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« L’Open VLD plus irresponsable que la N-VA »

Un sage dans la tempête. Vincent de Coorebyter n’a pas l’habitude de s’exprimer à la légère. Mais, cette fois, le président du Crisp, prend le risque de se mouiller en formulant « une hypothèse » susceptible de pacifier la Belgique. « Cela va faire hurler les deux camps », prédit-il.

Le Vif/L’Express : En lançant un ultimatum, puis en provoquant la chute du gouvernement, le parti libéral flamand a-t-il fait preuve d’irresponsabilité?

Vincent de Coorebyter: Le VLD a utilisé des procédés qu’on prêtait à la N-VA. Certains craignaient que la N-VA n’adopte une stratégie de pourrissement, fomente des plans susceptibles de déclencher d’imprévisibles conséquences en chaîne. Ces procédés-là, en définitive, la N-VA ne les a pas utilisés. En menaçant de quitter le gouvernement flamand au cas où trop de concessions seraient accordées aux francophones, elle a bien sûr fait monter la pression. Mais ce n’était pas une décision explosive de nature à entraîner tout le monde dans un engrenage que plus personne ne maîtrise.

Le jeu de l’Open VLD se révèle beaucoup plus dangereux… Quand l’Open VLD exige que la séance de la Chambre se tienne malgré la démission du gouvernement, on voit bien les conséquences en chaîne potentielles. Elles sont d’autant plus dangereuses que cela risque de déboucher sur des élections jugées anticonstitutionnelles en Flandre. Reconnaissons que la N-VA n’a jamais rien fait de tel.

Selon vous, l’Open VLD se révèle donc plus irresponsable que la N-VA?In fine, oui. A la surprise générale.

Même le plombier de génie qu’est Jean-Luc Dehaene a échoué dans le dossier BHV. La crise actuelle indique-t-elle que toutes les possibilités de compromis « à la belge » sont épuisées?

Nous sommes peut-être arrivés au bout d’une certaine manière de traiter les questions linguistiques. Jean-Luc Dehaene a été l’artisan de la solution négociée en 1987-1988. A l’époque, on est en plein dans le cyclone des Fourons. Avec la loi de pacification linguistique, on croit vider la querelle: on prend des dispositions pour les Fourons et pour les communes à statut linguistique spécial, on ne scinde pas Bruxelles-Hal-Vilvorde, et les francophones obtiennent le bétonnage des facilités dans la Constitution. De plus, en 1988, on crée des institutions pour la Région bruxelloise. Certains ont alors espéré que les problèmes étaient réglés.

Pourquoi l’accord de 1988 n’a-t-il pas empêché les tensions de renaître?

La loi de 1988 est quasi illisible, tant elle est compliquée. Dans les Fourons, à Comines et en périphérie bruxelloise, elle installe des dispositifs très techniques qui satisfont les deux parties. Mais elle ne résout en rien le problème de fond. Elle ne modifie pas l’opposition de deux logiques politiques. Elle ne clarifie pas les divergences d’interprétation. Sur BHV, on constate une opposition frontale entre la logique flamande, qui estime que les lois de 1962-1963 n’étaient qu’une étape vers une homogénéité linguistique intégrale, et la logique francophone, qui considère ces mêmes lois, et donc les facilités, comme définitives. A partir de là, on est vraiment dans deux univers intellectuels différents.

Selon le politologue Carl Devos, ce n’est plus d’un plombier dont la Belgique a besoin, mais d’un architecte.

Un architecte ou un diplomate… Ou, peut-être, une discussion franche.

Laquelle?

L’enjeu, c’est de redéfinir la place du français dans la périphérie bruxelloise. La hantise des Flamands, c’est la tache d’huile francophone, qui ne cesse de gagner du terrain au détriment du néerlandais. La hantise des francophones, c’est l’éradication du français dans la périphérie bruxelloise. Je lance une hypothèse, inspirée du pacte d’Egmont, qui va faire hurler des deux côtés. Les francophones renonceraient à leurs prétentions sur la périphérie. Ils s’engageraient à ne plus tenter de modifier la frontière linguistique. En contrepartie, les Flamands concéderaient une légère retouche au tracé de la frontière, et le rattachement d’une ou deux communes à facilités à la Région bruxelloise. Mais, pour le reste, la frontière linguistique serait gravée dans le marbre. Le sens des facilités serait aussi clarifié: les Flamands accepteraient leur maintien définitif et leur application souple dans les six communes qui en disposent actuellement. Dans ces mêmes communes, les droits judiciaires et électoraux des francophones seraient également préservés, mais pas dans les autres communes de Hal-Vilvorde.

De telles concessions sont inacceptables, tant pour les francophones que les néerlandophones.

Ce n’est certainement pas un plan à prendre ou à laisser, mais un exemple d’un autre type de solution. L’objectif serait double: une clarification juridique, un engagement politique pour l’avenir. Au point où on en est, une nouvelle loi de pacification uniquement technique ne résoudra rien. Il faut changer de logique.

Pourrait-on imaginer que, pour sauver la Belgique, PS, MR, Ecolo et CDH renoncent de façon pure et simple aux droits des francophones de la périphérie?

Cela rejoint une critique adressée par Johan Vande Lanotte au PS, en 2005. Pour lui, défendre les habitants francophones de la périphérie, plutôt aisés, n’appartient pas à la mission historique des socialistes. Mais ne perdons pas de vue que les partis, devenus tous unilingues, ne rendent des comptes qu’à leur communauté. Ils sont donc l’expression naturelle des intérêts de cette communauté. J’imagine mal les partis francophones dire tout à coup: il nous a fallu quarante ans pour le comprendre, mais les Flamands ont raison, les francophones en Flandre sont des immigrés, ils n’ont qu’à s’adapter. Ce serait un mélange de cynisme et de moralité supérieure, dans le cadre d’un grand troc garantissant la survie de la Belgique. Abandonner les francophones de la périphérie pour préserver le reste: la sécurité sociale, l’unité du pays, le financement de Bruxelles. Les francophones de la périphérie seraient un peu les sacrifiés de l’Histoire, sur l’autel des intérêts des Wallons et des Bruxellois. Cela me paraît inconcevable.

Résumons. Un: la plomberie institutionnelle atteint ses limites. Deux: la « discussion franche » que vous évoquez implique des concessions inacceptables de part et d’autre. Trois: les partis francophones ne lâcheront pas la périphérie. Dès lors, la Belgique peut-elle survivre?

L’Open VLD a enclenché une mécanique dangereuse, en utilisant Bruxelles-Hal-Vilvorde comme prétexte, et en sachant très bien que les autres partis flamands ne pourraient pas faire autrement que de suivre. Mais il faut aussi souligner qu’à ce jour on ne voit que le dossier BHV susceptible de conduire tous les partis flamands à cette attitude. La crise de ces derniers jours concerne une question linguistique, pas l’architecture de l’Etat. En théorie, nous gardons une capacité à négocier une réforme de l’Etat.

Propos recueillis par François Brabant

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