Jean de Codt, premier président de la Cour de cassation. Pour Christian Behrendt, ces dernières années, les magistrats sont allés trop loin, alimentant la tension avec le pouvoir politique. © BELGA/Dirk Waem

Justice et politique, le clash: « Les magistrats vont trop loin »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

« Le juge est un représentant de la nation au même titre qu’un député », assénait, le 15 mai, à la télévision, le premier président de la Cour de cassation. À tort ou à raison? L’avis opposé de constitutionnalistes.

Christian Behrendt juge sévèrement la sortie de Jean de Codt, premier président de la Cour de cassation, le 15 mai dernier, à la télévision (« Le juge est un représentant de la nation au même titre qu’un député »). Le constitutionnaliste à l’ULg se « demande s’il [Jean de Codt] procède à une lecture correcte de la Constitution. Elle précise que seuls les membres du Parlement – élus – sont les représentants de la nation. Il y a de bonnes raisons: le pouvoir judiciaire n’a ni les mêmes prérogatives, ni la même légitimation que le pouvoir législatif; les juges ne doivent pas rendre des comptes à l’électeur et ne peuvent être révoqués. Le « patron » ultime de notre système, c’est donc bien le Parlement. »

Assiste-t-on à une augmentation des tensions entre pouvoirs politique et judiciaire?

Sans doute y a-t-il eu ces dernières années au niveau judiciaire une certaine tentation à venir occuper la tribune publique. Parfois, les magistrats sont allés trop loin. Ghislain Londers, ancien premier président de la Cour de cassation, avait rédigé en 2008 une lettre accusant le gouvernement d’avoir fait pression sur la justice dans le Fortisgate. Ce qui avait entraîné la chute de l’exécutif. Après des années, l’information ne s’est pas avérée. Le 12 avril 2016 – huit ans plus tard – M. Londers a reconnu avoir agi un peu précipitamment…

La justice dénonce un sous-financement qui pourrait être délibéré de la part du politique…

Il y a un sous-financement de la justice, c’est certain et légitime d’en tirer la sonnette d’alarme. Mais ce n’est pas le seul secteur sous-financé. Aussi, attribuer cela a une volonté délibérée du politique afin d’enrayer un certain nombre de procédures, c’est un raisonnement que je ne peux pas suivre. Toute idée de réforme ne peut être estampillée ipso facto comme une atteinte irréparable à l’indépendance de la justice. Un ministre a le droit d’avoir des idées et de mener une politique, bonne ou mauvaise – c’est le Parlement et l’électeur qui en jugera. Le ministre peut tout faire s’il dispose d’une majorité parlementaire, s’il respecte la Constitution et s’il veille à ce que la justice soit rendue conformément à nos engagements internationaux.

Les « affaires » politiques, de Charleroi au refus de la levée d’immunité parlementaire d’Alain Mathot, n’ont-elles pas contribué à nourrir ces tensions entre les deux pouvoirs?

A ce que je sache, la question de M. Mathot n’est pas liée aux moyens de la justice. Une majorité au Parlement a décidé que les conditions n’étaient pas réunies pour lever son immunité. Cette décision appartient, de par la Constitution, au Parlement, et le rapport pour argumenter ce choix était particulièrement détaillé. Par ailleurs, l’affaire n’est pas terminée: le procureur général de Liège peut à tout moment demander une nouvelle levée d’immunité, et après la dissolution des Chambres, au plus tard en 2019, l’intéressé ne sera plus protégé et pourra dès lors, le cas échéant, être renvoyé devant une juridiction. Dans le cas de Charleroi, il y a finalement eu une simple déclaration de culpabilité. C’est le pouvoir judiciaire qui l’a décidé. Où est l’atteinte portée à son indépendance? Que du contraire: ce dernier a décidé en toute indépendance. Respectons sa décision.

Dans le cas de l’affaire Milquet, ses avocats affirment que le monde judiciaire s’en prend au monde politique…

C’est un dossier délicat, auquel je n’ai pas accès. Cela étant, il faut mesurer que dans le monde politique, il y a une tradition, que n’impose aucun texte légal: un ministre inculpé présente sa démission. Le monde judiciaire doit dès lors bien mesurer, en décidant une telle inculpation, qu’il interrompt brusquement la carrière ministérielle d’un mandataire démocratiquement légitimé. Mais rien n’indique, sur la base des informations dont nous disposons, que l’inculpation aurait été décidée à la légère.

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