Aux manettes, Baptiste Langlois, un geek de la musique, choisi pour sa "virginité" et sa spontanéité. © MATHIEU GOLINVAUX

L’art du son à la télévision

Quelques petites notes de musique, ça pose une télé. BeTV vient de se rhabiller. La RTBF sort de cinq ans de refonte sonore. Pour prendre le téléspectateur par l’oreille.

Depuis le 2 mai dernier, Be TV a changé l’habillage de ses chaînes. Un coup de frais qui fait bouger et sonner différemment l’univers Be pour marquer un virage important : l’éclatement de son offre. D’un côté, la fiction et le divertissement sous la bannière Be Addict. De l’autre, le sport, avalé dans l’offre VOO. Deux identités à souligner différemment. Le bon vieux look adopté douze ans plus tôt pour transformer Canal+ Belgique en BeTV, autre virage stratégique, a donc été remisé.

A la manoeuvre, Luc Vanden Abeele, responsable artistique de la maison. Gardien de l’identité visuelle et sonore des chaînes à péage depuis vingt ans, ce pro de l’emballage télé n’a pas hésité à faire table rase.  » On n’a gardé que le logo, et encore, adapté et décliné en 3D. Les priorités ont changé. On est dans une offre recentrée sur la fiction à travers Be1, BeSéries, BeCiné. Il faut moins de déclinaisons pour informer, catégoriser, valoriser le nouvel univers moins diversifié qu’avant. « Car avant, la base sonore de BeTV jonglait avec 45 musiques.

Le ménage s’imposait notamment côté langage musical. Aux manettes, Baptiste Langlois. Ce geek de la musique, compositeur-bidouilleur de 26 ans et leader du nouveau groupe Oton, est le rescapé de deux appels d’offres l’ayant mis en lice avec le gratin. Lui qui n’a pas la télé n’en revient toujours pas :  » Pour moi, l’habillage télé, c’était terra incognita et je me retrouvais en compétition avec des mecs d’expérience, balèzes sur ce créneau.  » Mais ce que recherchait Luc Vanden Abeele, c’était une  » virginité « , une spontanéité, une fraîcheur moderne. Avec cet artiste, repéré par bouche-à-oreille, il n’a pas été déçu.

Un nouvel habillage pour faire sonner différemment l'univers Be.
Un nouvel habillage pour faire sonner différemment l’univers Be.© PG

Briefé de mots clés comme  » organique, épuré, classe, élitiste, frais « , puis inspiré par les nouveaux visuels pour caler une juste dynamique dans la musique, Baptiste Langlois se lance sur des formats de jingles très courts. Maximum 20 secondes, le plus souvent 10 secondes.  » J’ai travaillé sans trop réfléchir, à l’instinct et dans une urgence utile : cinq semaines ! Cela signifiait « aucun recul ». Ça a dopé ma créativité « . Et produit un résultat original, moderne, aérien, avec des touches harmoniques de jazz, de hip-hop, d’électro assumées mais de nature à séduire les jeunes générations sans faire fuir les abonnés historiques de 1989.  » Quelque chose de rempli mais qui respire « , estime Baptiste Langlois qui savoure sa  » signature sonore  » des offres Be 1 et BeSéries (Be Ciné et VOO Sport ont été confiées à d’autres). Le jeune musicien est aussi fier de sa touche artisanale obtenue grâce à de vieilles machines de studio des années 1990 et l’interprétation de ses compositions au clavier, à la basse, à la guitare, aux synthés avant de sampler le tout.

La « boucle magique »

Le pilier du prometteur duo Oton (formé avec la chanteuse Sasha Vovk), dévoile sa théorie des boucles, efficace dans l’habillage sonore télé minimaliste.  » Je travaille sur des boucles musicales de 4 à 8 mesures sur 20 secondes maximum. Le défi est de trouver la boucle magique, celle qui pourrait tourner une heure sans lasser. Quand vous avez ce « coeur » mélodique, vous pouvez construire autour, ajouter des couches, en retirer. Mais la boucle est toujours là, plus ou moins présente, et ça crée l’envie qu’elle repasse. La « boucle magique » ouvre des infinités de déclinaisons, ce qui est essentiel pour l’habillage ,sourit Baptiste. C’est l’antidote à la lassitude. « En effet, pour une efficacité d’un habillage coûteux sur plusieurs saisons, l’identité doit être répétitive mais pas assommante. Etienne Robial, gourou de l’habillage de Canal + depuis 1984 aime à dire que  » pour durer, il faut des sons qu’on reconnaît mais qu’on ne retient pas « .

 » C’est surtout un vrai langage, fruit d’une alchimie parfaite entre le visuel et le son. C’est la manière dont la chaîne parle à ses téléspectateurs. Le nouvel habillage Be, on l’a voulu doux, clair, aérien, respectueux, qui prend toute la famille à bord… Etre exclusif sans exclure « , décrit Luc Vanden Abeele, le coach artistique, ravi du résultat. Et surtout soulagé. Car, pour toute télé, depuis la révolution Canal+ France il y a trente ans, une vue identitaire d’ensemble portée par l’habillage est une priorité. TF1 a remisé son lion, Antenne2 sa pomme  » tou-tou-tou-tou… « , la RTBF son logo en oreille, et tous, leurs mélodies simplistes. Pour entrer dans la création réelle alliant images et sons recherchés et travaillés.

