Eric de Beukelaer : "Homme de communication hors pair, le pape François a sorti l'Eglise de l'ornière." © FRANK ABBELOOS/BELGAIMAGE

« L’identité chrétienne, oui, l’identitaire, non ! »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

« Il faut avoir une identité forte, mais si elle est alimentée par la peur, le message d’amour chrétien peut devenir un message de rejet », estime Eric de Beukelaer, vicaire épiscopal du diocèse de Liège.

Il n’y a plus de honte à se déclarer catholique ?

Longtemps, tout ce qui était associé à l’Eglise était has been. Dans la culture ambiante, le pape, l’évêque, le curé étaient les symboles mêmes de la ringardise. Plus l’Eglise pesait dans la société, plus forte était l’envie de s’en détacher. Aujourd’hui, elle pèse tellement peu que le regard s’est inversé. De plus, notre société perd ses repères. Du coup, l’Eglise, par contraste, apparaît comme une institution solide, qui survit aux modes. Des mouvements tels que Taizé, dont les rencontres attirent des milliers de jeunes, ou Sant’Egidio, qui implante ses structures au service des exclus, notamment en Belgique, ont traversé avec succès les dernières décennies. L’Eglise, malade, s’est fabriqué quelques anticorps.

La chute de la pratique religieuse n’indique-t-elle pas que le déclin de l’Eglise catholique se poursuit, inexorablement ?

Ne comparons pas des pommes et des girafes ! Les formes de l’engagement chrétien ont complètement changé. Il y a un demi-siècle, la vie du croyant passait avant tout par la messe dominicale. Aujourd’hui, jeunes et moins jeunes expriment leur foi catholique d’abord par leur vie spirituelle, lors de grandes fêtes, aux Journées mondiales de la jeunesse, ou encore sur les réseaux sociaux. Il a fallu deux ou trois générations, depuis Mai-68, pour que disparaisse une religion socialement conformiste. Il faudra, à mon avis, encore deux ou trois générations pour édifier le christianisme du IIIe millénaire. L’Eglise ne redeviendra pas l’institution qu’elle était. Mais des communautés chrétiennes bien vivantes vont prendre la relève.

En France, la figure de l’intellectuel catholique est une réalité du paysage médiatique. Pourquoi n’est-ce pas le cas en Belgique ?

u0022La peur de l’islam pousse des chrétiens à s’interroger sur leur identitéu0022

C’est vrai, rares sont les prises de parole personnelles en Belgique, même si les relais de l’ancien pilier confessionnel dans la société sont toujours bien présents. Longtemps majoritaires dans le pays, les catholiques préfèrent, depuis Vatican II, s’engager dans la société, plutôt que de se distinguer au nom de leur identité religieuse. Le pilier laïque apparaît bien plus cohérent et structuré face aux débats de société. Il n’est pas rare qu’un homme public se présente dans les médias comme  » laïque et libre-exaministe « . A l’opposé, il est exceptionnel d’entendre un acteur de la société se déclarer  » catholique « , ou alors, c’est en y adjoignant un  » mais « , comme pour s’excuser. Le buzz fait par la  » confession  » de foi catholique de l’Ecolo Jean-Michel Javaux, début 2010, atteste qu’une attitude de ce genre n’est pas habituelle en Belgique, et je le regrette.

Les Belges sont néanmoins, selon les sondages, plus nombreux qu’autrefois à se reconnaître comme catholiques. Cela confirme une forme de  » réveil catho  » ?

Près des deux tiers des Belges francophones se disent aujourd’hui catholiques. Ils n’étaient que 43 % dans ce cas il y a cinq ou six ans. Au cours de la même période, les pratiquants sont passés de 4 à 20 %, toujours selon les sondages. Peut-on pour autant en déduire que 20 % des Wallons et Bruxellois se rendent chaque samedi soir ou dimanche matin à l’église ? Sûrement pas. Les enquêtes d’opinion montrent en réalité que la perception des catholiques a changé. Ceux qui ne vont à la messe qu’à Noël, à Pâques, aux baptêmes, aux mariages et aux enterrements ont plus tendance qu’autrefois à se dire pratiquants.

