Gérald Papy

L’avenir des musulmans

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Mêmes braillards belliqueux, mêmes foules déchaînées, mêmes ambassades prises d’assaut… Le monde musulman nous a offert un remake du déchaînement de violences qui, à l’automne 2005, avait suivi la publication dans un quotidien danois de caricatures du prophète Mahomet. Rien n’aurait-il donc changé de Rabat à Jakarta ? Le printemps révolutionnaire de 2011 n’aurait-il été qu’une parenthèse dans la glaciation conservatrice qui a enfoncé les pays arabes hors de la modernité ?

Une certitude. Les violences que suscite la diffusion sur Internet de la vidéo L’innocence des musulmans servent les extrémistes, chrétiens fondamentalistes aux Etats-Unis, salafistes ou djihadistes dans le monde musulman. Apôtres les uns et les autres du grand choc des civilisations. A cette aune, l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo, toujours prompt à se prétendre affranchi de toutes les pressions religieuses, a joué le jeu des chrétiens radicaux d’outre-Atlantique en publiant cette semaine de nouvelles caricatures du prophète de l’islam.

Une question. Et si en dépit des apparences, cette première crise qu’ont eu à gérer les nouveaux dirigeants arabes révélait un changement, une évolution positive ? A Tunis, à Tripoli et à Benghazi, à Sanaa ou au Caire, les protestations se sont éteintes presque aussi rapidement qu’elles avaient émergé. L’attitude des Frères musulmans égyptiens, appelant aux manifestations tout en les contenant, est particulièrement significative, quoiqu’ambiguë. Comme celle du Hezbollah chiite, au pouvoir à Beyrouth, qui a attendu la fin de la visite du Pape pour faire descendre ses militants dans les rues.

Un pari. « L’islamisme est pluriel et quand les responsabilités de la gestion publique leur reviennent (NDLR. : aux islamistes), l’attitude modérée l’emporte », assurait récemment dans une interview à La Libre Belgique le père Paolo dall’Oglio, fondateur du monastère de Mar Mousa en Syrie. Les islamistes au pouvoir en Tunisie ou en Egypte en font-ils la démonstration ? Il serait hâtif de l’affirmer, d’autant que leur « modération » n’est pas nécessairement celle à laquelle on aspire. Mais on ne peut pas exclure qu’ils isolent les plus extrémistes au point, à terme, de les marginaliser. Là est l’enjeu principal pour le monde arabe de ce nouvel accès de fièvre de l’islamisme radical.

Il ne doit pas occulter le défi plus global de la relation de l’Occident avec le monde musulman. Car au-delà de l’opportunisme politique de certains extrémistes, ces nouvelles violences n’en illustrent pas moins la récurrence de l’antiaméricanisme dans les sociétés musulmanes, malgré la rupture de Barack Obama avec l’ère de George W. Bush et sa main tendue lors du discours du Caire en juin 2009… Certes, les musulmans sont fondés à interpeller les Etats-Unis sur leurs bavures militaires en Afghanistan et au Pakistan, sur les dérives de leur guerre contre le terrorisme au Yémen ou sur leur politique inéquitable dans le conflit israélo-palestinien. Mais cela ne les autorise pas à mettre en cause les principes cardinaux de nos démocraties, la sécularisation, la liberté d’expression, l’indépendance de la justice… Toute violence questionne aussi ses auteurs. Les musulmans seraient donc bien avisés de s’interroger sur cette espèce de « culture de l’humiliation » qui fait sur-réagir certains d’entre eux à la plus ridicule des provocations et sur cette sorte de complicité du silence qui empêche la majorité des autres de condamner tous les extrémismes.

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