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Johan Van Overtveldt: « Celui qui dit que l’on ne peut plus économiser raconte n’importe quoi »

Quand il était rédacteur en chef de Knack, Johan Van Overtveldt tirait à boulets rouges sur le « gouvernement des taxes » d’Elio Di Rupo. Aujourd’hui, les lecteurs de Knack lui posent des questions au sujet de sa politique comme ministre des Finances.

Monsieur le ministre, pourquoi nos impôts sont-ils aussi injustes ? (Samuël Van Den Eeckhout sur Facebook)

Johan Van Overtveldt: Nos impôts ne sont pas du tout injustes. Chacun sait que nous levons beaucoup d’impôts sur le travail. Je sais aussi que beaucoup pensent qu’en Belgique nous levons peu d’impôts sur le capital, mais ce n’est pas le cas. Nous sommes dans le top 5, aussi bien dans les rapports de l’Union européenne que ceux de l’OCDE. Nous ne devons donc pas imposer davantage le capital pour rendre nos impôts plus justes. Non, nos impôts doivent simplement baisser. Le fait que nos impôts soient si élevés, voilà qui est injuste.

Pour que les impôts soient justes, le fisc a intérêt à avoir un aperçu optimal des fortunes. Pourquoi continuez-vous à vous opposer aussi obstinément à la création d’un cadastre de fortunes ? (Luc Beeckmans)

Les impôts tirés par l’état de l’impôt du capital et de la fortune n’ont jamais été aussi élevés qu’aujourd’hui. Et en matière de redistribution, il n’y a pas de problème. Il y a quelques semaines, Oxfam a encore présenté une étude qui démontre qu’après la Suède, la Belgique est le pays qui fournit le plus d’efforts pour diminuer les inégalités. Vous pouvez en conclure qu’en Belgique la répartition des charges est juste.

Et pour vous, cela suffit pour s’opposer à l’impôt sur la fortune ?

Oui, comme nous taxons déjà beaucoup le capital, et que nous sommes un des meilleurs redistributeurs du monde, je ne suis pas favorable à un cadastre de fortunes. Je trouve qu’avant de jouer à Big Brother, l’état doit faire en sorte de mettre de l’ordre dans son ménage, assainir et continuer à réduire les déficits et les dettes avant de jouer à Big Brother.

Pourquoi les fraudeurs sont-ils traités aussi mollement ? (Herman Broeckx)

Il faut lutter contre la fraude, c’est la plus grande banalité qui soit. Nous essayons surtout de nous concentrer sur la grande fraude. Souvent, elle n’est pas présente en Belgique, mais dans les paradis fiscaux. Le gouvernement Michel est le premier à essayer effectivement de changer les choses.

Vous êtes sérieux.

Nous avons instauré une taxe de transparence, qui permet de repérer l’argent dans les paradis fiscaux et de le taxer. Et suite aux Swissleaks, Luxleaks Panama Papers, nous avons pris une batterie de mesures pour durcir la lutte contre la fraude. Ces deux, trois dernières années, les amendes ont été majorées, tout comme celle qu’on inflige pour la régularisation d’argent noir. Le montant de recettes de lutte contre la fraude n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui.

Pourquoi la feuille d’impôts belge est-elle si compliquée? Pourquoi ne peut-on pas instaurer un nouveau système fiscal sans exception et doté de règles claires ? (Jan-Willem Van Hoof)

Je suis le premier à admettre que la feuille d’impôts belge est trop compliquée. Mais à court terme, nous ne pouvons rien y changer, surtout parce que nous sommes un pays incroyablement compliqué. Si les entités fédérées avaient plus de compétences homogènes et si les finances étaient mieux adaptées, la fiscalité pourrait être nettement plus simple. À côté de cela, beaucoup de postes de déduction sur la feuille d’impôts seraient considérés comme des « droits acquis ». Si vous y touchez, vous aurez à coup sûr à affronter un combat titanesque avec le groupe de lobby concerné.

La conséquence, c’est qu’on se retrouve avec une feuille d’impôts avec une centaine de codes.

Une étude révèle que 82% des contribuables remplissent moins de 20 des 855 codes de la feuille d’impôts. On pourrait imaginer une sorte de feuille d’impôts personnalisée sur laquelle les codes inutilisés ne sont pas visibles. Mais alors on ne tient pas compte du fait que la situation fiscale peut changer : on peut divorcer, contracter un emprunt, etc. Il faut donc continuer à offrir la possibilité de remplir tous ces codes.

Et il faut donc continuer à lutter avec ces feuilles d’impôts compliquées ?

Non, c’est pourquoi nous avons changé de cap et nous avons augmenté la facilité d’utilisation de Tax On Web, la déclaration d’impôts sur internet. Le fisc remplit ce qu’il sait. Jamais encore, il n’y avait autant de codes préremplis sur la déclaration et beaucoup de gens n’ont plus qu’à approuver. La mécanique sous le capot demeure donc extrêmement complexe, mais nous simplifions au maximum le tableau de bord pour le citoyen.

