La commission d'enquête parlementaire sur le Kazakhgate. © Belga

Kazakhgate : affaires courantes et la séparation des pouvoirs fragilisées

La commission d’enquête parlementaire Kazakhgate termine mardi six mois d’auditions avant de profiter des vacances parlementaires pour réfléchir à ses conclusions.

Si elle a pu obtenir la confirmation d’un Kazakhgate au départ de la France, elle n’a pu mettre au jour d’éléments probants permettant d’établir un lien entre celui-ci et l’élaboration législative en Belgique. Elle a en revanche mis le doigt sur la fragilité des affaires courantes et de la séparation des pouvoirs.

L’audition le 3 mai de Claude Guéant, l’ancien secrétaire général de l’Elysée en poste à l’époque du président Nicolas Sarkozy, aura permis à la commission d’enquête parlementaire Kazakhgate d’obtenir la confirmation qu’une cellule a bien été mise sur pied fin 2010 à Paris, avec le concours de l’ancien président du Sénat belge Armand De Decker (MR). L’objectif était d’éviter en Belgique toute publicité judiciaire négative au trio caucasien Patokh Chodiev, Alijan Ibragimov et Alexander Mashkevitch, ainsi que l’avait exigé le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev comme garantie de la conclusion d’un contrat d’hélicoptères avec la France.

La commission d’enquête parlementaire s’est intéressée au parcours législatif de la loi de transaction pénale élargie, qui s’est accéléré au premier semestre 2011 avant que la loi ne s’applique en juin au trio caucasien, juste avant le salon du Bourget où a été signé le fameux contrat d’hélicoptères.

La commission aura pu constater, à la lecture d’échanges de courriels, corroborés par plusieurs témoignages que, dès la fin 2010, un accord politique sur la transaction pénale élargie et la levée du secret bancaire a été forgé, à l’initiative du MR, et singulièrement de Didier Reynders, à l’époque vice-premier ministre, ministre des Finances, et président du parti jusqu’au début 2011. Permis par le Premier ministre Yves Leterme (CD&V), pourtant à la tête d’un gouvernement en affaires courantes, il a consisté à coupler une levée plus large du secret bancaire, contre laquelle le MR s’était toujours opposée, avec la loi de transaction pénale élargie, jusqu’alors refusée par le parti socialiste.

Mais la commission n’a pu mettre la main sur des irrégularités, d’aucuns justifiant l’émergence d’un deal par le contexte politique de l’époque, celui d’un parlement où les majorités de rechange pouvaient se nouer plus allègrement en période d’affaires courantes, ou être utilisées comme leviers en fonction des priorités partisanes. Le tout dans un climat financier international tendu, avec une perspective de rentrées budgétaires et alors que tant la transaction pénale que la levée du secret bancaire étaient recommandées par la commission d’enquête sur la grande fraude.

En examinant l’application de la loi de transaction pénale élargie, les députés membres de la commission d’enquête auront pu mettre au jour l’étendue des pouvoirs que s’octroyaient les Parquets qui, tant à Anvers qu’à Bruxelles, planchaient déjà, au début 2011, dans les dossiers Société générale et Chodiev, sur la mise en oeuvre d’un dispositif légal qui n’était pas encore voté. Mieux, ils auront découvert les prémices de la volonté d’élargir la loi de transaction pénale, poussée dès 2008 par le secteur diamantaire anversois qui s’était invité pour ce faire à la table du ministère public et de politiciens, CD&V et N-VA essentiellement. Au coeur de ce lobbying diamantaire, deux avocats anversois, Raf Verstraeten et Axel Haelterman furent encore invités en bout de parcours législatif sur la transaction pénale élargie au Sénat en 2011, en leur qualité de spécialistes de la procédure pénale et de la fiscalité, pour s’assurer que le dispositif en projet était conçu selon les critères de qualité désirés.

En lien avec le Kazakhgate cette fois, certains clignotants ont été mis au jour. Deux rapports sévères du comité R, l’organe de contrôle des services de renseignements, auront semé le trouble au sein de la commission d’enquête. Ils soulignent la passivité de l’ex-administrateur général de la Sûreté Alain Wynants, à la tête d’une hiérarchie saisie à maintes reprises par ses collaborateurs d’un danger d’immixtion d’une puissance étrangère dans le fonctionnement de l’État belge, avec le concours de M. De Decker.

La passivité du Parquet de Bruxelles à enquêter sur cette « affaire d’État » restera également au nombre des questions en suspens, même si ses représentants s’en sont défendu et ont très souvent rappelé les conditions dramatiques dans lesquelles les législateur, gouvernement et parlement confondus, l’obligeaient à travailler.

L’ancien ministre de la Justice Stefaan De Clerck n’a pas non plus totalement convaincu quand il a justifié par la nécessité de ne pas « contaminer » le gouvernement auquel il appartenait le fait de ne pas l’avoir averti de l’immixtion de M. De Decker. Ce dernier était venu s’enquérir auprès de lui de l’état d’avancement de la loi de transaction pénale, utile pour son client Patokh Chodiev, et avait plaidé auprès de son cabinet l’application d’une telle loi au profit de son client.

Comme presque tous les avocats venus témoigner devant la commission d’enquête, Maître De Decker, un des personnages centraux du dossier, s’est retranché derrière son secret professionnel, non sans avoir brocardé la commission, ainsi que les diamantaires et le CD&V dont il a dit avoir compris qu’ils étaient à l’origine de la loi de transaction pénale élargie.

Les travaux de la commission d’enquête auront été marqués par de très vives tensions, loin du consensus qui habite traditionnellement ce type de commission. Incisifs, les députés d’opposition, sp.a, Ecolo et PS ont eu tendance à vouloir rallonger les débats, les perdant notamment en préambule des travaux, dans d’interminables discussions sur l’acquisition de la nationalité belge par Patokh Chodiev et Alijan Ibragimov. Protégeant leurs pré-carrés jusqu’à user de joutes internes à la majorité, Chodiev versus diamantaires, les députés MR et CD&V, ont subitement sifflé la fin des auditions à l’aube des vacances parlementaires, rejoints par le reste de la majorité. Affaibli par sa décoration octroyée par l’Ordre de Malte qui lui coûta la présidence de la Commission – l’Ordre de Malte dont le jeu d’influence sera fortement relativisé par la commission – Francis Delpérée (cdH) resta cantonné à un travail sur les faits. Lui qui, en tant qu’ancien sénateur, fut bluffé comme ses collègues par l’audition des pseudo-académiciens Verstraeten et Haelterman, et par la vaine promesse du ministre de la Justice Stefaan De Clerck d’appeler le ministère public à attendre le vote d’une loi réparatrice avant d’appliquer la transaction pénale élargie. On notera encore le rôle très actif et souvent à propos du député de la majorité Vincent Van Quickenborne (Open Vld) même s’il se rallia finalement à l’idée d’accélérer la fin des auditions.

Au final, les principaux acteurs du dossier, le trio d’hommes d’affaires Chodiev et consorts, n’aura pas été entendu. Chodiev et Ibragimov pourraient l’être après la rentrée parlementaire. Mais via ses avocats en Belgique, Patokh Chodiev a refusé tout témoignage, même si sa qualité de citoyen belge l’y contraint. Il a annoncé qu’une citation en justice n’y changerait rien. Ses avocats ont attaqué à plusieurs reprises la commission d’enquête parlementaire devant la Justice, dont le président Dirk Van der Maelen (sp.a) et le député Georges Gilkinet (Ecolo).

Contenu partenaire