du MR comme de l’Open VLD, par leur défaite électorale.

Restera encore à marier l’eau et le feu avant de faire prendre la sauce. A concilier l’austérité budgétaire réclamée par la N-VA et la rigueur budgétaire consentie par le PS. A trouver surtout un terrain d’entente communautaire.

En route pour un… Di Rupo Ier? Sauf à envisager l’impensable, un Bart De Wever se voyant soudainement en Premier ministre de tous les Belges, la voie vers le 16 rue de La Loi s’annonce royale pour le président du premier parti de la première famille politique du pays qu’est désormais la famille socialiste. Mais avant que la Belgique n’hérite de son premier Premier ministre wallon depuis… 1974, elle reste suspendue aux faits et gestes de celui qui, avec son parti, rêvent de la voir disparaître: Bart de Wever et la N-VA dictent leur loi. Scrutin historique. Et surréaliste.

Pierre Havaux

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