Dans l’impôt des personnes physiques, on vous taxe rapidement au tarif le plus élevé. Pourquoi les tarifs de l’impôt sur les personnes sont-ils aussi élevés ? (Martyn Benson)

Vous avez raison, chez nous le revenu qu’il faut avoir pour être imposé au tarif de 50% est beaucoup moins élevé que dans nos pays voisins. Et on peut difficilement traiter les Pays-Bas, l’Allemagne et la France de cow-boys fiscaux. Nous avons essayé de résoudre le problème grâce au tax shift, mais en Belgique la progressivité des taux d’imposition demeure beaucoup trop forte: ceux qui travaillent se retrouvent encore toujours beaucoup trop vite dans la tranche d’imposition la plus élevée. Cela me semble un élément prioritaire pour les prochaines années.

Comment?

Il faudra surtout économiser sur les dépenses de l’état. Si l’état dépense moins d’argent, on peut baisser les tarifs d’impôts.

Y a-t-il encore moyen d’économiser?

Ceux qui disent qu’on ne peut plus faire d’économies, racontent n’importe quoi. La part des prélèvements publics par rapport au produit intérieur brut (PIB) baisse légèrement, mais se situe toujours au-dessus des 50%. Aux Pays-Bas et en Allemagne, c’est un peu plus de 40%. S’il y avait une différence de 5% entre la Belgique et ces pays voisins, en chiffres relatifs, l’état belge dépense toujours 20 à 25 milliards d’euros de plus que les Pays-Bas et l’Allemagne qui ne sont pas des pays barbares. Il y a donc certainement moyen de faire des économies.

Certaines multinationales ne paient pratiquement pas d’impôts. Pourquoi ne fermez-vous pas les échappatoires ? (Matthias Van der Heyden)

Je n’aime pas parler d’échappatoires, car ces multinationales font usage de régimes fiscaux qui sont nés historiquement. Ces régimes fiscaux sont de plus en plus sous pression, surtout à cause de l’Europe. L’UE observe de plus en plus minutieusement si ces tarifs d’impôts particuliers ne relèvent pas du soutien d’état.

Estimez-vous que les critiques de l’Europe soient justifiées?

En grande partie si. Souvent, ces dispositions fiscales spéciales pour entreprises ou secteurs sont nées après beaucoup de lobbying. Et on peut difficilement en vouloir aux entreprises de les utiliser : si on ouvre un pot de miel, il ne faut pas s’étonner d’attirer les mouches.

Les avantages fiscaux ont servi à attirer de grandes entreprises vers notre pays?

Oui, elles ont été attirées parce qu’elles ne sont pas imposées au tarif officiel de 34%, mais par exemple à seulement 2%. Avec toutes les conséquences préjudiciables pour les plus petites entreprises qui n’ont pas pu en profiter. C’est précisément pour cette raison que nous instaurons la réforme de l’impôt sur les sociétés maintenant : pour obtenir un meilleur équilibre entre les impôts que paient les grandes entreprises et les PME.

Pourquoi vos estimations fiscales sont-elles rarement correctes?

(Question posée des dizaines de fois et sous toutes les variations possibles sur Facebook)

Les recettes fiscales sont toujours un fourbi de dizaines de postes et il est impossible de tous les estimer correctement. Je ne connais aucun ministre des Finances du passé dont les estimations détaillées correspondaient au résultat final. Si vous augmentez les accises sur le tabac et l’alcool par exemple, combien cela rapportera-t-il ? Combien de personnes achèteront leurs produits de tabac et leurs boissons à l’étranger ? Qui arrêtera ou boira et fumera moins ?

Toutes les estimations sont erronées?

Effectivement. Prenez les tableaux des dix dernières années et vous verrez que certaines recettes sont en deçà des attentes et d’autres au-dessus. Et que fait l’opposition ? Elle sélectionne uniquement les montants où nous obtenons moins que prévu et puis elle nous ridiculise en prétendant que nous n’atteignons pas nos chiffres présupposés. Et puis elle clame que je ne sais pas compter. Ces gens n’ont-ils vraiment pas une once d’honnêteté intellectuelle ? Pourquoi ne parlent-ils jamais des rubriques où nous obtenons plus que prévu ?

L’opposition déclare aussi que la taxe Caïman, qui permet de taxer les Belges qui cachent leur fortune dans les constructions offshore étrangères, rapportera beaucoup moins que prévu.

Nous verrons. Je remarque déjà que le précompte mobilier augmente fortement et c’est sans doute un poste où l’on voit l’effet de l’instauration de la taxe Caïman, car il y a évidemment aussi l’effet de dissuasion. Des fiscalistes me disent que rien que l’instauration de la taxe Caïman a conduit certains à gérer leurs affaires autrement, même si cela leur coûte plus cher que le précompte mobilier.

