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Johan Van Overtveldt, l’atypique

Le Vif

Qu’importe les remous des dernières semaines, l’homme est au-dessus de tout cela. C’est un flegmatique anglo-saxon. Et un dogmatique. Portrait de cet anti-Reynders.

Cette fois, ce n’est plus lui qui fustige les politiques. Il est devenu la cible. Lorsqu’il était rédacteur en chef du magazine économique Trends, Johan Van Overtveldt avait la gâchette facile pour dénoncer les errements budgétaires du PS et de Di Rupo.

Invité surprise de la N-VA au sein du gouvernement Michel, le ministre des Finances subit aujourd’hui les assauts de son partenaire de coalition, le CD&V. « Est-il encore crédible ? », tonne même Wouter Beke, président des sociaux-chrétiens flamands.

« De la pure démagogie »

« Après un an et demi de gouvernement, le déficit budgétaire est plus élevé qu’à la fin de l’année 2013, sous Di Rupo, peste Eric Van Rompuy, président social-chrétien de la commission parlementaire du Budget et des Finances. Pour atteindre l’équilibre en 2019, il faudra encore trouver 11 milliards d’euros. Nous entamons un circuit budgétaire d’enfer. » Le principal responsable, selon lui ? Johan Van Overtveldt, précisément, qui tarde à apporter les recettes prévues dans l’accord de majorité, tandis que son parti ne cesse de réclamer de nouvelles coupes dans la sécurité sociale. « La démagogie de De Wever et des siens nous énerve terriblement, s’emporte Eric Van Rompuy. Le fossé idéologique entre le CD&V et la N-VA devient fondamental. La coupe est pleine et elle déborde. »

Toujours chatouilleux en matière de finances publiques, le CD&V a pris le ministre nationaliste en grippe après sa proposition de réduire l’impôt des sociétés pour un montant global de 3,5 milliards d’euros, faite par voie de presse le 30 janvier dernier. « Je suis tombé de ma chaise quand j’ai lu ça, a réagi durement Wouter Beke. Monsieur Van Overtveldt fait quand même partie de ce gouvernement ? Ce n’est pas une façon d’agir. » « Ce n’est pas sérieux de venir avec cela au moment où la priorité consiste à résorber le déficit, appuie Eric Van Rompuy. Tout cela pour pouvoir dire ensuite aux entreprises que c’est le CD&V et l’Open VLD qui ont refusé. C’est de la pure démagogie. »

Sophie Wilmès (MR), ministre du Budget, a placidement constaté que la piste de son collègue des Finances venait « soit trop tôt, soit trop tard ». Un euphémisme, alors que le prochain contrôle budgétaire du gouvernement fédéral s’annonce périlleux. Le déficit dérape sérieusement. Or, on se trouve à l’os dans de nombreux départements et les dépenses explosent, surtout dans les compétences des nationalistes : sécurité, asile et migration, défense…

« Le problème est donc ailleurs, au niveau des recettes », estiment Wouter Beke et Eric Van Rompuy. Selon eux, Johan Van Overtveldt est coupable de laxisme. « Quelqu’un a-t-il encore entendu parler des revenus de la taxe sur les diamants ? Où en est-on avec la régularisation fiscale ? Ou la taxe sur la spéculation, à laquelle il dit lui-même ne plus croire ? » En guise de riposte, la N-VA a publié sur les réseaux sociaux deux graphiques caricaturaux comparant la répartition entre dépenses et recettes sous les gouvernements Di Rupo et Michel : 60 % de recettes nouvelles et 40 % d’économies lors de la législature précédente, 25 % contre 75 % cette fois-ci. Message de Johan Van Overtveldt : « Les pouvoirs publics coûtent trop cher. C’est pourquoi nous préférons les économies aux nouvelles dépenses. » Voilà qui est clair.

