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L’Europe pourrait alourdir le déficit wallon de 500 millions d’euros

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’Europe veut revoir le statut autonome de la Sofico, bras financier pour l’entretien des routes wallonnes. Le déficit wallon risque de s’alourdir d’un demi-milliard d’euros. Cette épée de Damoclès menace d’autres organismes dans d’autres Régions du pays.

Le budget wallon recevra-t-il un carton rouge de l’Institut des comptes nationaux (ICN) qui vérifie, pour l’Europe, la comptabilité des gouvernements fédéral et régionaux ? L’épée de Damoclès n’est pas imaginaire. L’ICN pourrait, en effet, exiger que les sommes investies par la Sofico, la société qui finance l’entretien des routes wallonnes, soient intégrées au budget de la Région. « Si c’était le cas, le déficit wallon serait alourdi d’un demi-milliard d’euros, annonce le député MR Willy Borsus. La Région ne respecterait plus sa trajectoire budgétaire dans le cadre du pacte de stabilité européen. Ce serait une catastrophe ! »

C’est un périlleux bras de fer juridique qu’ont engagé la Région wallonne et le gardien des comptes publics. L’ICN remet en cause le statut autonome de la Sofico en la reclassant dans le secteur des administrations publiques. Ce que conteste la Société de financement complémentaire des infrastructures (Sofico). La décision n’est pas encore arrêtée. Le dernier mot reviendra à Eurostat qui compile les chiffres pour la Commission européenne.
L’enjeu est de taille. Une requalification de la Sofico en administration publique risquerait d’handicaper la croissance wallonne dans les années à venir. Et ce n’est pas tout. D’autres organismes, menacés par une requalification, pourraient venir alourdir la dette wallonne qui s’élève à 8 milliards d’euros : la SPGE (gestion de l’eau), le Crac (aide aux communes), la Sowaer (aéroports)… Lors d’une audition des dirigeants de la Sofico au parlement wallon le 7 novembre dernier, l’Ecolo Stéphane Hazée avait prévenu des risques d’un tel changement de statut. « Il faudrait alors faire des arbitrages en matière d’investissements, explique-t-il aujourd’hui. Cela remettrait en cause beaucoup de choses, l’Alliance emploi-environnement, le plan Marshall 2.vert, etc. »

La Flandre aussi

Les Wallons ne sont pas les seuls concernés par cette épée de Damoclès. Les autres Régions du royaume ont, elles aussi, créé des organismes à la lisière de leur périmètre public, le plus souvent pour financer des investissements. La Flandre n’est pas en reste dans ces bricolages juridico-comptables. Le 23 janvier, le quotidien De Standaard révélait comment le gouvernement flamand avait acheté des terrains à la VMM (l’agence flamande de l’environnement) en passant par la société d’épuration des eaux Aquafin qui, pour l’instant, se trouve hors périmètre public. Le montant engagé : 396 millions d’euros. Aquafin a dû faire un emprunt sur vingt ans auprès des banques et la Région la subsidie pour que la charge de cet emprunt ne soit pas reportée sur les consommateurs. Tout cela pour ne pas plomber le budget régional aux yeux de l’Europe. Avec de telles manipulations, l’image de goed bestuur (bonne gestion) en prend un coup… Le député Lode Vereeck (LDD), qui dénonce l’opération, a fait les comptes : en 2033, la note finale de ce carrousel s’élèvera à plus de 600 millions !

Le phénomène de requalification par Eurostat n’est pas nouveau. On se souvient qu’en 2005, le statisticien européen avait imposé à l’Etat belge de reprendre à sa charge la comptabilité du Fonds de l’infrastructure ferroviaire (FIF) auquel on avait transféré la dette de la SNCB. Un montant de 7,4 milliards d’euros avait alors été repris dans les dépenses publiques, ce qui avait alourdi le déficit fédéral belge de 2,6 %.

L’Europe déterminée

Mais depuis plus d’un an, l’UE se montre plus sévère encore. Fin 2011, les pays de la zone euro, dont la Belgique, ont signé le Six Pack, un ensemble de règles qui renforcent le pacte de stabilité budgétaire, avec sanctions à la clé désormais pour les Etats dont la dette dépasse 60 % du PIB. Les exigences en matière de déficit se sont donc durcies et le cas de la Grèce, dont les traficotages comptables ont eu les conséquences que l’on sait, a poussé les autorités européennes à mettre davantage d’ordre pour l’ensemble des Etats membres. C’est d’ailleurs Eurostat, et non l’ICN, qui, au départ, a été fourrer son nez dans les affaires de la Sofico. Ce qui démontre la détermination de la Commission européenne.
Pour les gouvernants wallons, comme pour les autres, le problème est qu’on remet en cause aujourd’hui ce qui était accepté hier. « Toutes les Régions ont imaginé des systèmes périphériques pour financer leurs investissements rendus quasi impossibles par la règle de l’équilibre budgétaire permanent, explique Joseph Pagano, professeur d’économie à l’Université de Mons. Ces systèmes semblent désormais être la cible des autorités européennes. » En effet, avant d’être dénoncée, la situation de la Sofico a été avalisée pendant des années. Pourquoi un tel changement ?

« La manière dont le respect des normes est évalué par l’Europe change souvent, déplore le Pr Pagano. Ce caractère imprévisible est compliqué à gérer pour les autorités publiques. » Par ailleurs, il faut néanmoins souligner que le gouvernement wallon a beaucoup chargé la barque de la Sofico. Cette dernière s’en est elle-même plaint. « La Sofico a été créée en 1994 pour financer quelques chaînons manquants du réseau régional, le tunnel de Cointe, la A8 Tournai-Bruxelles ou encore les ascenseurs de Strépy, se souvient Jean-Pierre Grafé, le père fondateur de la société financière. A l’époque, c’était un vrai partenariat public-privé. Le conseil d’administration était composé exclusivement de technocrates. Ensuite, le ministre Michel Daerden (PS) a confié tout le réseau routier à la Sofico. Le conseil d’administration s’est politisé. Le député permanent Georges Pire (MR) en a occupé la présidence à partir de 2003. » Raymond Langendries (CDH) lui a succédé en 2010.

La Sofico est ainsi devenue, pour l’entretien des routes, le principal instrument financier de la Région wallonne qui la rembourse à son rythme. Son autonomie est très relative. La Région s’est pourtant échinée à renforcer la construction juridique fragile qui permet de considérer la Sofico comme une entité distincte de l’autorité publique. Elle a augmenté sa part de recettes propres. Sans doute pas suffisamment ou alors de manière bancale. Attribuer les recettes de l’eurovignette à la Sofico n’était-ce pas une manière de subventionner l’organisme indépendant ? Peut-on considérer cela comme des recettes privées ?

Visiblement, le dossier est très chaud. La Sofico, qui n’a pas donné suite à notre appel, a menacé, selon L’Echo, de porter l’affaire devant les juridictions compétentes. Le ton face à l’ICN est viril. Selon nos informations, la requalification de la Sofico n’est pas encore définitive. Une concertation entre l’ICN et la Région wallonne est en cours. Son issue alimentera un débat qui dépasse celui de la Région wallonne. Le débat sur la capacité des pouvoirs publics à investir dans un contexte de rigueur budgétaire. « Dans son dernier livre, Philippe Maystadt, l’ancien président de la Banque européenne d’investissement (BEI), suggérait de réfléchir à une règle qui permettrait de sortir les investissements du déficit public », rappelle Joseph Pagano. A méditer.

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