Thierry Fiorilli

L’asile, les grèves et les hussards

Thierry Fiorilli Journaliste

Il ne fait pas bon contester, ces temps-ci. Un peu comme migrer, au fond, même d’un pays à feu et à sang depuis des années.

On a beau se revendiquer d’une société de la connaissance, on peut bien considérer nos contrées plus évoluées que toutes les autres, parce que riches d’une longue tradition démocratique, habituées à la négociation entre adversaires, il n’est désormais plus guère recommandé de discuter les décisions de ceux qui occupent le pouvoir, et qui dès lors pensent le posséder, au sens propriétaire du terme. Pas plus qu’il n’est très souhaitable de ramer à contre-courant d’individus convaincus qu’ils incarnent la majorité silencieuse parce qu’ils hurlent le plus fort, tout seuls devant leur clavier et devant ce que les écrans leur dictent de prendre pour seule et unique vérité – ce à quoi ils adhèrent d’autant plus volontiers qu’elle est formidablement pratique.

Cette année, particulièrement, on aura en fait assisté à une mécanique récurrente, même si la nature des moyens appliqués diverge : il faut agir à la hussarde. Annihiler celui qui menace les plans. Et qui, dès lors, est désigné au mieux comme intrus, au pire comme ennemi. Mais qu’il faut, dans les deux cas, diaboliser. Concrètement : instrumentaliser ses moindres faits et gestes. Guetter sa plus minime erreur. Traquer le plus infini détail qui permettra de mieux l’accuser. L’essentiel étant de convaincre le plus grand nombre possible qu’il vaut mieux les disqualifier. La plupart du temps, au nom du combat contre « le politiquement correct », s’autoproclamant « courageux », dénonçant le « laxisme » des concurrents, fustigeant « l’irresponsabilité » des adversaires et incriminant « la complicité des médias » dans la profonde omerta qui prévalait jusqu’alors.

Cette tendance multiplie ses gourous et ses adeptes, d’Eric Zemmour à Bart De Wever, de Nadine Morano à tous ceux qui inondent de leur bile les forums des sites d’infos en ligne et des réseaux sociaux. Ils réhabilitent la bonne vieille parole réactionnaire, hissée à nouveau au rang de pensée unique. Leur leitmotiv ? Comme l’écrivait Laurent Joffrin, début octobre dans Libération,: « Répétez sans cesse les mêmes mensonges, ils deviendront vérité. Ils jouent donc sur tous les tons quelques leitmotivs qui finissent par saturer l’air du temps : craignons le déclin, méfions-nous des étrangers, fermons les frontières, à bas l’Europe, pleurons l’ancienne culture, fustigeons les bobos, sonnons le tocsin devant la montée de l’islam, penchons-nous avec amour sur [notre] identité malheureuse. Les instruments sont différents, de la grosse caisse au pipeau, de la flûte à la crécelle, des grandes orgues au triangle. Mais l’orchestre joue à l’unisson. »

Il devient difficile de contester que nous assistons à une immense régression politique

C’est la même logique qui prévaut, au sein de la majorité soutenant l’actuel gouvernement fédéral belge, face aux demandeurs d’asile et aux syndicats, ces deux empêcheurs de prospérer entre amis dirigeants. Et donc, pour « assurer la sécurité des citoyens » (belges), on contraindrait bien « les migrants » à porter un badge, les identifiant comme tels, partout et tout le temps. Et pour « garantir le droit au travail des individus », on supprimerait bien, en fait, même si on ne peut pas encore le dire aussi clairement, le droit à la grève collective, de travailleurs dont certains sont désormais accusés d’homicides, publiquement – la justice établira bien les faits après le lynchage.

Si, dans son éditorial, Laurent Joffrin visait « à mesurer le danger qui nous menace, celui d’une immense régression politique », il devient difficile de contester que nous y assistons, déjà, en Belgique.

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