« Un déni de réalité »

Le bras de fer entre le CD&V et la N-VA a donné lieu à un fait politiquement significatif : en séance plénière de la Chambre, Eric Van Rompuy a été applaudi par l’opposition. « Parce que ce qu’il exprimait était juste, tout simplement », sourit Ahmed Laaouej, député PS, spécialiste des questions financières. Sans cacher que le CD&V revêt une importance particulière pour son parti en vue du prochain scrutin de 2019 : c’est le pivot de la coalition actuelle… et de toute majorité à venir.

L’opposition dénonce le funambulisme budgétaire du gouvernement Michel. « Ce n’est pas la seule responsabilité du ministre des Finances, relève Ahmed Laaouej. La responsabilité est collégiale. Cela dit, le ministre souffre d’un déni de réalité. Il s’enferme dans une vision idéologique de l’économie de l’offre, même s’il s’en défend. Il fait de la météorologie : il veut créer un climat favorable pour les entreprises, avec un saut d’index, des réductions d’impôts, des régimes fiscaux dérogatoires… en espérant créer de l’activité et des emplois. Mais ce postulat ne se vérifie pas. La marque de fabrique de la N-VA, c’est de poursuivre dans son idéologie, même si elle ne résiste pas à l’épreuve des faits. » Conclusion : « Il n’est pas faux de dire que Van Overtveldt est le porte-parole du patronat flamand. »

« C’est avant tout un grand théoricien néolibéral, adepte de la main libre et parfois en dehors du réel, acquiesce Georges Gilkinet, député Ecolo. Quand il met en place un système de taxation qui ne fonctionne pas, notamment en matière de contribution du capital, au fond, cela l’arrange bien. Il a une certaine faculté à rouler tout le monde dans la farine. Il veut mettre à son crédit le fait d’avoir instauré la taxe sur les diamantaires, la taxe Caïman ou celle sur les spéculations financières. Mais dans la réalité, cela ne rapporte rien. Et pour un nationaliste flamand, c’est un argument en plus pour prouver que l’Etat ne fonctionne pas. »

Laaouej et Gilkinet reconnaissent que sur la forme, il est irréprochable. « Il a un grand sens des civilités, reconnaît le premier. Je l’ai rarement pris en défaut de ne pas respecter l’opposition. Van Overtveldt, c’est l’anti-Reynders, qui rendait coup pour coup. Il a un flegme très britannique. » « Il est très affable, prolonge le second. Il répond longuement aux questions qu’on lui pose. Didier Reynders, lui, n’hésitait pas à envoyer à la gare. »

« Il ose dire les choses »

Atypique, Johan Van Overtveldt mène sa première expérience ministérielle avec le détachement de celui qui entend briser les codes. Et en vérité, cela séduit les experts. « Il n’a pas fait carrière dans la politique, ce qui lui donne une certaine candeur et même une certaine franchise, souligne l’économiste Etienne de Callataÿ, qui avait ouvertement brigué un mandat ministériel lors de la formation du gouvernement Michel. Son comportement politico-médiatique sort du lot. Il ose dire des choses que, politiquement, il n’est peut-être pas intelligent de dire, mais qu’il estime devoir dire parce que c’est un homme de conviction. Il n’a pas peur du débat d’idées. » Et d’ajouter : « Avant d’être ministre, il aimait être polémique. Il a toujours pris des positions tranchées (comme sur l’inefficacité de l’Etat, sur le fédéralisme, sur les impôts à supprimer), mais avec un fondement de compétences académiques. Tant mieux qu’il y ait en politique des gens de ce calibre intellectuel. » « C’est un théoricien à la base, un macroéconomiste avec une spécialité monétaire et cela se sent, complète Bruno Colmant, responsable de la recherche chez Degroof Petercam. Il a publié en 2011 un livre évoquant « la fin de l’euro » et son constat était assez lucide sur l’absence des réformes nécessaires pour gouverner efficacement l’Europe. »

