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L’affaire Opaline Meunier, un laboratoire politique francophone

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le fief d’Elio Di Rupo est le théâtre d’une confrontation frontale entre PS et MR. Avec, entre les deux, un CDH écartelé. Et une jeune pousse ambitieuse qui impose une autre manière de faire de la politique. Ce thriller illustre la difficulté du renouveau, entre stratégies politiciennes et ouverture citoyenne.

Opaline Meunier, l’étoile sur laquelle misait le CDH pour son renouveau, persiste et signe : elle se présentera aux élections communales, à Mons, sur la liste d’ouverture Mons en mieux, du MR Georges-Louis Bouchez. Objectif ? Pour le feu follet libéral, mettre fin à l’hégémonie absolue sur la ville d’Elio Di Rupo, bourgmestre et président du PS. Pour la jeune pousse CDH, imposer une autre façon de faire de la politique. Conséquence ? L’ancienne présidente étudiante, qui s’est fait connaître à la tête de l’Unecof, abandonne son emploi au sein du CDH, où elle officiait comme  » déléguée générale à la société civile « . Elle n’est pas exclue du parti pour autant, mais ne pourra pas porter son étiquette en octobre prochain. Tels sont les détours alambiqués de la décision prise par le président humaniste, Benoît Lutgen, après que la section montoise a rejeté l’option d’Opaline Meunier, pour lui préférer une liste CDH d’ouverture.  » Nous ne voulions pas faire d’elle une martyre « , glisse- t-on au CDH.  » Ils vont devoir faire leur deuil de certaines pratiques « , rétorque, au Vif/L’Express, Opaline Meunier. Mons est le laboratoire, jouissif pour certains, désastreux pour d’autres, d’une politique francophone qui va connaître de sérieuses convulsions ces prochains mois.

Le CDH plus écartelé que jamais

Un  » grand gâchis  » (dixit Céline Fremault, ministre bruxelloise).  » Déçue de la façon dont l’affaire Opaline Meunier a été gérée  » (Catherine Fonck, cheffe de groupe à la Chambre). Tels sont les sentiments qui prévalent au sein du CDH, plus que jamais en proie à une crise existentielle. Les sondages sont tous mauvais, depuis les élections de 2014, certains plaçant le parti proche de la cote d’exclusion du Parlement. Les méthodes présidentielles de Benoît Lutgen sont contestées en interne. Son leadership vacille depuis l’appel du 19 juin 2017, qui a renversé la majorité en Wallonie, mais a fait pschit ! à Bruxelles et en Communauté française. Historiquement, le parti centriste a toujours été déchiré entre une aile  » droitière « , désireuse de contrer l’hégémonie socialiste en s’alliant aux libéraux, et une autre, sociale-démocrate, proche du PS et d’Ecolo, longtemps incarnée par l’ex-présidente Joëlle Milquet. Cette  » schizophrénie  » constitue l’essence d’un parti  » pivot « . Mais, en cette ère d’incertitude, elle s’est transformée en une constante preuve de fragilité.

Nous ne voulions pas faire d’elle une martyre », dit-on au CDH, qui ne l’a pas exclue

La déchirure montoise ajoute une couche supplémentaire à ce cocktail déprimant. Après l’exclusion du MR de la majorité communale, décidée par Elio Di Rupo en avril 2016 en raison de la  » déloyauté  » de Georges-Louis Bouchez, le petit CDH (trois sièges) a pris sa place, sa cheffe de file, Savine Moucheron, devenant échevine. Un choix plein d’opportunisme. Mais, depuis, Benoît Lutgen a décrété les socialistes  » infréquentables  » à la suite des scandales. Il rêve d’un En marche ! à la sauce belge, prône des listes d’ouverture sans étiquette CDH aux communales (en 2012, les deux tiers des listes CDH étaient déjà de ce type). Le 16 octobre dernier, Opaline Meunier rejoint l’équipe présidentielle, première concrétisation de cette stratégie. Pour Mons, Lutgen rencontre Bouchez en août 2017. Sensible à son plaidoyer local, parfaitement en phase avec le revirement du CDH à Namur, il mandate la section locale pour négocier, convainc des ténors hennuyers et soutient le  » parachutage  » d’Opaline Meunier. Mais dans la dernière ligne droite, ladite section rechigne, rejette l’alliance et, mardi 16 janvier, vote majoritairement pour une liste CDH d’ouverture.