Le générique, vecteur d’audience

Un gimmick de quelques secondes fait-il vraiment la différence ?Tout à fait, selon Vincent Jacquet, grand alchimiste des habillages sonores. Celui de Canal+ Belgique puis celui de BeTv jusqu’en 2016, c’était lui. La RTBF depuis cinq ans, du générique du JT aux émissions sport en passant par les plages de pub, c’est lui. France Télévisions et, bientôt, les émissions pour les Jeux olympiques, c’est toujours le patron de la société Apsara & Sound, désormais épaulé par David Minjauw.  » En trouvant les clés musicales appropriées, on crée une ambiance, une référence culturelle, une émotion, du plaisir et un ton « , défend l’homme- orchestre.  » Un générique peut être vecteur d’audience. Le spectateur doit pouvoir, les yeux fermés, identifier dès les premières notes qu’il est sur la RTBF, que le JT commence, qu’il est 19 h 30. Ces signaux structurent et organisent son quotidien. Ça vaut pour les jingles d’antenne de 2 à 10 secondes autant que pour le générique d’une émission. Pour l’actuel habillage sonore du service public, la démarche n’était pas de marquer la diversité mais l’unité et les moments d’antenne : l’heure du JT, le début du prime (quel que soit le programme).

Et la RTBF de s’être modernisée… Mais que signifie un son  » modernisé  » ?  » Avant, un seul thème servait pour tout, retrace Vincent Jacquet, qui a piloté la refonte de son paysage sonore phasée depuis cinq ans. Sous l’influence des télés françaises utilisant dans l’habillage de la fiction, des scènes de vie quotidienne ou des jingles pubs évolutifs, la RTBF a évolué. L’habillage de chaîne devient la chaîne, c’est déjà ça la modernité, soutenue par des techniques de pointe, des bandes sons très riches et une qualité sonore incontournable. A côté, il y a le travail de création. Nos oreilles de compositeur et d’ingénieur sont des éponges de l’air du temps, de l’atmosphère. Mais chaque télé a besoin d’un habillage taillé sur mesure et qui lui ressemble.  »

Le JT, une grand-messe gage d'un bel audimat.
Le JT, une grand-messe gage d’un bel audimat.© PG

La « grand-messe » du JT

L’ancestral logo de la RTBF avait une forme d’oreille. La chaîne a conservé une ouïe bien développée.  » La RTBF voulait un vrai changement pour rafraîchir son univers, se souvient Vincent Jacquet. Le spectateur doit comprendre où il est, tout en découvrant un univers de sérénité, de plaisir, de joie de vivre qui va l’accrocher et le rassurer. Pour la Une, tout est parti d’un sample vocal de Moby tenant en trois notes. On l’a retravaillé sans relâche pour en faire notre fil rouge. Puis on l’a décliné : pop l’après-midi, zen en fin de soirée, reggae pour les vacances… Il fallait aussi un son identitaire : c’est la voix sensuelle qui termine tous les jingles.  »

En info, le gros morceau, c’était le générique du JT.  » C’est la « grand-messe », gage d’un bel audimat. Un défi en soi, de quelques secondes. Aujourd’hui 8, là où, avant, il en faisait 20. L’élément identitaire retenu pour accrocher est ce fameux « sonar » qui donne l’idée de l’info sans faire télex. Isolé, ce son froid était potentiellement agaçant. Il fallait ramener de l’humain. On a donc ajouté une voix inversée qui parfois anticipe le sonar, parfois le double. Après est venu le riff orchestral en quatre notes qui amène la mélodie identitaire. Enfin, on a adouci l’ensemble avec des violons.  » De la fine cuisine.

Suspense et accélération

Autre gros morceau : le sport. Avant, chaque rendez-vous sport avait son générique sans trait commun avec ceux des autres émissions du genre. Vincent Jacquet n’a pas hésité :  » Excepté La Tribune, on a changé tous les magazines sport en même temps en les dotant d’éléments communs pour faire lien. Weekend sportif, Automobile, Warm Up, A bicyclette, les émissions Diables Rouges, les JO… Ils reposent sur la même structure sonore : une intro suspense, une accélération, une musique électro rock dynamique et la même ligne de basse. Ensuite, chaque émission déploie son arrangement propre selon l’émotion à faire passer. Pour Automobile, plus énergique, on a mis plus de guitares. Pour les Diables Rouges et le Week-end sportif, on voulait entendre les supporters, on a donc samplé de vrais chants de stade, découpés puis rejoués dans la bonne tonalité.  »

Vincent Jacquet s’est enfin penché sur Questions à la Une, Devoir d’enquête, D6bels, etc.  » Chaque émission a son habillage unique mais en phase avec la charte identitaire de la chaîne. On a veillé au grain, à la consistance du son, à l’authenticité d’une mélodie, à l’efficacité d’un riff. Par exemple, le thème central du générique de Questions à la une est joué par une vraie guitare, avec cette sonorité « à la Muse » qui donne une ambiance étrange.  »

Cependant demeurent des intouchables. Comme Télétourisme. Si les visuels du magazine ont évolué au fil du temps et des goûts télés, personne ne peut toucher au thème musical. Une faveur souvent réservée aux émissions de journée préservées de la pression des primes de début de soirée.

Par Fernand Letist.

RTL-TVI : la mélodie de l’info

Régulièrement, RTL-TVI se penche aussi sur son emballage. En particulier, celui de ses produits phares. Après un profond lifting réussi de son Journal en décembre 2014, la chaîne privée a, au printemps 2016, remodelé l’autre pilier de son avant-soirée info, les magazines quotidiens. Une case uniformisée par un générique et un plateau communs mais où chaque production garde sa propre musique d’ambiance (toutes composées par Arnaud Blanpain) adaptée à sa thématique. Docs de choc est souligné par une musique forte et dramatique tandis que Tout s’explique se drape dans du plus léger. Le générique d’ensemble de la case est plus court et discret que celui du Journal qui la précède tout en exploitant la même couleur mélodique. Pour sceller, dans l’esprit du public, que les deux moments de la tranche info forment un tout.

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