Carte blanche

Ken Loach : Ils n’ont pas osé, mais « ceci n’est qu’un début »

« Ils » n’ont pas osé perturber la séance qui a célébré les docteurs honoris causa à l’ULB jeudi dernier. Le mot  » ils  » pourrait faire croire au complot, mais je n’ai pas de problème à les citer.

On commencera par le Centre Communautaire Laïc Juif au sujet duquel je me demande comment son fondateur David Süsskind un vrai Mensch — en allemand et en yiddish, homme au sens humain — aurait réagi devant les paroles et les écrits de ceux qui lui ont succédé. Sans parler des mots absolument vides de sens du Centre Communautaire des Organisations Juives de Belgique (CCOJB). Ou de Jacques Brotchi, baron et professeur honoraire de l’ULB — un titre que l’on distribue un peu trop vite, puisque je le suis aussi ; je parle bien sûr du titre de professeur honoraire pas du titre de baron. M. Brotchi a déclaré que si le Recteur de son ancienne université ne changeait pas d’avis sur le doctorat accordé à Ken Loach, il ne viendrait pas à la cérémonie de jeudi dernier. Le Recteur n’a pas changé d’avis, Jacques Brotchi ne s’est, j’imagine, pas pointé, et je n’ai entendu personne, mais alors là, vraiment personne, se lamenter de ne pas l’avoir vu.

Bref, la cérémonie de remise des diplômes s’est très bien déroulée avec des ovations debout pour chacun des lauréats : Siegi Hirsch, Ahmet Insel, Ken Loach et Christiane Taubira.

Mais « Ceci n’est qu’un début » (1), comme vient de l’annoncer le compagnon de route de M. Brotchi, Pierre Mertens, enseignant émérite de l’ULB, né comme moi en 1939, mais lui « de père résistant et de mère juive », comme le dit si joliment sa biographie dans Wikipédia. Mon père n’était qu’un russe blanc, et ma mère une juive autrichienne, sauvée parce qu’elle a pu se réfugier au Congo belge, comme on l’appelait à l’époque.

Ah bon, alors allons-y. C’est le début de quoi ?

Des morts palestiniens sans armes sur lesquels tirent à balles réelles les valeureux soldats israéliens dont on voit l’un d’eux qui vise longuement un Pal de Gaza et rit aux éclats quand il vise assez juste pour que ce Pal tombe et cesse sans doute de vivre ? (2) Non, ce n’est pas un début, c’est plutôt courant.

A moins que ce ne soit le début de l’ignorance de toutes les résolutions des Nations Unies, qui permet aux Israéliens de faire ce que bon leur semble dans ce pays qui déborde de lait et de miel ? Non, ce n’est pas un début, ça date de 1948.

Ou encore, le début de propos tels que ceux d’un distingué membre du Parlement israélien « on aurait dû loger une balle dans la peau, ou au moins dans la rotule » d’Ahed Tamimi (3), la jeune palestinienne qui avait, il y a quelques mois, giflé un soldat israélien. Non ce n’est pas un début, c’est une phrase, hélas déjà prononcée lors de la première intifada par Yitzhak Rabin, qui plus tard, alors qu’il était devenu premier ministre, a été lâchement assassiné par un religieux juif parce qu’il avait changé d’avis sur la question palestinienne.

Ou encore, le début des tirs à bout portant par des soldats israéliens sur les « terroristes » palestiniens à terre ? (4) Non, ce n’est pas un début, mais sans doute assez courant parmi les soldats de Tsahal.

Ou encore, comme peu de peuples, dont les Belges, l’ont fait lorsque les Juifs devaient fuir l’Allemagne, les Israéliens pensent aujourd’hui « qu’il est temps de déporter [quelque 40.000] migrants africains » et essaient de les expulser ? (5) Ben non, ce n’est pas un début, puisqu’ils ont depuis 1947 l’habitude des expulsions.

Comme vous le voyez dans mon propos, ce n’est pas comme vous le suggérez, M. Mertens, Ken Loach qui a des « positions meurtrières et répétées (à l’égard de tout ce qui, de près ou de loin, touche à Israël). » Des paroles que vous mettez d’ailleurs prudemment dans la bouche du Juif de gauche Claude Askolovitch et que j’ai vainement cherchées dans son article où il parle de Loach (6). Pas plus que les propos de Ken Loach ne courtisent le négationnisme, comme vous l’écrivez en grasses. Au contraire, j’ai trouvé dans le texte d’Askolovitch le compliment suivant qu’il fait à Loach : « il est un des humanistes les plus intransigeants de cette planète », tout en n’acceptant pas sa position anti-israélienne et son incitation à adhérer au BDS (Boycott, Divestment, Sanctions contre Israël) comme on l’avait fait pour casser l’apartheid en Afrique du Sud.

Et vous vous plaignez que le monde est devenu antisémite ? Mais regardez-vous, nom de dieu !

C’est quoi votre objectif, Professeur Brotchi, M. Mertens et autres qui avez signé un ou plusieurs manifestes contre votre propre université, dans les mains de laquelle vous avez mangé pendant de longues années ?

La démission ou la destitution du recteur Yvon Englert parce qu’il est un Juif qui n’est pas de votre « bord » et ne dessine pas avec le même compas que celui que vous avez sans doute l’habitude d’utiliser.

Victor Ginsburgh, économiste et professeur émérite de l’ULB

(1) Pierre Mertens, Et si ce n’était qu’un début, L’Echo, 28 avril 2018.

(2) Voir la video sur https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/israel-palestine-shoot-video-gaza-shooting-video-sniper-protests-a8298196.html

(3) Israeli lawmaker: Palestinian teen Tamimi ‘should have gotten a bullet, at least in the knee’, Haartez, April 22, 2018.

(4) Voir par exemple https://en.wikipedia.org/wiki/Hebron_shooting_incident pour un (long) résumé non politique de l’affaire.

(5) Jonah Jeremy Bob, Netanyahu : Time to increase deportation of African migrants, The Jerusalem Post, November 19, 2017.

(6) Pierre Askolovitch, Moi, juif de gauche, admirateur de Ken Loach, je renonce à son film, mai 2016.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire