Charlie Le Paige

L’examen d’entrée en médecine est un recul inacceptable

Charlie Le Paige Président de Comac (jeunes PTB)

Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles fait voter aujourd’hui l’instauration d’un examen d’entrée dès l’année prochaine pour les études de médecine afin de limiter drastiquement le nombre d’étudiants.

Instaurer un examen d’entrée est un recul inacceptable. Cela ne résout en rien les pénuries ou les problèmes pour les étudiants, et impose en outre un filtre social renforcé. Il s’agit d’un combat historique du mouvement étudiant et des acteurs progressistes du monde de la santé auquel s’attaquent les ministres Jean-Claude Marcourt (PS) et Maggie De Block (Open VLD). Le seul grand gagnant est l’Absym, le syndicat corporatiste des médecins. C’est un mauvais choix poussé par le fédéral, et auquel le gouvernement PS-cdH à se décider de se plier. Il faut au contraire exiger la remise à plat du système de santé et de contingentement, et dégager des moyens de financement dans l’intérêt tant des étudiants que des patients du sud et du nord du pays. »

Un recul inacceptable pour les soins de santé et les patients

Les chiffres démontrent une pénurie dans plusieurs spécialisations et certainement en médecine générale, ce qui menace gravement l’accès aux soins de santé. 50 % des communes manquent de généralistes (dont 183 communes sur 308 en Flandre) et la situation ne fait que s’aggraver. En effet, la commission de planification s’est déclarée « inquiète » face aux prédictions pour 2037 de 7,94 médecins (équivalents temps plein) en Flandre et 5,09 en Wallonie pour 10 000 habitants, soit nettement sous le seuil de pauvreté médicale qui est à 9 pour 10 000. On estime également qu’il manque, déjà aujourd’hui, en guise d’exemple, 700 urgentistes en Belgique. Il faut ajouter à cela le vieillissement de la population, mais aussi l’augmentation des cas de maladies chroniques, telles que le diabète et l’obésité, qui nécessitent beaucoup de prévention et de suivi ainsi que la hausse des maladies psychiques. Tout cela laisse à penser que les besoins en soins de santé ne feront qu’augmenter dans le futur.

Les quotas fédéraux ne tiennent absolument pas compte de cette réalité dramatique. Au contraire, avec cet examen d’entrée, on veut priver encore plus d’étudiants de la possibilité d’entamer des études de médecine. L’accès et la qualité de nos soins de santé sont déjà en danger, et vouloir ainsi limiter drastiquement leur nombre comme le proposent les gouvernements est totalement irresponsable. Cela mène à une pénurie qui, dans le système actuel, a des conséquences dramatiques en termes d’inégalités sociales face à l’accès aux soins. On donne en effet un grand coup de boost aux inégalités et à la médecine : rapidité, efficacité et qualité pour ceux qui peuvent se l’offrir, listes d’attente et baisse de qualité pour les autres. Seuls ceux qui défendent une politique corporatiste et une médecine pour les riches ont intérêt à de telles mesures de sélection.

Rien de résolu pour les étudiants

Il n’y a toujours rien de garanti pour les numéros Inami des étudiants en cours de cursus. Les reçus-collés de l’année passée, ainsi que potentiellement les étudiants de BA1 de cette année restent dans l’incertitude totale. Tout comme les quelque 800 étudiants qui seront diplômés en 2017. Selon les déclarations de la ministre Maggie De Block, tous les numéros Inami surnuméraires alloués aux francophones devront être récupérés par le fameux  » lissage négatif « . Plus celui-ci sera court, plus les restrictions d’accès aux études devront être drastiques, ce qui pourrait mener, redoutent d’aucuns, à la fermeture temporaire de certaines facultés de médecine du sud du pays… (sans compter que cela aggraverait d’autant plus la pénurie).

De plus, comme l’ont soulevé les doyens des facultés de médecine francophones dans une lettre ouverte récente, avec la double cohorte d’étudiants qui finiront leurs études en 2018 (suite au passage des études de 7 à 6 ans), il devrait manquer 1061 places en stage côté francophone et 444 côté néerlandophone. « Il y a un besoin criant de maîtrises de stage et de places de stages de qualité au niveau fédéral, et un besoin significatif de moyens financiers au niveau fédéral et des Communautés. Sans des actions politiques concrètes, le véritable numérus clausus sera en fin de formation pour des centaines d’étudiants », constate cette même lettre ouverte. Cette double cohorte d’étudiants devrait être vue comme une opportunité de combler quelque peu la pénurie qui se creuse d’année en année plutôt qu’un fardeau auquel les gouvernements successifs n’ont jamais voulu faire face.

L’examen fonctionnera comme un filtre social renforcé

Mais ce n’est pas tout. L’instauration d’un examen d’entrée revient clairement à imposer un filtre social à l’entrée des études. Malheureusement, l’enseignement en Belgique fonctionne déjà de manière globale comme un instrument désastreux de reproduction des inégalités sociales dans notre société, comme le démontrent les études PISA. Cela a pour conséquence que les enfants d’ouvriers et de milieux populaires sont totalement sous-représentés à l’université. Toutes les dispositions de sélection ne font qu’aggraver cela en privilégiant les enfants issus des familles les plus aisées, qui ont été dans les meilleures écoles, ont bénéficié de plus d’aide à la maison (et d’éventuels cours particuliers), ont eu les meilleurs points et sont le plus préparés à la réussite de l’examen d’entrée. Sans examen, les enfants des classes populaires ont au moins eux aussi le droit d’essayer de réussir dans les études supérieures de leur choix. Avec l’examen d’entrée (et plus encore avec le contingentement), la porte leur sera encore plus directement et hermétiquement fermée. L’absence d’examen d’entrée n’est absolument pas une garantie d’un accès égalitaire à l’enseignement supérieur, mais son instauration garantit certainement un accès plus inégalitaire encore. La presse a ainsi relayé le fait que le ministre Marcourt estimait qu' » un étudiant sur dix  » seulement réussirait le futur examen. Il n’est pas difficile d’imaginer à quelles catégories sociales appartiendront très majoritairement ceux qui font partie des autres 90 %…

