Thierry Fiorilli

L’armée des bombes

Thierry Fiorilli Journaliste

Pourquoi sommes-nous, chacun, des Mohamed Merah à petite échelle ? Des responsables en puissance de drame ? Et comment vivre avec ça ? Comment ?

Comprendre et ne pas juger. C’était le credo de Simenon. Comprendre pour juger. C’est la conviction de Lucas Belvaux, avec son film 38 témoins, qui ont tous entendu une fille se faire massacrer, là, en bas de l’immeuble, mais personne n’a bronché.

Comprendre, donc. Pourquoi on bascule. Pourquoi on a fait ce qu’on sait très bien qu’on ne doit pas faire. Pourquoi on n’a pas fait ce qu’on sait depuis toujours qu’il fallait faire. Et puis (se faire) juger, le cas échéant donc.

C’est ce à quoi s’activent, toujours, les enquêteurs d’abord, les tribunaux ensuite, après « la tragédie ». Le 11-Septembre, Ghislenghien, Buizingen, Sierre, Mohamed Merah, Khaled Kelkal, le vol Rio-Paris, la fusillade à Liège, Breivik, Dutroux, Hans Van Themsche, Cantat, Geneviève Lhermitte, le vitrioleur… Pourquoi ça c’est passé. Comment. A cause de quoi. De qui.

On remonte alors le courant pour trouver ce qui déclenché la bombe : une enfance glauque, une sale rencontre, un boulon mal placé, un bouton hors service, une trop vive allure, un instant d’égarement, un mauvais calcul, un plan mal dessiné, une cassure pas décelée… On retrouve les boîtes noires, on épluche les dossiers, on reconstitue les faits, on découvre les failles, on entend les proches, on désigne les responsables, on comprend, on inculpe, on juge, on condamne, on dédommage, on rend possibles tous les deuils.

Alors, on classe l’affaire. On en referme chaque grille, chaque lucarne, chaque portail. Et on retourne à sa vie, avec tous ses petits écrans qui montrent les ravages des autres. On n’est pas forcément convaincu de tout mais, bon, puisqu’on a cherché à comprendre et qu’on a jugé, il est temps de passer à autre chose.

Et on repart, chacun son chemin.

Chacun sa mèche déjà allumée, bien à l’abri dans des brèches insoupçonnées. Avec le feu qui serpente, silencieux, au milieu de nos certitudes, nos plaies, nos ciels bleus et nos camps d’entraînement. Comme un poison qui progresse et n’attend que de contaminer tout autour. Des fois, la mèche s’éteint, d’elle-même ou sous la semelle de la chance. E la nave va. Des fois, en une seconde, une colère, un relâchement, une détresse, un accès de haine, elle fait tout sauter. Et c’est le grand incendie. Aux dégâts plus ou moins collectifs, plus ou moins médiatisés. Des tours tombent, des gens meurent, des parents sombrent, des histoires s’arrêtent, des beaux jours s’envolent.

Et on est là, Merah à petite échelle. Responsable en puissance de catastrophe. A se demander comment on peut continuer à vivre, avec le poids de ces actes fous qui germaient peut-être depuis si longtemps, et avec l’ombre de tous ces fantômes.

On voudrait comprendre. Puisque, face à soi, au fond, le jugement importe peu.

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