Olivier Mouton

L’inacceptable dérapage de Rudi Vervoort et l’irresponsabilité des politiques

Olivier Mouton Journaliste

En comparant la déchéance de la nationalité à la politique nazie, le ministre-président bruxellois risque de banaliser l’innommable. Quand donc nos responsables politiques cesseront-ils l’injure et le positionnement stérile? Car l’heure de la défiance est grave.

C’est décidément plus fort qu’eux: ils doivent s’injurier, se positionner, se malmener ! Le sursaut d’union politique généré par les attentats de Paris et la menace pesant sur la Belgique n’aura duré que le temps de quelques paroles de circonstances, sans même trouver de concrétisation au Parlement. Voici revenu le temps des invectives, des confrontations idéologiques et des luttes de pouvoir. Comme si le positionnement marketing était devenu la seule raison d’être de nos dirigeants, même quand aucune échéance électorale n’est prévue dans un horizon proche. Comme si la pitoyable lutte des partis pour leur survie et leur domination éclipsait toute autre considération.

Rudi Vervoort, ministre-président bruxellois, a perdu les pédales en comparant la déchéance de la nationalité belge à « l’arme extrême du régime nazi ». Certes, on peut contester l’efficacité attendue de cette décision qui figure dans le paquet de douze mesures annoncées par le gouvernement fédéral pour lutter contre le radicalisme. Un expert judiciaire comme Damien Vandermeersch a souligné, dans un entretien au Vif/ L’Express la semaine dernière, que ce pouvait être contre-productif en stigmatisant une population déjà discriminée par ailleurs. Mais au lendemain de la commémoration des 70 ans de la libération des camps de concentration, ce sont-là des mots que l’on doit utiliser avec parcimonie si on veut leur conférer une juste dimension et ne pas banaliser l’innommable.

Sans doute faut-il y voir quelque convulsion interne au Parti socialiste. Après l’appel à une plus grande fermeté de la part du président Elio Di Rupo, l’aile plus radicale proche de l’ancien vice-président Philippe Moureaux s’était exprimée pour dénoncer une forme de démagogie sécuritaire et dénoncer le « racisme du MR ». Une passe d’armes qui démontre la difficulté de tenir une ligne claire face à la complexité de cette « guerre » déclarée à notre démocratie, dont les motivations sont plurielles et pour laquelle les remèdes doivent être tant répressifs que préventifs. Rudi Vervoort s’est excusé: « Mon intention était d’ouvrir le débat, pas de blesser. » Faute avouée, à moitié pardonnée, il n’en reste pas moins que ces mots étaient de la nitroglycérine. Et que les libéraux s’en sont rapidement emparés pour stigmatiser l’adversaire.

Après Paris et Verviers, l’intention avait été affichée d’oeuvrer ensemble à la lutte contre ce radicalisme qui nous menace et inquiète à juste titre, parfois de façon irrationnelle. Résultat ? Les gouvernements fédéral, régionaux et communautaire ont présenté leur plan de lutte en ordre dispersé. Les partis représentés à la Chambre ne se sont pas concertés une minute pour tenter de rédiger des textes de loi communs. Derrière des mots rassembleurs, le Premier ministre Charles Michel s’est avant tout réjoui de voir que cette lutte figurait en bonne place dans l’accord de gouvernement, in tempore non suspecto. Un jackpot potentiel auprès d’électeurs transis de peur.

Du côté flamand, le CD&V exprime de plus en plus ouvertement son exaspération à l’égard d’une N-VA qui tire avec une arrogance certaine les marrons de ce climat anxiogène. Le bras de fer fédéral provoque des convulsions jusqu’au parlement flamand, au sein de la majorité homogène N-VA – CD&V – Open VLD. Qu’importe la gravité du moment, chacun pense d’abord à sa propre chapelle.

Les rapports entre les niveaux de pouvoir ne sont guère plus sereins. Un comité de concertation a lieu ce mercredi, avec pas moins de dix-sept points à l’ordre du jour. Autant de sujets de frictions, essentiellement mis à l’agenda par les Régions bruxelloise et wallonne. Les ministres-présidents Paul Magnette, dans Le Soir, et Rudy Demotte, dans les colonnes du Vif à paraître ce jeudi, appellent à davantage de loyauté fédérale de le part du gouvernement Michel. Ce dernier s’inquiète pour sa part des penchants radicaux de socialistes francophones, qui n’ont pas hésité à saluer chaleureusement le victoire de la coalition Syriza en Grèce, en s’apprêtant à ferrailler sur le plan budgétaire.

Soyons de bon compte. Cette nervosité politique s’explique par la conjoncture issue des élections du 25 mai dernier, mais aussi par l’ampleur des défis auxquels notre société est confrontée. Entre les emplois à créer, les budgets à maintenir sur les rails, la paix sociale à construire, la société multiculturelle à apaiser, l’enseignement à revitaliser…, les missions sont d’une ampleur colossale. Or, nos dirigeants politiques ont perdu de leur pouvoir face à l’Europe et à l’économie globalisée et compensent parfois leur impuissance par l’éclat des mots. Soyons de bon compte encore: les médias instantanés et les réseaux sociaux privilégient trop souvent petites phrases et dérapages aux vrais débats de fond, qui en deviennent illisibles.

Mais à l’heure où une enquête du Soir démontre que seuls 5% des jeunes de 18 à 30 ans pensent encore que le vote sert à quelque chose et que 46% d’entre eux estiment que la démocratie fonctionne mal, ces prises de becs à répétition et ces combats d’apothicaires font davantage que lasser: elles indignent et elles inquiètent !

Le sursaut, le vrai, doit avoir lieu d’urgence. Pédagogique. Constructif. Sincère. En un mot comme en cent: digne. Ce sens de la responsabilité retrouvée des politiques doit être accompagné d’une conscience médiatique et d’une vigilance de tous les instants face à la médiocrité. Nous avons un peu du temps pour le faire: la prochaine échéance électorale, communale, n’a lieu qu’en 2018.

C’est un chantier vital. Faute de quoi, dans le contexte de crise économique et morale que nous traversons, les populistes auront un boulevard devant eux. Il risque de venir un temps où les vrais démocrates n’auront plus que nos larmes pour le regretter.

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