« L’impunité permet que des milliers de personnes se retrouvent à la rue. Ou dans une fosse commune »

En ces temps difficiles, le cas ING en tête, deux termes sont régulièrement agités : le cynisme et l’impunité.

Le cynisme a souvent été évoqué depuis l’annonce de restructuration de la banque néerlandaise. Mais le mot « impunité » est bien plus pertinent que celui-ci. Parce qu’il est le nom, lui, des maux de ces dernières années : la certitude, ou la conviction, pour la plupart des décideurs, qu’en fait, ils ne risquent jamais rien.

Cynisme. C’est l’un des termes le plus entendu, le plus lu, depuis ce 3 octobre et l’annonce des 3 150 emplois supprimés, à court terme, en Belgique, par la banque néerlandaise ING : son  » cynisme « . On peut pourtant, d’abord, discuter du bien-fondé de son utilisation. Tant il est vrai que le cynisme, rappelle le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), est  » le mépris des conventions sociales, de l’opinion publique, des idées reçues  » et qu’il est  » généralement fondé sur le refus de l’hypocrisie et/ou sur le désabusement, souvent avec une intention de provocation « . On imaginait donc ces fossoyeurs sociaux en plus ou moins vieux Picsou véreux, vénaux, ricanant de l’infortune des autres – d’autant plus réjouissante qu’elle gonfle encore leurs propres richesses. Des gens sans valeur (on veut dire ici morale), sans foi, sans compassion pour rien ni personne, qui ne visent qu’à nous plumer jusqu’à la dernière génération. Or, leur  » cynisme  » les rangerait, donc, dans les rangs des rebelles. Au mensonge, au qu’en-dira-t-on, aux oeillères, au figé, à l’ordre établi par une autorité suprême qui fait marcher tout le monde au pas. Plus vraiment des salauds, dès lors. Plutôt des héros d’aventures épiques. Tapez  » cynisme  » sous l’onglet  » synonymie  » du CNRTL, vous verrez apparaître :  » immoralité, brutalité, inconvenance  » mais aussi  » hardiesse, audace et effronterie « .

Ce qui équivaut à dire que, surtout lorsqu’il est question de business, l’audace ne consiste pas seulement à se lancer, à innover, à risquer. C’est, aussi, donner l’ordre de passer le personnel à la moulinette. Dans les deux cas, l’objectif étant de maintenir ou augmenter son chiffre d’affaires et son bénéfice. Et, si l’on accepte que peu de dirigeants et d’actionnaires d’entreprise souhaitent que leurs marges diminuent, on comprend facilement qu’ils font de l’audace une vertu plus que cardinale. Un autre terme est agité, régulièrement, en temps de crise (politique, financière, économique, sociale) comme de guerre :  » l’impunité « . Il est bien plus pertinent que  » le cynisme « . Parce qu’il est le nom, lui, des maux de ces dernières années : la certitude, ou la conviction, pour la plupart des décideurs, qu’en fait, ils ne risquent jamais rien. Et que donc, tout leur est permis. Ou plutôt, tout leur est possible. Dans une toute récente chronique, Jacques Attali assénait ainsi que  » rien n’est plus dangereux : ceux qui se croient en situation d’impunité peuvent prendre des risques, peu inquiets de représailles qu’ils ne voient plus jamais venir « . Il évoquait ainsi, à ce titre, notamment la tragédie d’Alep, en Syrie, et l’alliance de Moscou,  » sans contestation, (avec) un épouvantable dictateur syrien que les Américains n’ont voulu ni défendre ni attaquer « .

Il serait indécent de comparer nos marasmes, plus ou moins neufs, aux horreurs quotidiennes auxquelles sont confrontées, depuis si longtemps, tant d’autres populations. Mais les premiers comme les secondes prouvent que c’est l’impunité qui ronge toutes nos sociétés. Parce qu’elle permet, sur un simple claquement de doigts, que des milliers de personnes se retrouvent à la rue. Ou dans une fosse commune. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas cynique. C’est honteux. Pour tous ceux qui laissent faire.