D’autant que les modalités de cet examen tel qu’il est prévu par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles renforcera encore l’aspect social de cette sélection : cette année, une seule épreuve aura lieu le 8 septembre, pour laquelle il faudra s’inscrire le 1er août et dont les résultats pourront être connus jusqu’à 15 jours plus tard, soit le 23 septembre (plusieurs jours après la rentrée académique). Seuls les étudiants sûrs de leurs capacités (a priori sans examens de passage) et qui ont les moyens financiers suffisants derrière eux peuvent se permettre le luxe de faire ce choix, avec l’incertitude qui l’accompagne et le risque de devoir trouver (ou abandonner) un kot et un projet en dernière minute.

Étudier en Roumanie pour devenir médecin en Belgique ?

La logique d’une telle limitation des numéros Inami montre toute son absurdité lorsqu’on sait que les étudiants venus d’autres pays d’Europe peuvent les obtenir sur simple demande. Pour combler la pénurie, on importe plus de 500 médecins chaque année de l’étranger ! 25 % des médecins actuellement en Belgique ont ainsi acquis leur diplôme à l’étranger. On voit d’ailleurs aujourd’hui qu’une université en Roumanie propose un cursus de médecine libre d’accès. Cela signifie qu’un étudiant belge qui va étudier là-bas a la garantie d’obtenir un numéro Inami à son retour. Évidemment, tous les étudiants ne peuvent pas se le permettre financièrement – ce qui renforce les inégalités -, mais cela montre bien l’absurdité du système.

Un agenda communautaire et antisocial en arrière-fond

L’opposition entre néerlandophones et francophones est utilisée depuis longtemps déjà pour exciter les esprits et faire de cette question un enjeu communautaire. Pourtant, tant les étudiants que les patients néerlandophones sont tout autant victimes de la situation actuelle que les francophones : bien qu’avec certaines caractéristiques différentes, ils voient également une pénurie se développer sur le terrain, ils sont également des centaines de jeunes chaque année qui doivent renoncer à leur rêve d’étudier la médecine, ils sont tous confrontés à des mécanismes de sélection sociale et ils souffrent du même sous-financement de l’enseignement et des soins de santé. Et cela, les partis au pouvoir se gardent bien de le dire.

En juillet, tant la N-VA que le CD&V et le Vlaams Belang ont insisté pour maintenir le système actuel et ont pointé du doigt « les francophones qui ne remplissent pas leur contrat ». Le recteur de la KUL, Rik Torfs, a même déclaré que si les quotas n’étaient pas maintenus et appliqués, il faudrait « envisager la scission de la sécurité sociale ». En communautarisant la question et en la focalisant sur la répartition entre nord et sud du pays, ces forces politiques veulent surtout éviter le débat de fond sur le modèle du numerus clausus, l’étranglement financier de nos soins de santé et la pénurie de médecins qui se manifeste au sud, mais aussi au nord du pays. Ce n’est pas anodin que ces forces politiques en profitent pour remettre en question le caractère fédéral de la sécurité sociale et, avec elle, tout notre modèle de solidarité en matière de soins de santé.

Revoir la politique de santé et le contingentement

On le voit, il faut revoir fondamentalement les mécanismes de fonctionnement de notre système de soins de santé, notamment le contingentement et la logique de paiement à l’acte. Instaurer un examen d’entrée est tout sauf une bonne solution. Tout comme de nombreux acteurs du secteur, nous le disons depuis longtemps. Il faut évidemment commencer par une sérieuse analyse des besoins pour pouvoir réellement planifier l’offre médicale. Revoyons également le système totalement néfaste du numerus clausus afin d’aller vers un système de santé gratuit pour le patient et axé sur une médecine de première ligne et préventive. Les moyens existent pour cela : outre une plus juste taxation des fortunes, deux mesures élémentaires comme le plafonnement des salaires des spécialistes ou l’introduction du modèle Kiwi pour l’achat des médicaments permettraient d’économiser déjà plus de 3 milliards d’euros annuellement. Il s’agit d’une question de volonté politique, et force est de constater que celle-ci est absente depuis trop longtemps, quelles que soient les majorités politiques. Concernant l’organisation des soins, il y a aujourd’hui de nombreuses autres propositions sur la table qui pourraient être un bon point de départ pour la réflexion, comme celle qui a été faite récemment par la FEF, les syndicats, Solidaris et la Fédération des maisons médicale. Une tout autre politique de soins de santé est possible, il est temps que les ministres les entendent.

Outre l’aspect communautaire évoqué ci-dessus, ce qui bloque, c’est que, pour changer ce système, il faut affronter les syndicats corporatistes de médecins et dégager des moyens pour investir à la fois dans la santé et dans l’enseignement. On en revient donc toujours à la logique d’austérité et, là, il n’y a pas de réelle divergence entre De Block et Marcourt, entre le fédéral ou les Communautés. Avec partout les mêmes conséquences : Maggie organise une médecine à deux vitesses là où Jean-Claude met en place un enseignement à deux vitesses. Les étudiants ont raison de protester. On ne peut pas laisser dégénérer la situation dans des affrontements stériles aux accents communautaires, il faut remettre ce système entièrement à plat. Cela presse d’autant plus qu’actuellement, ce sont non seulement les étudiants, mais aussi tous les patients en Belgique qui vont en payer le prix.

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