 » C’est avant tout le rejet de la personnalité de Georges-Louis Bouchez : son ego est à ce point démesuré qu’il insupporte tout le monde « , souligne-t-on à Mons.  » C’est aussi, à rebours, une manière déguisée pour la section locale du CDH d’exprimer son malaise à l’égard de la stratégie de Benoît Lutgen « , analyse un observateur local.  » On sort grandis et unis « , défend Savine Moucheron.  » C’est une décision démocratique, si l’on ne respecte pas le choix du collectif, on ne fait plus rien en politique « , insiste Benoît Lutgen. Le parti est coupé en deux. Opaline Meunier persiste et signe dans son alliance avec Bouchez :  » Je défends un projet auquel je crois « , martèle-t-elle. Les  » sages  » de l’ancien CDH l’appuient.  » L’essence de la démocratie est de permettre, voire de favoriser, l’alternance, disent les ex-échevins PSC Jacques Hamaide, Jean-Maurice Servais, Eric Bailly et Christophe Taquin. A Mons, cette alternance passe inévitablement par un vaste regroupement.  » Au sommet du parti, on peste :  » Ce feuilleton n’est pas une bonne nouvelle. Mais Mons n’est pas un laboratoire : c’est un contre-laboratoire. On y assiste à tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de renouveau politique.  » Leur jeune recrue pense tout le contraire : on assiste, à Mons, à un virage générationnel d’envergure.

Cet écartèlement met le CDH sous forte pression en vue de ces communales qu’il ne peut pas rater. D’autant que le PS, trahi à Namur, pourrait encore se venger partout où il le peut, en le jetant dans l’opposition. Certains voient désormais le CDH disparaître ou se diluer dans un ensemble plus grand, à l’horizon 2019.

Georges-Louis Bouchez, figure de proue du MR montois et délégué général de son parti : une ambition qui dérange.
Georges-Louis Bouchez, figure de proue du MR montois et délégué général de son parti : une ambition qui dérange.© Benoit Bouchez/Photo news

Le rêve du « grand MR »

 » De mon côté, tout va bien. Tout le monde connaît ma liste, désormais. Mons en mieux : je pourrais même en faire un parti, si je le voulais. Toutes proportions gardées, les réactions de ces dernières semaines me font penser à celles qui ont été exprimées en France lors de l’émergence d’En marche ! Jusqu’à cette volonté d’exclure, sans le faire, ceux qui me rejoignent.  » Georges-Louis Bouchez, le feu follet du MR qui a lancé la dynamique, jubile. Il a réussi à mettre le CDH dans les cordes, à faire remonter la dissension interne jusqu’au bureau national. Et à faire d’Opaline Meunier une autre figure médiatique.  » Elle fait preuve d’un courage peu commun « , déclare- t-il pour saluer son choix de privilégier ce projet à un emploi. Il dénonce l’arroseur arrosé du CDH :  » Benoît Lutgen veut faire de la politique autrement. Mais au premier obstacle, il cale face aux résistances en interne.  » Depuis des mois, Bouchez rassemble au-delà des cercles libéraux : outre la jeune humaniste, il a ouvert les portes de sa liste à Marc Vandercammen, ancien directeur décrié du Crioc (Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs) et à l’ex-Ecolo François Colette. Il ne s’en cache pas : sa volonté est de montrer qu’une recomposition du paysage politique francophone est possible. Avec un CDH coupé en deux et de nouvelles alliances.