La grande critique, c’est que le ministre Van Overtveldt ne sait pas compter.

Ah, je reste zen par rapport à toutes ces histoires que je ne sais pas compter. Quels sont les faits ? Globalement, mes comptes sont plus que justes. En 2016, nous avons atteint les recettes fiscales qui figuraient dans le budget. Et fin juillet nous avons eu 8,2 % de recettes en plus que l’année passée. Dans les estimations du comité de monitoring, il y avait 5,8%. Fin juillet, nous aurons donc un rendement marginal de 2,4%. Je sais que fin juillet 2017 n’est pas pareil que fin décembre 2017, mais disons tout de même que nous aurons 2% de rendement marginal, ce qui revient à 2,4 milliards de recettes fiscales supplémentaires.

Et ces rendements marginaux sont-ils dus à la politique menée ou à la croissance économique?

Eric Van Rompuy (CD&V) prétend que ces 2,4 milliards d’euros de rendement sont dus à la croissance économique, mais il a tort. Si nous partons du principe que nous aurons une croissance de 2% en 2017, c’est 0,4% de plus que ce qu’il y a dans le budget. Vu la pression fiscale, les recettes fiscales augmentent de 0,2% du PIB, soit 850 millions. Mais nous pensons atteindre les 2,4 milliards. Un tiers des recettes fiscales en hausse viendra via la croissance, mais la plus grande partie provient par définition des mesures prises. En tant que ministre responsable, j’en suis très fier.

Le gouvernement Michel a augmenté la TVA sur l’énergie de 6% à 21%. Comment justifiez-vous cela ? (Vera Vermaercke)

Le gouvernement Di Rupo a baissé le tarif de la TVA sur l’énergie à 6% comme une mesure temporaire. C’était surtout une astuce pour ralentir l’adaptation des salaires à l’index, dont les prix de l’énergie forment une partie importante, de quelques mois. Cette baisse a également pesé sur les revenus de l’État. Les institutions internationales telles que le FMI et l’OCDE ont vivement critiqué le gouvernement Di Rupo pour cette décision.

Mais pourquoi trouvez-vous justifié d’augmenter la TVA sur l’énergie de 6 à 21% ?

Pour deux raisons. Une: l’énergie chère entraîne l’économie d’énergie, car l’énergie la plus écologique c’est celle qu’on ne consomme pas. Deux : les recettes de l’augmentation de la TVA sur l’énergie sont utilisées pour baisser les impôts sur le travail dans le tax shift. Celui-ci a non seulement permis de créer plus d’emplois, mais aussi d’augmenter le salaire des gens qui travaillent. Pour les revenus faibles, c’est même plus de 100 euros par mois en plus. Pour le consommateur, la hausse de la TVA sur l’énergie est totalement compensée dans son pouvoir d’achat et incite à diminuer la consommation d’énergie. J’appelle ça une politique intelligente.

Je suivais vos commentaires sur la politique économique quand vous étiez rédacteur en chef de Knack. Je partageais souvent vos positions. Cependant, ce que vous faites comme ministre des Finances me déçoit. Qu’est-ce qui vous empêche de réaliser vos idées de l’époque ? (Raf Van den Bossche)

Le frein principal, c’est qu’on est dans une coalition à quatre partis, où les priorités en matière d’impôts et de dépenses publiques ne sont pas les mêmes. On sait que pour certains partenaires de la coalition la baisse de la pression fiscale n’est pas la priorité. Je ne cache pas que j’aurais voulu faire plus. J’aurais par exemple voulu faire passer la pression fiscale sous la barre des 50%, même si je pense qu’on peut y arriver d’ici 2019. Je trouve tout de même que le gouvernement Michel mène une politique totalement différente que le gouvernement Di Rupo, que je critiquais vivement. Le gouvernement Michel diminue les charges, baisse les dépenses, réduit la dette publique. En ce sens, je suis ravi de faire partie de cette équipe de gouvernement.

Comment le journaliste Johan Van Overtveldt jugerait-il le travail du ministre Van Overtveldt ? (Nicolas Busschaert)

Aujourd’hui, le même Johan Van Overtveldt possède trois ans d’expérience au poste de ministre des Finances et il a vécu certaines choses dont le journaliste qu’il était ne savait pas suffisamment qu’elles se passaient de cette façon. Depuis que je suis ministre, j’ai appris à quel point il est difficile d’appliquer le changement. Si j’étais journaliste maintenant, je serais un peu plus indulgent sur certains points, mais tout compte fait le journaliste Van Overtveldt critiquerait certainement encore le ministre Van Overtveldt: la direction est la bonne, mais tout peut aller un peu plus vite. C’est certainement ce que j’écrirais.

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