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Kazakhgate: les mails qui impliquent Didier Reynders

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

« Le ministre m’a passé un sacré savon ». Didier Reynders était très irrité des soupçons exprimés à l’égard de Jean-François Etienne des Rosaies, cet ex-conseiller élyséen impliqué dans le Kazakhghate. C’est ce qui ressort d’un mail de 2014, parmi d’autres, que dévoilent Le Vif et De Standaard.

Jean-Claude Fontinoy, le fidèle bras droit de Didier Reynders, a-t-il menti, devant la commission d’enquête parlementaire sur la transaction pénale, à propos de Jean-François Etienne des Rosaies? Interrogé le 10 mai dernier sur ce conseiller de l’ombre de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, il a reconnu l’avoir rencontré à plusieurs reprises à partir d’octobre 2013 mais a juré ses grands dieux qu’à l’époque il ne savait rien de l’implication de celui-ci dans le scandale du Kazakhgate, pourtant déjà révélé par la presse française et belge depuis fin 2012. « Je ne le savais pas, je le jure », a affirmé l’expert du ministre libéral des Affaires étrangères aux députés devant lesquels il venait de prêter serment.

« Lorsqu’il m’a téléphoné en octobre 2013, a-t-il expliqué, c’était pour le projet d’anoblissement de Georges Forrest (Ndlr : l’homme d’affaires belge, dont des Rosaies est un proche). J’ai demandé à ma secrétaire de voir qui il était, car je ne pouvais recevoir n’importe qui. Elle m’a appris qu’il était conseiller spécial du grand chancelier de l’Ordre de Malte. Elle ne m’a pas donné d’articles de presse sur le Kazakhgate. J’ignorais alors tout cela, je vous en donne ma parole. » Georges Gilkinet a alors insisté : « Personne ne vous alerté non plus au niveau diplomatique sur ce des Rosaises ? », a demandé le député Ecolo. « Non, personne. Non », a répondu Fontinoy.

Gilkinet faisait référence notamment à une enquête du Vif/L’Express et du Standaard qui, en novembre dernier, révélait que Fontinoy avait mobilisé des milieux diplomatiques autour de la personne d’Etienne des Rosaies, à l’automne 2013. Interrogé par nos soins, Fontinoy avait tout nié en bloc et prétendu n’avoir jamais vu ni entendu des Rosaies… Devant la Commission, il a donc reconnu l’avoir reçu à plusieurs reprises, mais sans rien savoir de son implication dans le Kazakhgate. Dit-il vrai ? Difficile de le croire, après le témoignage, ce 15 mai devant la commission, de l’ancien ambassadeur de Belgique auprès du Vatican.

En effet, Charles Ghislain, l’ambassadeur, a confié aux parlementaires qu’il avait bien envoyé un mail à Jean-Claude Fontinoy, en date du 5 novembre 2013, dans lequel il lui expliquait clairement que « Monsieur Etienne » était lié à « l’affaire Chodiev » et avait « plongé notre ami Armand De Decker dans un grand embarras ». En l’informant de cette manière, l’ambassadeur répondait à une demande de Fontinoy qui cherchait à savoir si des Rosaies était bien le conseiller spécial du grand chancelier Jean-Pierre Mazery, comme l’indiquait la carte de visite qu’il avait reçue. A cette époque, la Belgique s’apprêtait à reconnaître diplomatiquement l’Ordre de Malte. Bref, Fontinoy ne pouvait ignorer qui était vraiment des Rosaies.

Mais il y a beaucoup plus interpellant. Visiblement, les renseignements zélés de l’ambassadeur sur Etienne des Rosaies n’ont pas eu l’heur de plaire au ministre Reynders lui-même. Evoquant un autre mail de l’ambassadeur ce lundi, Dirk Van der Maelen (SP.A), le président de la commission, a demandé à Charles Ghislain si, lors d’un passage ultérieur à Bruxelles, il ne s’était pas « fait passer un savon » par le ministre pour avoir critiqué Etienne des Rosaies. Devenant soudain blême, le diplomate a botté en touche, exigeant de pouvoir répondre à cette question, un autre jour, à huis-clos en présence de son avocat. Le Vif et De Standaard ont mis la main sur ce mail qui date du 13 janvier 2014.

