Jogchum Vrielink (KU Leuven) © Diego Franssens

« L’instauration d’un état d’urgence temporaire en Belgique serait beaucoup plus efficace que de nouvelles lois »

Il n’y a pas de semaine qui passe sans qu’on lance une nouvelle mesure antiterroriste. « Inutile et contre-productif » estime Jogchum Vrielink, spécialiste en discrimination à la KU Leuven. L’instauration d’un état d’urgence temporaire, non prévu par la loi belge, serait beaucoup plus efficace.

Depuis les attentats de Paris du 13 novembre 2015, les mesures antiterroristes en Europe occidentale s’accumulent. La France a décrété l’état d’urgence pour au moins six mois, la vie publique à Bruxelles a été paralysée pendant presque toute une semaine, et il y a toujours des militaires qui patrouillent dans les gares. « Quand dans quelques années, on regardera derrière nous, on conclura probablement qu’on a exagéré » déclare Jogchum Vrielink. En tant que spécialiste en discrimination à la KU Leuven, il suit le débat antiterroriste à la trace et s’étonne de l’abondance de nouvelles lois qui doivent nous protéger contre d’autres attentats.

« En temps de crise, les politiques ont tendance à dérailler. La très grande majorité de ces mesures sont inutiles ou même contre-productives. Chaque année, le Moniteur belge atteint plus de 80.000 pages. C’est parfaitement ridicule, surtout dans un système où les retards judiciaires sont aussi importants qu’ici. Pourquoi promulguer encore plus de lois ? »

Ne faut-il pas de législation pour lutter contre le terrorisme ?

Jochgum Vrielink: Nous avons déjà énormément de législations pour agir contre le terrorisme. En outre, ce n’est pas l’ajout de lois en soi qui aidera à lutter contre le terrorisme. Pour cela, il faut investir en maintien : davantage de police, de juges d’instruction, plus d’argent pour le parquet et pour le système de détention. Tout cela coûte évidemment très cher. Pour les politiques, il est bien meilleur marché et médiagénique de promulguer une loi et de la présenter comme solution miracle.

En outre, une grande partie de cette nouvelle législation est de piètre qualité, parce qu’elle a été rédigée rapidement et adoptée en catastrophe au parlement. Souvent, le Conseil d’État formule des objections majeures, parce que ces projets de loi compromettent certains droits fondamentaux. Mais ces avis sont facilement ignorés. Et toutes ces lois ralentissent la chaîne judiciaire et compliquent la résolution des problèmes.

Pourriez-vous donner un exemple concret?

Peu de temps après les attentats contre Charlie Hebdo, voyager à l’étranger pour commettre un crime terroriste est devenu un crime terroriste. Cette loi est parfaitement superflue. « Tenter de commettre un attentat terroriste » était déjà interdit avant. En outre, cette loi présente le risque d’être appliquée surtout contre les Belges de couleur qui rallient une destination « suspecte ». On peut donc se demander si ces lois ne contribuent pas à la discrimination.

L’apologie du terrorisme doit-elle devenir punissable, comme le propose le MR ?

Je pense qu’on limiterait trop la liberté d’expression. L’apologie du terrorisme est blessante, mais en soi inoffensive. Il est prouvé que ces mesures touchent surtout les plus faibles de la société qui ne tendent pas vers le terrorisme, comme un clochard frustré qui hurle sur la police. Ou quelqu’un qui diffuse un message provocant sur un forum internet. Ces gens ne présentent pas de danger pour la société.

L’intention du bourgmestre de Coxyde Marc Vanden Bussche (Open VLD) d’interdire l’accès à la piscine aux demandeurs d’asile vous a-t-elle étonné?

Même s’il y a vraiment eu une agression, ce qu’on ne sait pas, on ne peut jamais infliger de sanctions qui visent tout un groupe de la population. Je pars du principe que le bourgmestre l’ignorait. En revanche, je trouve inquiétant que les ténors de l’Open VLD le défendent. Venant d’un parti libéral, c’est vraiment incompréhensible.

Comment se fait-il que les politiques dépassent les bornes aussi facilement?

Ils veulent faire preuve d’esprit de décision. Un grand nombre de politiques considèrent le droit comme une boîte à outils et les juristes comme des techniciens qui n’ont qu’à bricoler jusqu’à ce que les mesures soient adoptées. J’ai l’impression que beaucoup de politiques voient l’État de droit comme un obstacle.

Comment lutter contre cette situation?

Si on est vraiment convaincu qu’il faut de nouvelles mesures, on pourrait les instaurer temporairement, par exemple pour deux ans. On pourrait également envisager de décréter l’état d’urgence, afin de pouvoir suspendre provisoirement certains articles de la Constitution. L’avantage de cet état d’urgence, c’est qu’il est temporaire, de sorte que les mesures exceptionnelles dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ne deviennent pas la nouvelle norme. En Belgique, la possibilité d’un tel état d’urgence résoudrait beaucoup de choses.

Au sein de la communauté musulmane, l’impression règne que beaucoup de nouvelles lois sont contre l’islam. Est-ce la vérité ?

C’est souvent le cas. L’interdiction de signes religieux, l’interdiction de la burka et du burkini ont été édictées par rapport à l’islam. C’est dû à la laïcisation de la société. Nous venons pour ainsi dire de dompter les catholiques et voyons les musulmans comme une menace. L’interdiction du voile aux guichets se défend si on adopte une position stricte sur la laïcité, même si celle-ci n’a jamais fait partie de la tradition belge.

Cependant, l’interdiction du voile dans l’enseignement officiel est parfaitement illégale. Le Conseil d’État a déclaré fin 2014 qu’une interdiction enfreignait la liberté de religion, hormis en cas de pression démontrable ou de perturbations de l’ordre. Si demain, un parent se rend au tribunal pour lever l’interdiction, on lui donnera raison. Mais manifestement l’enseignement officiel part du principe que les élèves touchés viennent de groupes défavorisés qui n’ont pas les moyens d’entamer un procès. C’est très fâcheux.

Et quand des musulmans fondent leurs propres écoles, on leur reproche d’organiser leur propre ségrégation, alors que l’enseignement officiel l’a cherché.

Vous vous opposez également à l’interdiction de la burka. Pourquoi ?

Les arguments pour instaurer l’interdiction ne tiennent pas debout. La sécurité n’est pas compromise parce qu’on porte une burka. Les employés de la sécurité peuvent parfaitement demander une femme vêtue d’une burka de s’identifier. En outre, une enquête empirique réalisée en France, aux Pays-Bas, en Belgique et au Danemark, démontre qu’en Europe, les femmes optent souvent elles-mêmes pour la burka. On peut donc difficilement prétendre au nom des droits de la femme qui faut leur refuser ce choix.

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