Geert Noels, fondateur d’Econopolis, est venu à son secours à la suite des attaques « cavalières et très politiques » à son égard. Sur Twitter, il a posté, le 6 février : « Johan Van Overtveldt travaille bien comme ministre des Finances. D’où ces tentatives de ternir sa réputation. » « C’était un mot d’appui à un ami, un samedi matin », relativise-t-il. En ne tarissant pas d’éloges : « Johan Van Overtveldt est apprécié au niveau international et je suis sûr qu’il pourrait succéder à Jeroen Dijsselbloem, actuel président de l’Eurogroupe. Il a un doctorat en économie et il a donné cours pendant quinze ans aux Etats-Unis où il a publié un livre qui fait référence sur l’école de Chicago. » Très libérale, et très pragmatique…

Ses détracteurs rappellent toutefois ses apparentes positions de « faucon » parmi les ministres européens, quand il a défendu l’exclusion de la Grèce de la zone euro ou quand il exprime son scepticisme à l’égard de la taxe Tobin. « Il n’avait pas de mandat explicite en ce sens. »

« Un certain amateurisme »

Un spécialiste proche des libéraux confie combien la manière dont Johan Van Overtveldt gère les dossiers le laisse perplexe : « On peut y avoir un certain amateurisme, notamment sur la régularisation fiscale. Voilà un projet politique sur lequel l’opposition l’attend au tournant. Or, il sait bien que l’Etat fédéral a évolué et que les Régions ont de plus en plus leur mot à dire dans la mise en place d’un projet de DLU. Il a sous-estimé leurs réactions. Il a manqué de flair politique. Le résultat, c’est que ce projet a été mis au frigo, sans qu’on sache s’il en ressortira un jour. »

Le même dénonce le fait qu’il soit « plus proche des grandes entreprises que des petites », comme en témoigne son attitude dans le dossier des excess profit rulings (EPR) accordés par la Belgique aux multinationales, pour lesquels l’Union européenne a condamné notre Etat à exiger le remboursement de l’impôt exonéré car considéré comme aide d’Etat. « Il a pris la défense des multinationales de manière si obstinée qu’il risque, à un moment donné, de paraître comme un partisan des entreprises qui ne paient quasi pas d’impôts… C’est maladroit de donner cette image y compris auprès de l’électorat N-VA. »

Un sentiment que ne partage pas Etienne de Callataÿ. « Je ne crois pas que ce soit « Monsieur grandes entreprises ». Il est convaincu que, si on ne pratique plus les EPR, les bases imposables seront délocalisées ailleurs et nous n’aurons rien gagné dans l’histoire. Il y a aussi l’argument pragmatique de la stabilité de la règle de droit. En bénéficiant de ces rulings, les entreprises concernées ont adopté des comportements qu’elles n’auraient sans doute pas adoptés sans cela. Les remettre en cause a posteriori est gênant. Ce pragmatisme est compréhensible, bien que je n’aie, à titre personnel, aucune sympathie pour ce système. Le pragmatisme de Johan Van Overtveldt me plaît car il garde un levier pour contrer les Irlandais et leur taxe sur les entreprises à 12 %. »

« Si on l’avait laissé faire, il aurait été plus loin au niveau des réductions d’impôt, enchaîne Bruno Colmant. Il considère que la pression fiscale est trop forte en Belgique et il est inquiet de constater que l’on sort peu à peu du radar des entreprises internationales. A raison. Son idée sur l’impôt des sociétés n’est en réalité pas sotte. Personne n’a d’ailleurs considéré que c’était une mauvaise idée. » Johan Van Overtveldt est d’ailleurs revenu à la charge, ce lundi 15 février, en insistant sur la « nécessité d’agir » après les critiques venues des Etats-Unis contre le régime des intérêts notionnels. « Si nous voulons garantir la croissance et l’emploi, nous devons abandonner les recettes et les régimes fiscaux du passé », plaide-t-il. Un combat dans lequel il a même reçu le soutien… du CDH.

