© Image Globe / Daniel WILLAM

« L’échec de Milquet, c’est d’avoir positionné le CDH au centre gauche »

Président du Parti social-chrétien de 1981 à 1996, Gérard Deprez est celui qui a propulsé Joëlle Milquet au sommet de la vie politique. Aujourd’hui sénateur MR, il analyse les perspectives d’avenir d’un parti qu’il a quitté voici treize ans.

Le Vif/L’Express : Vous avez été l’un des premiers à déceler en Joëlle Milquet une future présidente de parti. Quel regard portez-vous sur ses douze ans à la tête du PSC, puis du CDH ?
Gérard Deprez : Il faut d’abord se souvenir des circonstances extrêmement difficiles de son accession à la présidence. Un : une défaite historique. Deux : le rejet dans l’opposition à tous les niveaux. Trois : un étêtage complet des figures emblématiques qui avaient dominé le parti pendant quinze ans – Philippe Maystadt, Melchior Wathelet, Gérard Deprez, Michel Hansenne, Jean-Pol Poncelet, Charles-Ferdinand Nothomb, Guy Lutgen… Malgré tout cela, Joëlle Milquet est parvenue à maintenir l’outil, à lui donner une image nouvelle et à le ramener au pouvoir. Elle a accompli un travail prodigieux : chapeau !

La référence chrétienne, qui servait de colonne vertébrale au parti, a été abandonnée. Avec le recul, s’agissait-il d’un choix judicieux ? La référence chrétienne devenait handicapante. Elle a été remplacée par des notions plus larges, mais plus vagues : le centre, l’humanisme. Le problème du CDH ne vient pas de son appellation, mais de son positionnement. A mon avis, l’échec de Joëlle Milquet, c’est que son parti du centre est devenu un parti de centre-gauche. Or pour être un parti du centre consistant, c’est-à-dire avec des perspectives d’expansion, vous devez être présent à la fois sur le centre-gauche et sur le centre-droit, et réussir la synthèse des deux. Joëlle Milquet a choisi un créneau objectivement étroit, où le CDH se trouve en concurrence avec Ecolo et le PS. A cet égard, les résultats de 2009 et 2010 constituent un sérieux avertissement.

Vos collègues libéraux aiment présenter le CDH comme « scotché » au PS. Est-ce judicieux ? C’est excessif, même si ça indique une réalité. Joëlle Milquet est fondamentalement anti-libérale. Rien que le mot « libéralisme », ça l’indispose. Les coalitions formées depuis 2004 montrent de sa part un choix préférentiel pour le PS. Moi, je pense que ceux qui roulent pour le PS finissent toujours par être roulés par le PS. Je ne dis pas qu’elle roule pour le PS… Ce serait simpliste. Mais si les gens le perçoivent comme ça, l’effet est le même.

En 1998, vous quittez le PSC et vous créez le Mouvement des citoyens pour le changement (MCC), dans l’espoir de briser la domination socialiste en Wallonie. Quelques années plus tard, vous avez tenté de rapprocher le CDH et le MR. Quel était le but de ces tractations ?
Plusieurs scénarios étaient sur la table. C’étaient des négociations très sérieuses. Elles réunissaient Daniel Ducarme et moi d’un côté, Joëlle Milquet et Raymond Langendries de l’autre. On s’est vus quatre fois dans la plus grande discrétion. Quatre fois seulement, mais quatre fois quand même. Entre un cartel électoral et une fédération, il y avait plusieurs gradations possibles, et on ne parvenait pas à se mettre d’accord. Puis, Elio Di Rupo a eu vent de l’opération et il a fait savoir à Louis Michel que c’était un casus belli. Tout s’est arrêté du jour au lendemain. C’est peut-être à cette époque que Di Rupo a compris qu’il valait mieux mettre le CDH dans sa poche pour éviter des blagues à l’avenir.

En juillet 2010, Louis Michel déclarait dans Le Vif : « Je crois qu’à un moment donné, il faudra un regroupement de tous ceux qui ne sont pas socialistes. » Cela reste aussi votre analyse ?
C’est ce que j’ai voulu faire comme président du PSC. Par la suite, Charles-Ferdinand Nothomb et Louis Michel ont eu des contacts très poussés. On a tenté un rapprochement structurel. Cela a échoué. Après, en fondant le MCC, j’ai essayé d’aboutir au même résultat, en créant un pôle du centre au sein du MR. Avec un certain succès, mais ça n’a pas été un raz-de-marée. J’en suis arrivé à la conclusion que les autres forces non-socialistes – CDH et Ecolo – ne sont pas solubles dans une alliance structurelle. Pour créer une alternative, il faudra passer par des coalitions gouvernementales classiques.

Considérez-vous l’arrivée de Benoît Lutgen comme une bonne nouvelle pour le MR ?
Ma seule certitude, c’est que Benoît Lutgen n’aura pas avec Elio Di Rupo la même intensité de relations que Joëlle Milquet. Pour moi, c’est une évidence absolue. L’intensité du compagnonnage entre Joëlle Milquet et Elio Di Rupo, c’est un phénomène assez rare en politique, et ça a eu une très grande influence. Je fais l’hypothèse que Benoît Lutgen sera plus équidistant dans ses relations avec les autres partis.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

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