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KB-LUX l’heure des comptes

L’enquête prometteuse sur la plus grande fraude fiscale supposée en Belgique a tourné au fiasco. Le fond de l’affaire ne sera probablement jamais jugé.

L’affaire KB-Lux est le plus emblématique des dossiers de grande fraude fiscale inaboutis qui ont émaillé les années 1980 et 1990. Une fraude – sans doute la plus énorme de l’histoire belge – estimée à 400 millions d’euros. Mais les 14 prévenus de ce dossier fleuve ont obtenu de ne pas être jugés et ils ne le seront probablement jamais. Parmi eux : onze banquiers, dont Remi Vermeiren, ancien président de la KBC, Damien Wigny, ancien patron de la banque luxembourgeoise, et Etienne Verwilghen, actuellement directeur à la KBC. Des poids lourds.

Lorsque Jean-Claude Leys, alors juge d’instruction à Bruxelles, avait clôturé son enquête en octobre 2000, on pensait pourtant que la Belgique allait enfin connaître son grand procès de la fraude fiscale. Sur la base de documents bancaires volés par quatre ex-employés de la KB-Lux, le magistrat à la pipe (qu’il ne fume plus depuis plusieurs années) avait mis au jour des montages frauduleux, à partir des fameux prêts back-to-back, impliquant les banques s£urs du holding Almanij, la KB-Lux et la KBC, ainsi que plusieurs milliers de leurs clients.

En 1997, Leys avait arrêté les plus gros poissons présumés : Damien Wigny, qui a passé près de trois semaines en prison, les époux Verkest, impliqués dans la crise de la dioxine (la cour d’appel de Gand les a définitivement condamnés dans ce dossier-là, le 10 décembre 2010), et la sulfureuse Rita Verstraeten, ancienne coiffeuse à Molenbeek, au passé trouble, héritière du magnat du tabac Roger Gosset.

A l’issue d’une instruction houleuse de treize ans, au cours de laquelle le juge a fait l’objet de tentatives de déstabilisation (filature par des détectives privés, pneus crevés…), 38 inculpés ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel. Le parquet reverra, plus tard, ses prétentions à la baisse. Mais très vite, l’affaire KB-Lux a tourné au bras de fer entre le milieu de l’enquête et les avocats des banquiers. Avec un rare acharnement, ces derniers ont saisi le Comité P et multiplié les plaintes pénales contre Leys et plusieurs inspecteurs de l’ex-PJ. Ils leur reprochaient d’avoir manipulé les preuves.

DOUBLE GIFLE POUR LES ENQUÊTEURS

En principe, des documents volés ne peuvent être pris en compte par la justice, car il s’agit d’une pratique déloyale. A moins que la justice ne tombe dessus fortuitement, à la faveur d’une autre enquête par exemple. Le juge Leys et les inspecteurs, qui ont monté le dossier KB-Lux, assurent que c’est ce qui s’est passé en 1995, suite à la lettre de dénonciation d’un certain Richard Vandergoten, incarcéré à la prison de Saint-Hubert. Ce dernier y accusait un certain Jean-Pierre Leurquin d’avoir détourné sa pension d’invalide. Toujours selon la lettre, Leurquin, indicateur de la police, placé sur liste noire, détenait des listings de la KB-Lux qu’il aurait tenté de monnayer avec un homme d’affaires parisien. Le parquet de Bruxelles a aussitôt ouvert une information judiciaire. Et c’est ainsi que les documents sont entrés dans la procédure. Par la bande.

Cette version a été vivement contestée par les avocats des inculpés qui accusent les policiers d’avoir d’abord organisé de fausses perquisitions pour pouvoir verser les documents volés au dossier. Le parquet n’étant pas convaincu par la recevabilité des pièces, les péjistes auraient alors manigancé l’histoire Vandergoten, avec leur indic Leurquin. Le juge Leys aurait ensuite couvert leur chipotage en modifiant des procès-verbaux. Mais, après enquête, ni le Comité P ni la Cour de cassation n’ont retenu d’éléments à charge des enquêteurs et de Leys (aujourd’hui avocat général à Mons).

Lors du procès KB-Lux, en 2009 et 2010, le tribunal correctionnel de Bruxelles puis la cour d’appel ont néanmoins suivi la thèse de la défense et déclaré, avec des attendus cinglants, les poursuites pénales irrecevables. Une double gifle pour l’enquête et une contradiction remarquable entre ces jugements et la décision de la Cour de cassation à l’encontre de Leys. En outre, si la manière dont les documents volés à la KB-Lux sont entrés dans la procédure pose problème, leur authenticité n’a jamais été remise en cause. C’est tellement vrai que près de 9 000 clients du groupe KB ont accepté, sur cette base, des transactions avec l’administration fiscale. Ces mêmes documents ont également permis au fisc belge d’envoyer plus 60 000 informations à des administrations étrangères. Le 21 décembre 2010, le parquet général a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. Une action plus symbolique que déterminante. Car, même si l’arrêt était cassé, un nouveau procès aurait peu de chance de se tenir, les faits incriminés étant bientôt prescrits. Le fonds de l’affaire KB-Lux ne sera donc sans doute jamais examiné par un tribunal. Quant aux clients de la KB qui ont subi un redressement fiscal, ne pourraient-ils pas se retourner contre l’Etat en lançant une procédure en dommages et intérêts ? Le dossier de la plus grande fraude fiscale supposée serait alors un ratage sur toute la ligne…

Article publié le 4 février 2011 par Thierry Denoël dans Le Vif L’Express.

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