Pourquoi se dit-on plus volontiers catholique aujourd’hui ?

En partie parce que le scandale de la pédophilie, qui a fait un tort considérable à l’Eglise catholique, est sorti des radars médiatiques. L’Eglise de Belgique a proclamé la tolérance zéro en matière d’abus sexuels. Par ailleurs, avec le pape François, le style de l’Eglise a changé. L’homme a une façon décomplexée de s’exprimer. Il est surprenant de voir un pape donner aussi spontanément son avis sur tous les sujets, quitte à admettre a posteriori qu’il s’est trompé. Homme de communication hors pair, il a sorti l’Eglise de l’ornière. Et ce n’est pas que de la com ! Il est sur tous les fronts, celui de la défense des exclus, des migrants, de la planète… Du coup, quand il s’exprime sur l’avortement, parfois de façon très  » cash « , ses propos n’enflamment pas le monde et le Parlement belge. Son prédécesseur Benoît XVI, lui, était moins épargné.

Le réveil catho actuel n’est-il pas, avant tout, une réaction identitaire face à l’affirmation de l’islam ?

La peur de l’islam pousse les croyants à s’interroger sur leur identité. Aujourd’hui, à Liège, je vois de plus en plus souvent un chapelet pendre au rétroviseur intérieur des voitures. Par mimétisme, des chrétiens confrontés à la présence de signes religieux musulmans et à l’affirmation de plus en plus forte de l’islam adoptent parfois la même attitude. C’est compréhensible. Il est même bienvenu d’avoir une identité forte, qu’elle soit chrétienne, musulmane, laïque ou autre. Mais attention : si l’identité est alimentée par la peur, le message d’amour peut devenir un message de rejet. Les islamistes ont bien compris qu’ils avaient intérêt à encourager le repli identitaire catholique. C’est le pacte des faucons : les radicalismes se renforcent mutuellement. Il faut dénoncer l’attitude mentale qui consiste à séparer le monde entre  » eux  » et  » nous « . Ce comportement identitaire manifeste un manque de confiance en soi, une régression vers l’adolescence. Trop mou à l’intérieur, on a alors besoin, comme le homard, d’une carapace pour survivre et de pinces pour attaquer. En revanche, une identité forte permet d’avoir une colonne vertébrale solide, et donc une peau douce et des muscles souples.

Certains voient l’inscription de la laïcité dans la Constitution belge comme une réponse adéquate au fondamentalisme religieux.

Faire reculer les évêques de quelques rangs honorifiques n’empêchera pas grand-monde de dormir chez les catholiques. Supprimer le Te Deum de la fête nationale belge non plus. Mais cela va-t-il faire baisser le niveau d’insécurité ? Nous savons qu’il n’en est rien. Le seul antidote à la peur sociale qui s’installe dans nos sociétés est de développer la capacité de vivre ensemble.

La suppression progressive des cours de religion dans l’enseignement vous inquiète ?

La laïcité organisée se trompe en pensant que la question du radicalisme se réglera par la suppression des cours de religion à l’école. Permettre à chaque enfant d’être éduqué dans sa sphère spirituelle ne suffit pas. L’école est un lieu idoine pour creuser sa tradition spirituelle et ensuite construire des ponts. Organisons donc des classes de religion et morale laïque en commun pour les jeunes à partir de 15-16 ans, afin de les enrichir des autres spiritualités. L’affadissement de la culture religieuse nous déforce face à l’irruption de l’islamisme qui est, lui, un retour puissant du religieux. Le fondamentalisme ne se combat pas par  » moins de religieux « , mais par plus d’éducation à la spiritualité. Il faut combler les vides de sens qui conduisent des jeunes à s’engouffrer dans les projets les plus délirants. Comme le dit l’islamologue Rachid Benzine, l’Occident est devenu analphabète du point de vue religieux !

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