Somme toute, le délégué général du parti réveille, dans le fief du président du PS, le rêve des  » anciens  » Louis Michel et Didier Reynders : élargir le MR pour en faire un contrepoids aux socialistes, une alternative au parti dominant. Dans un contexte différent, toutefois, avec un morcellement prononcé du paysage politique et un PTB dont l’explosion est annoncée, partout en Wallonie et à Mons en particulier, où un sondage annonce même l’extrême gauche en deuxième postition.  » Il faut retrouver une puissance politique susceptible d’atteindre les 30 %, une épine dorsale forte « , plaide Georges-Louis Bouchez. Au quartier général du MR, on applaudit. Le président, Olivier Chastel, voit en lui  » le jeune le plus brillant « . Richard Miller, député et figure historique du MR local, se présentera en octobre pour le soutenir.  » Georges-Louis fait preuve d’une grande ténacité et d’une rare audace, nous dit-il. Il donne du sens à la volonté de dépasser les clivages et développe une autre façon de faire de la politique.  »

Savine Moucheron, cheffe de file du CDH montois, et Benoît Lutgen, président national : la section locale a contraint le parti à faire marche arrière dans sa stratégie d'alliance avec le MR.
Savine Moucheron, cheffe de file du CDH montois, et Benoît Lutgen, président national : la section locale a contraint le parti à faire marche arrière dans sa stratégie d’alliance avec le MR.© JOHN THYS/belgaimage

L’alternative citoyenne

Au-delà de ce concert d’autosatisfaction et de louanges, on reconnaît dans les rangs libéraux que le fait de ne pas avoir obtenu le soutien de tout le CDH est un sérieux revers. Le grand vainqueur du feuilleton serait Elio Di Rupo, dont les adversaires se sont déchirés sans qu’une puissance suffisamment forte se dégage. Comme si les libéraux retombaient dans les travers du passé : en étant trop agressifs dans leur volonté de débaucher des poids lourds humanistes, en 2003-2004, les Michel avaient incité Joëlle Milquet à trouver refuge auprès des socialistes. Avec, à la clé, treize années d’opposition à la Région. Ce qui se joue à Mons, c’est bien plus qu’une joute locale : le nouvel affrontement au sommet entre deux partis qui cherchent à polariser la vie politique. Mais le contexte, toutefois, a changé : il s’agit, aussi, d’un affrontement de générations…

Le mouvement français d’Emmanuel Macron reste une source d’inspiration, tant pour le CDH Benoît Lutgen que pour le MR Georges-Louis Bouchez, parmi d’autres, dont les participants au groupe E-Change de Jean-Michel Javaux (Ecolo). John Joos, conseiller communal montois élu sur la liste Citoyen en 2012, a suivi la joute des dernières semaines avec un scepticisme teinté d’exaspération. Pour celui qui réfléchit sur la structuration d’un mouvement citoyen depuis le début des années 2000, le combat Di Rupo – Bouchez est l’expression ultime de la  » politique politicienne  » égotique.  » Ce que Georges-Louis Bouchez fait à Mons, c’est de la récupération pure et simple, épingle-t-il. Il affirme jouer l’ouverture, mais reste délégué général de son parti et c’est le MR qui finance tout. Or, qu’ont-ils fait pendant trente ans pour contrer l’hégémonie socialiste, comme ils prétendent vouloir le faire ?  »

Partout en Wallonie, les partis traditionnels mettent actuellement en place des listes à caractère citoyen. Or, souligne John Joos, ils ne vont pas au fond de la réflexion.  » Il faut changer le squelette de la politique, insiste-t-il, son mode de fonctionnement fondamental. Il faut arrêter de croire que l’on va changer les choses avec des hommes, à la Macron, ou en amenant de nouveaux capitaines, comme le CDH a tenté de le faire avec Opaline Meunier.  » Samedi 20 janvier, les nombreux mouvements citoyens se sont rassemblés à Bruxelles pour partager leurs expériences : Belvox, Oxygène, Cumuleo, Transparencia, Tout autre chose… John Joos était de la partie.  » Il y a là une vraie volonté de refonder la démocratie, relève-t-il. Le problème, ce sont les moyens financiers. Moi-même, je n’ai pas les moyens de mener une campagne digne en 2018. Tout est cadenassé.  »

Le drame qui se joue à Mons et en Wallonie est une pièce de théâtre universelle. Ses acteurs – Lutgen, Meunier, Bouchez, Joos… – incarnent tous une certaine façon de faire de la politique.  » Mais ma génération arrive, scande Opaline Meunier. Je ne suis que la première à ruer dans les brancards, avant beaucoup d’autres.  »

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