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Kazakhgate: pas de plus-value sur De Decker

La Sûreté de l’Etat ne disposait pas d’informations qui offraient une plus-value par rapport aux sources ouvertes constituées de coupures de presse, a indiqué mercredi l’ex-administrateur général Alain Winants, justifiant le fait que les autorités politiques et judiciaires n’ont pas été informées avant 2016 des agissements à l’Elysée de l’ex-président du Sénat Armand De Decker au printemps 2011.

Selon des notes internes de la Sûreté évoquées dans un rapport du Comité R, les renseignements français (l’ex-DCRI, aujourd’hui DGSI) ont contacté leurs homologues belges après avoir été interrogés par l’Elysée sur une absence de collaboration au sujet d’un dénommé Eric V(an de Weghe), homme d’affaires sulfureux qui avait traité avec le trio Chodiev. L’Elysée aurait été sensibilisée à ce sujet par l’ex-président du Sénat Armand De Decker. D’après Alain Winants, la DCRI était très réservée sur les circonstances de l’intervention et il a été répondu que si des éléments devaient être communiqués, ce serait via les canaux appropriés. Selon une note d’un ex-conseiller de l’Elysée, Jean-François Etienne des Rosaies, Armand De Decker aurait transmis à l’ex-sécrétaire général de l’Elysée Claude Guéant la fiche de Sûreté d’Eric V., entre-temps en froid avec Patokh Chodiev. Tant Armand De Decker que Claude Guéant nient cette information. De 2012 à 2016, des notes internes de la Sûreté ont appelé à alerter les autorités politiques judiciaires au sujet d’une possible immixtion de la France dans les intérêts nationaux.

« Manifestement, la Sûreté en savait plus que ce qui se trouvait dans les informations de presse concernant le voyage d’Armand De Decker à Paris », a notamment relevé Georges Gilkinet (Ecolo). « Mais la Sûreté ne transmet que des renseignements qui présentent une plus-value. Les seuls arguments provenaient de reprises de presse et d’éléments non contextualisés par les services français. Il n’y avait pas d’éléments permettant d’invoquer l’article 29 du Code d’instruction criminelle », a estimé M. Winants, suivi par son comité de direction.

Les notes relevaient de la responsabilité personnelle d’un analyste, a-t-il précisé. Finalement, le dossier n’a fait l’objet d’une communication administrative au Parquet de Bruxelles qu’en 2016, bien après le départ de M. Winants. Ces éléments « tendent à me donner raison », a-t-il souligné, estimant qu’on réinterprète aujourd’hui des informations sur base d’éléments connus postérieurement.

Quant au déjeuner entre MM. De Decker et Guéant, Alain Winants se contente d’observer que les deux protagonistes ont nié la transmission de la fiche de Sûreté. « On tente, j’imagine, d’insinuer que j’aurais donné cette fiche. Je n’ai donné aucun document à Armand De Decker qui ne m’en a non plus pas demandé », a assuré M. Winants.

Dans la majorité, seul le député Vincent Van Quickenborne (Open Vld) a pris la parole mercredi après-midi. « Vous auriez dû intervenir », a-t-il dit, mettant, à l’instar de l’opposition, l’ex-patron de la Sûreté sur la sellette. « Pourquoi n’êtes-vous pas intervenu? Peut-être parce que vous connaissiez M. De Decker? « , a-t-il même lancé. M. Winants a peu goûté à ce qu’il a qualifié d' »insinuations ».

Les explications d’Alain Winants relatives à la perte ou au vol du GSM à Paris de M. De Decker n’ont pas non plus convaincu les intervenants.

L’ex-président du Sénat a contacté M. Winants à ce sujet qui dit avoir entrepris des démarches pour se couvrir. « Je connais le personnel politique, on m’aurait assassiné si le GSM d’un ministre d’Etat, contenant potentiellement des données sensibles, avait abouti dans des milieux criminels », a-t-il réagi.

L’ex-patron du renseignement belge a alors tenté de déclencher une méthode particulière de recherche pour localiser l’appareil, une initiative finalement rejetée par la commission de contrôle BIM. « Mais quid des compétences territoriales? « , s’est interrogé Olivier Maingain (DéFI) alors que le téléphone avait disparu à Paris. Confus, Alain Winants a souligné qu’on en était aux balbutiements de la loi BIM.

Le président Dirk Van der Maelen a tenté d’en savoir plus sur les motivations d’Armand De Decker. M. Winants a répondu qu’il n’avait pas besoin d’Armand De Decker pour que son service soit mis en contact avec son homologue français.

Les commissaires n’ont pas non plus manqué d’interroger Alain Winants sur sa Légion d’honneur annoncée en juillet 2011, l’encre de la transaction pénale élargie avec le trio Chodiev à peine sèche.

« Pensez-vous vraiment que j’étais prêt à perdre une réputation pour une Légion d’honneur, pourquoi pas alors pour une vente d’hélicoptères au Kazakhstan, tant que vous y êtes », s’est énervé Alain Winants. « Heureusement que le ridicule ne tue pas parce qu’il y aurait beaucoup de victimes », a-t-il conclu.

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