Ndiaye Mouhameth Galaye © Jelle Vermeersch

L’imam de la grande mosquée de Bruxelles : « Nous avons besoin d’un islam belge »

Montasser AlDe'emeh
Montasser AlDe'emeh   Montasser AlDe'emeh étudie la radicalisation islamique, le jihad international et les combattants belges en Syrie. (Université Radboud de Nimègue)  

Ndiaye Mouhameth Galaye est l’homme derrière la grande mosquée à Bruxelles. C’est probablement l’imam le plus important de notre pays. Et pourtant il est un illustre inconnu pour la plupart d’entre nous. « Je n’ai rien à cacher »dit-il. Interview.

Ndiaye Mouhameth Galaye a fait la une des médias lorsqu’il a été entendu par la commission sur les attentats du 22 mars. Savait-il que des Belges partis combattre en Syrie avaient étudié le coran dans son Centre Islamique et Culturel de Belgique (CICB)- un centre qui accueille chaque année des milliers de musulmans qui viennent prier et apprendre l’islam- ? Il jure que non. Un rapport de la sécurité de l’État avance pourtant qu’au moins deux jeunes combattants y auraient suivi des cours de religion islamique. Aurait-il dès lors menti ? L’introduction d’une plainte est sérieusement à l’étude.

Tout cela ne semble pourtant guère ébranler Ndiaye qui nous reçoit dans un petit appartement dans le centre de Bruxelles. « Vous saviez que, juste après les attentats de Bruxelles, j’étais l’une des personnes les plus interviewées au monde », dit-il en guise d’introduction. « J’ai été interviewé par des journalistes venus des quatre coins du monde. Seuls les médias belges ne m’ont rien demandé. Vous êtes les premiers à me rencontrer pour un long entretien. »

Comment avez-vous atterri en Belgique ?

Ndiaye: J’ai rencontré et épousé une Belge il y a quelques années. Le mariage n’a pas tenu et nous avons divorcé. Mais je suis resté en Belgique où j’ai commencé en tant que professeur de religion avant de rejoindre le CICB en 2014. C’est ma connaissance du français qui a été déterminante pour ma nomination. La plupart des candidats ne parlaient que l’arabe. Ce qui, à mon avis, est problématique. Beaucoup de jeunes sont nés ici et ne connaissent que peu l’arabe. Comment les guider correctement si on ne parle ni le français ni le néerlandais ?

Il y a trop peu d’imams compétents en Belgique ?

Hélas oui. Beaucoup débarquent du Maroc ou d’Algérie et commencent directement à prêcher sans tenir compte du contexte européen et encore moins belge. Les imams devraient être formés sur place et dans la langue du pays, sous peine de se chamailler. Notamment sur la position de la femme, comment doit-on vivre notre relation aux autres, de quelle façon se positionne-t-on dans notre société, etc. Les imams de Belgique doivent mieux communiquer entre eux sur ces sujets. Par exemple, porter un niqab en Belgique, c’est ridicule. Je trouve que c’est une dérive et que cela ne va pas ici. Ce genre de vêtement est même dangereux pour le vivre ensemble. Qui sait si un homme avec de mauvaises intentions ne se cache pas en dessous. Je trouve que la sécurité doit être placée au-dessus de tout. Je l’ai déjà dit haut et fort lors d’une conférence et j’ai été applaudi pour ça. (…) On ne le répète jamais assez: les hommes et femmes sont égaux dans l’islam.

Les couacs qui existent entre la communauté islamique et ses institutions sont la faute de l’état ?

Je ne dis pas ça, mais j’accuse tout de même les autorités de négligence. Il y a beaucoup trop peu de collaboration entre les autorités de contrôle et les imams. Il y a aussi beaucoup trop peu de mesures contraignantes pour obliger les institutions islamiques à collaborer entre elles. La grande mosquée n’est même pas reconnue, même s’il s’agit d’une question purement administrative. N’est-il cependant pas étrange que ce qui a été donné dans les années 1960 par le roi doive obtenir une reconnaissance spécifique ? Je me demande parfois si les politiciens s’intéressent vraiment à ce que nous faisons.

Peut-être ont-ils peur de la réputation de pépinière salafiste qu’a la grande mosquée ?

Je le pense et le CICB en est la victime. Si cela a été, un jour, bien avant que j’arrive, un centre salafiste, je peux vous assurer que depuis que je suis là elle n’est absolument pas un centre salafiste ni wahhabite d’ailleurs.

Vous défendez le point de vue qui veut que le Coran ne doive pas être réformé ?

(Surpris) Si je dis que le Coran ne peut être réformé, cela ne concerne en rien l’interprétation. Nous ne devons pas toucher au texte initial, car cela ne serait plus le Coran. Mais une bonne connaissance du Coran peut et doit être ouverte à des ajustements. Notamment au contexte sociétal de la Belgique. Une application rigide du Coran n’est pas possible en occident. Nous avons besoin d’un islam belge.

Et vous, en tant qu’imam le plus important de Belgique, ne pouvez-vous pas apporter ce message à toutes les mosquées de Belgique?

Je ne suis hélas pas invité. Je peux difficilement m’incruster dans les mosquées et commencer un prêche. Ce serait très mal venu.

Revenons à la réputation salafiste de la grande mosquée. Il a été prouvé que certains de ses étudiants ont rejoint la Syrie. Comment l’expliquez-vous ?