« Embarrassant pour le Ministre »

Ce courriel est adressé à François de Kerchove, à l’époque chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères, et aujourd’hui ambassadeur à l’OTAN. Ghislain s’inquiète déjà depuis plusieurs semaines de ne plus être en cour, ni auprès de Jean-Claude Fontinoy, ni auprès de Didier Reynders. Plusieurs mails d’excuses, qui nous sont également parvenus, le démontrent. Mais l’ambassadeur de Belgique au Saint-Siège répond surtout alors à un mail doucereux de François de Kerchove, daté du 7 janvier 2014.

Le chef de cabinet de Didier Reynders y explique que des rumeurs sont arrivées à la tête du ministère des Affaires étrangères via un corbeau au Vatican, selon lesquelles Charles Ghislain se répandrait en allégations sur Didier Reynders, sur Jean-Claude Fontinoy ou sur l’Ordre de Malte. Parmi ces allégations que l’ambassadeur au Saint-Siège serait censé colporter, le fait que « l’axe Sarkozy-Reynders-Ordre de Malte-Georges Forrest est une affaire de gros sous… ». On comprend que François de Kerchove trouve que « le contenu de ces rumeurs est embarrassant pour le Ministre et pour l’action de son cabinet », et qu’il demande à Charles Ghislain « de se montrer le plus discret possible ».

« Il est vraiment fâché »

C’est donc un Charles Ghislain défait, « réellement atterré et très inquiet », qui répond longuement à François de Kerchove, le 13 janvier 2014. Ghislain explique alors avoir vu le ministre, qui lui a passé « un sacré savon » à propos de rumeurs qui doivent s’arrêter. « Il était vraiment fâché », continue-t-il, avant de préciser : « Je croyais alors qu’il ne s’agissait à nouveau que de la prétendue insulte faite à Jean-Claude (Ndlr : Fontinoy) et des soupçons que j’ai exprimés quant à la parfaite probité de M. Jean-François Etienne des Rosaies, apparemment un ami très cher du Grand Chancelier Mazery. » Tout est dit dans ce dernier bout de phrase… qui implique directement Didier Reynders. On comprend bien mieux, à sa lecture, pourquoi l’ambassadeur (lui-même MR) a blêmi lorsque Van der Maelen l’a évoqué.

Cela signifie donc que Reynders était au courant, fin 2013-début 2014, des démarches de des Rosaies auprès du cabinet. On peut aussi déduire de ce mail que les soupçons évoqués par le diplomate à l’encontre du conseiller spécial du grand chancelier irritaient le ministre MR. Cela lui a visiblement causé de solides ennuis, alors qu’il s’était contenté d’informer Fontinoy sur ce qu’avait écrit la presse à propos de l’implication de des Rosaies dans le Kazakhgate. Et ces ennuis ne constituent pas seulement des remontrances.

Dans son mail, Ghislain, qui arrive en fin de mandat à l’ambassade du Vatican, évoque son espoir de rempiler pour un an : « J’écris à P&O (Ndlr : service Personnel & Organisation) depuis 2 ans au moins que je souhaite être dans le mouvement 2014″. Or, le 22 mai de cette année-là, il est déchargé de ses fonctions et nommé adjoint au comité interministériel pour la politique de siège (relations entre la Belgique et les organisations internationales), avant sa mise à la retraite le 1er décembre 2016. Pas vraiment une fin de carrière glorieuse…

Tout cela confirme, par ailleurs, la teneur du mail envoyé par Etienne des Rosaies à Jean-Pierre Mazery, le 11 décembre 2013, et révélé par la RTBF, il y a cinq mois. Dans ce courriel, le conseiller de Sarkozy parlait des « propos outranciers tenus par l’ambassadeur de Belgique au Vatican, qui est sanctionné par Didier Reynders », avant d’évoquer : « L’estime et les liens qui me lient tout particulièrement au Président Jean-Claude Fontinoy, homme lige auprès de Didier Reynders ». Il semble indispensable que la commission Kazakhgate réentende Fontinoy et l’ambassadeur Ghislain. Mais, surtout, l’audition de Didier Reynders, qui dans une lettre à la commission s’est défendu d’avoir eu le moindre contact avec un des protagonistes du dossier Chodiev, est de plus en plus attendue…

Ci-dessus dans l’ordre : le mail de Jean-Claude Fontinoy à l’ambassadeur, avec les cartes de visite jointes ; la réponse de Charles Ghislain à propos de JFE des Rosaies ; le mail du chef de cabinet François de Kerchove qui évoque les rumeurs « embarrassantes pour le ministre.

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