Raphaël Enthoven

L’addiction, s’il vous plaît !

Raphaël Enthoven Philosophe VIP

La cigarette électronique dévoile le vrai but des antitabac : combattre le plaisir.

Ce n’est pas une cigarette ; c’est mieux, c’est meilleur et pourtant c’est moins nocif. Comme une cheminée virtuelle dont les bûches d’aluminium dissimulent un allume-gaz, ou le chant d’un rossignol imaginaire qu’un gamin armé d’un sifflet serait chargé par le maître des lieux de contrefaire pour plaire à ses invités, tout est artificiel dans la cigarette électronique : le cylindre est un tube rigide, le foyer est une résistance, la combustion est imaginaire, le filtre est un dessin, la fumée est de la vapeur. Mais, à la différence de toutes les autres contrefaçons, le plaisir qu’on en retire est plus vrai que nature. Pour la première fois depuis le début de la guerre antitabac (dont les hostilités remontent à l’interdiction, par Hitler, de la cigarette dans les lieux publics), nous sommes en présence d’un objet susceptible de transcender l’alternative entre le tabagisme qui tue et les palliatifs qui n’en guérissent pas, d’éviter le cancer du poumon sans tomber dans celui de l’hygiénisme, de ne plus mourir à petit feu sans se laisser gâcher la vie par les zélotes de la bonne santé. Pour la première fois, l’illusion de fumer remplace avantageusement l’empoisonnement en toute connaissance de cause. A quoi tient ce miracle ?
Jusqu’à présent – du patch au chewing-gum, de la pastille à la sucette – les substituts nicotiniques n’étaient qu’un détour, le remplacement d’une dépendance par une autre, moins savoureuse, une façon d’aguicher la cigarette en la boudant ou en lui tournant autour, ou d’offrir au pénitent la possibilité provisoire de rester fumeur sans fumer avant qu’il revienne immanquablement à son vice comme au premier mensonge de sa vie. Et pour cause : s’il suffisait d’être gavé de nicotine pour ne plus fumer, les palliatifs marcheraient à coup sûr. Or, comme toute drogue, la cigarette n’est pas seulement une dépendance, fumer n’est pas uniquement un esclavage, mais aussi (d’abord ?) un plaisir, une joie, dont la positivité est irréductible au comblement d’un manque, une félicité méconnue par les « curés savants » et les médecins sans coeur qui, réduisant la cigarette à un vice et le bonheur de fumer à une addiction, sacrifient le bien-être du fumeur au Bien qu’ils lui imposent. Bref, alors que les palliatifs traitent la cigarette comme un symptôme, la cigarette électronique fait droit à un plaisir qui, autant que le cancer, est l’autre adversaire des ayatollahs de la bonne santé. Si elle offre le rarissime cas de figure d’un artifice qui se naturalise, d’une copie qu’on préfère à l’original, ou d’un moyen qui devient une fin en soi, c’est que, non contente de reproduire la forme et les sensations d’une cigarette classique, elle ajoute le supplément d’âme d’un plaisir sans nuisance ni danger. Et si, grâce à ce produit merveilleux, la paix devenait possible entre les fumeurs et les « curés » ? Il suffirait, pour cela, que les fumeurs acceptent de fumer sans se nuire (ce qui n’est pas évident) et que les curés admettent que la lutte antitabac est aussi le nom d’une guerre contre le plaisir (ce qui l’est encore moins).

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