Ce n’est pas parce que le centre est lié à l’Arabie Saoudite qu’il partage forcément ses idées.

Souffrez-vous de l’image négative de la grande mosquée ?

Oui, nous sommes victimes de la presse et de certains politiciens. Je ne vais pas citer de noms, mais pour la presse il y a eu clairement une sorte de cabale pour nous coller une image de pouponnière du wahhabisme et du salafisme. J’ai déjà essayé de m’expliquer lors d’une conférence de presse, mais de nombreux médias m’ont fait passer pour un menteur. On m’a fait dire des choses que je n’ai jamais dites.

Vous êtes tout de même soupçonné de mensonges et faux témoignage par la commission d’enquête…

On ne m’a officiellement toujours rien signifié. Je trouve ça plutôt ridicule. Je n’ai fait que témoigner devant la commission. Je n’y étais pas en tant que suspect. Qu’est-ce que je peux dire sur des choses que j’ignore. Je ne suis qu’un théologien. Le CICB est dirigé par mon directeur.

Momenah, votre directeur est-il un salafiste ?

(Rire) Mais non, c’est simplement un ex-militaire. Entre imams, nous appelons ce genre de croyant des musulmans lambda. Le directeur n’est pas théologien instruit. Nous ne parlons d’ailleurs jamais de la religion ou de sujets théologiques. Les salafistes rejettent la société moderne et je n’ai pas l’impression que mon directeur fait cela. Nous savons bien quelles dangereuses mosquées se trouvent derrière le recrutement et la radicalisation des jeunes et ce n’est pas la grande mosquée.

Vous arrive-t-il de consulter l’exécutif des musulmans sur ces mosquées à risque ?

(Circonspect) Nous n’avons pas de problème avec l’Exécutif. Notre relation est bonne, mais il arrive que ça coince. Comme lorsqu’il organise une marche après les attentats du 22 mars et qu’il ne nous convie pas à le rejoindre. Certains ont dit que nous ne voulions pas venir, mais c’est faux. Ces affirmations sont méprisables. En réalité nous n’avons que peu de contacts officiels avec l’exécutif.

Collaborez-vous avec la police et les services de sécurité ?

Parfois, nous avons un policier qui débarque et, lorsque c’est possible, j’apporte mon aide. Je ne suis qu’un professeur, pas un agent de police. Ce qui n’empêche pas que j’aie déjà, à plusieurs reprises, réussi à dissuader des jeunes radicalisés. Combien de fois je vais devoir le dire : nous ne sommes pas wahhabites ou salafistes. Au contraire, cela me pose même des problèmes. Dans les yeux des salafistes, je ne suis pas un bon musulman et certains s’abstiennent ostensiblement de prier avec nous. Je trouve leur conception regrettable. Mais je veux en même temps respecter cette diversité tant qu’il n’y a pas de pression ou de violence.

Pourquoi restez-vous au CICB ?

Parce que c’est mon gagne-pain et que je trouve que j’y fais du bon boulot. C’est idiot de rejeter le CICB et la grande mosquée parce que le bâtiment a été financé par l’Arabie saoudite. De toute façon pour désamorcer la propagande radicale, il faut surtout employer la voie de la théologie. Il faut déconstruire tant que ce peut les vieux textes. C’est ce que font les bons théologiens : déconstruire et reformuler.

Les musulmans radicalisés ne sont donc que des idiots qui ne réfléchissent pas pour vous ?

On leur a lavé le cerveau et ils ne comprennent plus leur propre religion. Ils suivent comme des esclaves ce qu’on leur dit et érigent leur islam au-dessus de tout.

Sharia4Belgium était l’un de ces groupes dont les membres et leurs leaders traînaient à la grande mosquée et au CICB …

Ces jeunes étaient sans connaissance ou bagage intellectuel. Tout ce qu’ils faisaient, c’était de rejeter la société et mal interpréter l’islam. Leur grand leader se trouve en prison à cause de toutes ses idioties.

Que doivent faire les autorités qu’elles ne font pas déjà ?

Les autorités doivent absolument collaborer davantage avec les mosquées et les associations islamiques. Elles doivent aller voir dans les mosquées qui représente quoi et si besoin intervenir lorsqu’un imam prône des idées dangereuses. Cela est aujourd’hui trop peu le cas. Mettez cet imam sous-pression, contrôlez-le. Cela devrait aussi être le cas pour ce que racontent les professeurs de religion islamique dans les écoles. L’état devrait collaborer de façon plus stricte sur l’enseignement de l’islam et de la façon dont il est donné.

Les autorités doivent s’en charger, dites-vous, mais quid des responsabilités de la communauté musulmane qui selon certains serait un peu trop muette sur le sujet?

Si vous n’entendez jamais ou presque la communauté musulmane, c’est aussi parce qu’on ne l’écoute pas.

Vous vous sentez Belge ?

Oui même si je suis Sénégalais et que je n’ai pas encore la nationalité belge. J’ai refait la demande ce mois-ci. Je vis ici et ma famille aussi, je travaille aussi ici et j’aime ce pays. Cela me paraît donc normal de demander la nationalité. C’est d’ailleurs la troisième fois que j’en fais la demande, mais les autres fois elle m’a été refusée sans que je sache vraiment pourquoi.

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