Novice en politique, Johan Van Overtveldt doit en outre composer avec une administration dirigée par Hans D’Hondt (étiqueté CD&V) qui ne lui était pas d’emblée favorable. « Au niveau du syndicat du SPF Finances, on a souvent dit que certains ministres étaient de véritables fantômes…, déclare Aubry Mairiaux, président de l’Union nationale des services publics (UNSP). Quand il a pris ses fonctions, Van Overtveldt a rencontré tous les syndicats. Une rencontre constructive. Nous nous en sommes réjouis en pensant que c’était adroit et de bon augure. C’était bien joué pour calmer les organisations syndicales. Fin stratège. Il n’a pas été journaliste pour rien. Mais nous ne l’avons vu que cette fois-là… »

Or, une tempête sociale s’annonce en raison du non-respect des mesures sociales négociées en compensation de la réforme Copernic. « Nous avons interpellé Van Overtveldt il y a deux semaines, nous n’avons même pas reçu un accusé de réception, poursuit le syndicaliste. Dans ce contexte, nous ne pouvons plus garantir la paix sociale. A partir de mi-février, nous organisons des assemblées générales de personnels dans tout le pays. La tension sociale est bien là. Il pourrait y avoir des actions. Ce sera sa première épreuve du feu sociale. »

« Pas là pour les recettes fiscales »

Au SPF, on a par ailleurs peu de choses à commenter sur Van Overtveldt et sa gestion de l’administration. Il laisserait celle-ci dans les mains de Hans D’Hondt sans trop intervenir. « Il n’est clairement pas là pour faire rentrer des recettes fiscales. C’est plutôt la compétence et la responsabilité de D’Hondt et du comité de direction du SPF. Par contre, il est très présent au niveau des choix de politique fiscale, avec une vision plus néolibérale que ce qui se trouve dans la déclaration gouvernementale, ainsi qu’une vision européenne sceptique. »

En ce qui concerne le futur plan contre la fraude fiscale, une compétence reprise à sa collègue de parti Elke Sleurs, le ministre a donné carte blanche à Gerda Vervecken, une enquêtrice de l’Inspection spéciale des impôts (ISI), nommée conseillère en juillet dernier. Après rédaction, ce plan a été discuté et avalisé au sein du cabinet puis en intercabinet, avec les autres partis de la majorité. Environ 80 % des 120 pages initiales de Gerda Vervecken ont été maintenus, ce qui n’est pas mal. Mais le jour de sa présentation au Parlement, début décembre, L’Echo et De Tijd ont titré « Plus personne ne pourra s’opposer aux visites surprises du fisc ». Un titre qui a glacé le patronat flamand et francophone. D’où les critiques au sein de la majorité et les applaudissements de l’opposition. Le plan n’est toutefois pas recalé. Pour Karel Anthonissen (directeur ISI Gand), il a déjà une vertu : « Ce plan met fin aux ambitions de certains parlementaires libéraux qui, par leurs propositions de loi, voulaient restreindre les pouvoirs d’enquête et de visite du fisc, en particulier de l’ISI. »

En attendant, le mauvais bilan de Johan Van Overtveldt se confirme dans les derniers chiffres de l’ISI : 969 millions de recettes en 2015 contre 1,43 milliard en 2014. La nonchalance du ministre des Finances risque-t-elle de malmener la coalition ? Vise-t-elle à saper l’Etat fédéral pour démontrer les justesses de la thèse N-VA ? « C’est aujourd’hui la ministre libérale du Budget, Sophie Wilmès, qui doit assumer le déficit provoqué par la politique de Van Overtveldt », raille l’Ecolo Georges Gilkinet. « Charles Michel va passer de mauvaises nuits dans la perspective du conclave budgétaire de la mi-mars », prédit le socialiste Ahmed Laaouej. « Où est le Premier ministre ? s’exclame Eric Van Rompuy (CD&V). C’est un problème pour nous ! Cela énerve énormément le CD&V qu’il choisisse systématiquement le camp de la N-VA. »

La libérale Sophie Wilmès, dont c’est le baptême du feu après son remplacement d’Hervé Jamar, préfère ne pas polémiquer. Et insiste : « Le budget, c’est une responsabilité commune ! » Visiblement, le prochain conclave sera, aussi, une nouvelle épreuve de vérité pour la suédoise.

Par Thierry Denoël et Olivier Mouton

Cet article est paru dans la version papier du 19 février 2016

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