Une classe en immersion: des résultats probants. © Denis Closon/Isopix

L’enseignement en immersion n’a-t-il que du bon?

Nuisible pour la langue maternelle, ou le meilleur moyen d’apprendre une langue étrangère ? L’enseignement en immersion fait débat. Il a aussi tendance à se développer très fortement en Belgique, comme en témoigne l’explosion du nombre d’écoles qui le proposent.

L’enseignement en immersion a le vent en poupe en Belgique. Pourtant, avant qu’il soit reconnu officiellement en 1998, les écoles qui pratiquaient un tel enseignement se comptaient sur les doigts de la main en Fédération Wallonie-Bruxelles. Une quinzaine d’années plus tard, le paysage a bien changé : lors de l’année scolaire 2014-2015, on dénombrait plus de 150 écoles fondamentales et 100 établissements secondaires où l’apprentissage immersif était utilisé. Malgré cette forte augmentation de l’offre, la demande n’est toujours pas comblée et les listes d’attente se font de plus en plus longues dans certaines régions, poussant parfois les parents à inscrire leurs enfants à l’école dès la naissance.

D’où vient cet engouement, mais d’abord qu’entend-on exactement par  » enseignement en immersion  » ? Le décret de 1998, qui reconnaît officiellement ce type d’enseignement, le décrit comme une  » procédure pédagogique visant à assurer la maîtrise des compétences attendues en assurant une partie des cours et des activités pédagogiques de la grille horaire dans une langue moderne autre que le français en vue de l’acquisition progressive de cette autre langue « .

Concrètement, l’immersion propose donc que la langue étrangère ne soit pas enseignée en tant que telle, mais serve de support à l’apprentissage d’autres matières comme les mathématiques, les sciences, la géographie… Cela signifie qu’une part plus ou moins importante des cours est dispensée dans une langue étrangère. La règlementation prévoit 8 à 21 périodes en immersion entre la troisième maternelle et la deuxième primaire, puis un maximum de 18 périodes jusqu’à la sixième primaire. En secondaire, le temps consacré à l’apprentissage en immersion se réduit encore un peu plus – entre 8 et 13 périodes.

Dans ce type d’enseignement, les élèves apprennent d’abord généralement à lire et écrire dans une langue étrangère avant même de maîtriser ces compétences dans leur langue maternelle.  » Nos élèves débutent la lecture en français seulement en fin de première ou en début de deuxième primaire « , explique Jean-Sébastien Lamborelle, directeur de l’école communale d’Anvaing, où l’on pratique l’apprentissage immersif du néerlandais.  » En troisième année, ils accusent un léger retard en français. Nous augmentons alors petit à petit les cours dans leur langue maternelle pour rattraper les lacunes et s’assurer que les élèves acquièrent les mêmes compétences que dans un enseignement traditionnel. Cette différence de pédagogie n’a pas d’impact négatif sur le niveau des élèves, en témoignent les excellents résultats qu’ils décrochent au CEB.  »

Cette conclusion a d’ailleurs été démontrée par des études menées au Canada, où l’immersion est pratiquée depuis de nombreuses années. Il a ainsi été établi que, malgré certains retards observables à un moment précis de la scolarisation, il n’y a pas de différence à long terme entre les élèves suivant un programme immersif ou traditionnel. Une étude de l’ULB a même relevé qu’en fin de primaire, les enfants plongés en immersion obtiennent des performances en français oral qui sont légèrement supérieures aux élèves ayant suivi un enseignement uniquement francophone.

Les idées reçues selon lesquelles l’enseignement en immersion dégraderait la maîtrise de l’orthographe ou entraînerait des problèmes lexicaux dans la langue maternelle sont donc fausses.

Pas bilingues, mais…

Si l’enseignement en immersion ne dégrade pas la connaissance de la langue maternelle, permet-il vraiment de maîtriser une seconde langue ? L’ULB a mené une évaluation des programmes d’immersion en Fédération Wallonie-Bruxelles en comparant des élèves néerlandophones à des francophones ayant suivi leurs six années de primaires en immersion. Sans surprise, il en ressort que ces derniers possèdent de moins bonnes compréhension et expression orales que les natifs, mais la maîtrise du néerlandais est proportionnelle au temps d’exposition à la langue. Les francophones qui ont bénéficié d’un enseignement à 75 % en langue étrangère lors de leurs premières années sont ainsi mieux armés que ceux qui ont pratiqué le néerlandais durant seulement 50 % de leur temps scolaire. La différence tient aussi au fait que les premiers ont été plus exposés à leur seconde langue en dehors de l’école, que ce soit dans le cadre des vacances ou simplement en regardant la télévision en néerlandais.

Cette analyse démontre donc deux choses : d’une part, l’impact de l’implication personnelle de l’élève sur la maîtrise de la seconde langue, et d’autre part une certaine limite de l’enseignement immersif. Contrairement à ce que l’on croit parfois, ce dernier n’a pas la vocation de produire des parfaits bilingues, mais plutôt de permettre aux élèves de se débrouiller dans une seconde langue.  » La notion de bilingue est de toute façon difficile à déterminer « , souligne Jean-Sébastien Lamborelle.  » Cependant, en sortant de sixième primaire, certains de nos élèves se sentent capables de se diriger vers un enseignement néerlandophone. Cela ne veut pas forcément dire qu’ils maîtrisent parfaitement la langue, mais qu’ils ont suffisamment d’outils pour s’intégrer petit à petit dans un cursus en néerlandais.  »

En plus d’offrir une connaissance utile d’une autre langue, l’immersion apporterait également davantage d’outils et d’aptitudes pour apprendre d’autres langues étrangères plus tard. Peut-on pour autant le conseiller à tout le monde ?  » L’enseignement immersif est prévu pour que les enfants soient autonomes, donc il n’est pas nécessaire que les parents connaissent ou maîtrisent la langue étrangère pratiquée à l’école « , précise Jean-Sébastien Lamborelle.  » C’est une méthode qui ne réclame pas plus de travail que l’enseignement classique. Par contre, on la déconseille aux enfants qui souffrent de troubles de l’apprentissage comme la dyslexie, la dysphasie, la dyscalculie… car ils risquent d’éprouver encore plus de difficultés dans un programme en immersion.  »

Par Marie-Eve Rebts.

Une pratique d’abord illégale

Si les Canadiens ont mis en place l’enseignement en immersion à partir des années 1960, il a fallu attendre quelques décennies pour le voir apparaître en Belgique. Avant 1998, les lois linguistiques de 1963 imposaient que l’enseignement dans chaque Communauté soit dispensé dans la langue correspondant à celle-ci. Donner des cours dans une autre langue comme le propose l’immersion était donc en principe interdit. Les rares écoles qui voulaient pratiquer une telle pédagogie devaient demander une dérogation chaque année, comme l’a fait le lycée Léonie de Waha, à Liège, qui fut l’un des premiers établissements à intégrer l’immersion en Belgique lors de la rentrée 1989-1990. C’est seulement en 1998, à l’occasion du décret sur l’enseignement fondamental, que l’enseignement immersif a bénéficié pour la première fois d’une reconnaissance officielle et a été autorisé à certaines conditions. La mise en place de cette mesure n’a pas suscité la création de nouvelles écoles la première année qui l’a suivie, mais ensuite l’enseignement en immersion n’a plus cessé de se développer dans notre pays.

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