Nicolas De Decker

Joëlle Milquet, une certaine idée du changement

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Aux journalistes sans imagination, la citation éculée d’un classique qu’ils n’ont pas lu est souvent un utile subterfuge.  » Tout change pour que rien ne change  » en est : la sentence du bel et beau Tancrède dans l’éternel Guépard de Tomasi di Lampedusa nous sert beaucoup et souvent.

Il faut dire qu’à la survie en politique comme en journalisme la prétention au changement est impérative au moins autant que son absence est nécessaire. Ce qui, jusque dans la formulation alambiquée, nous ramène à Joëlle Milquet.

Car Joëlle Milquet était faite pour tout changer.

Sa candidature à la présidence du Parti social chrétien, en 1996, portait une aspiration révolutionnaire à l’échelle de ce parti si morne. Elle était jeune, brillante, enthousiaste, charismatique. Et elle était poussée par Gérard Deprez, président sortant. Ils voulaient tout changer. Charles-Ferdinand Nothomb ne voulait rien changer. Il ne changea rien, et même moins que rien, mais c’était lui que les militants sociaux chrétiens avaient élu.

La révolution avait échoué. Temporairement. Car le changement était en marche. Ce mâle, vieil et ennuyeux PSC, vertébré par un siècle de pouvoir et par l’Eglise, vermoulu par le vide, allait l’éprouver à partir de 1999. Joëlle Milquet, enfin, arrivait à sa présidence. Il devint un autre parti, beaucoup moins vieux, beaucoup moins ennuyeux. Et dans l’opposition. L’humanisme démocratique du CDH n’allait pas vraiment remplir l’ancien CDH de quoi que ce soit, mais au moins l’émancipait-il de son pesant caractère catholique.

Pendant douze ans Joëlle Milquet changerait tout. Le PSC était un parti en déclin mais rigoureusement organisé. Elle en fit le CDH, une formation personnellement incarnée par Joëlle Milquet. Elle y décida de tout dans toutes les extensions de la totalité, de ses alliances et de ses mésalliances, des gouvernements régionaux parfois et des gouvernements fédéraux souvent, de ses ministres et de son successeur, de son sort et de celui de tous les siens.

Le CDH était sa chose.

Il le fallait.

Car tout devait changer.

Tout allait changer à partir de 1999.

Le parti de Joëlle Milquet devait changer.

Or il n’a pas changé la façon dont un ministre emploie les membres de son cabinet. Tout le monde, depuis toujours, le compose comme une équipe de campagne. Gérard Deprez, président précédent du parti qui fut leur chose, avait été inculpé pour la même cause il y a vingt ans. Joëlle Milquet a fait comme tout le monde depuis toujours. Mais elle a toujours dit qu’elle ne ferait jamais comme tout le monde et encore moins comme toujours. Aujourd’hui, elle démontre le contraire.

Or le parti urbain et féminin de Joëlle Milquet est dirigé par un brave Ardennais dont le papa fut ministre de ce même parti mais qui était à l’époque rural et masculin avant que Joëlle Milquet ne change tout. Ce brave Ardennais, à l’assise certaine mais au charisme moins sûr, a rendu son antique rigueur à l’organisation partisane, et il trouve qu’elle s’est trop émancipée de la pesanteur de son ancien caractère catholique. Aujourd’hui, il y revient.

Or le parti multiculturel et ouvert à la diversité de Joëlle Milquet a exclu une parlementaire bruxelloise qui se montrait trop diverse. Et ce sont des membres de son cabinet, donc de son parti, qui se sont révoltés contre l’engagement, à six mois des élections de mai 2014, des Mustafa, des Loubna, des Maryem et des Sofia qui devaient battre la campagne de la ministre de l’Intérieur dans les quartiers bruxellois où ni la pesanteur de l’humanisme démocratique ni celle du catholicisme romain convainquent beaucoup. Il y en a beaucoup, de ces quartiers, à Bruxelles. Aujourd’hui, le CDH y fait 8%.

Or la cheffe de groupe à la Chambre du parti sans aucune référence chrétienne de Joëlle Milquet trouve que ceux qui, disant lutter contre le radicalisme islamiste, veulent intégrer la laïcité dans la Constitution belge sont en vrai des christianophobes déguisés, qui n’ont rien contre l’islam politique mais qui font semblant, rien que pour pouvoir en finir avec les écoles et les hôpitaux et les partis et les syndicats et les associations et les églises catholiques. Aujourd’hui, il n’y a qu’au CDH que quelqu’un pense ça. Et il n’y a que Catherine Fonck pour oser le dire sans rire.

Or le successeur le plus probable de Joëlle Milquet comme ministre de l’Enseignement de son parti jeune et moderne et engagé est une jeune et moderne et engagée en politique qui avait déjà succédé auparavant à une dame moins jeune mais très moderne et très engagée qui se prénommait Marie-Dominique et qui dans un parti jeune et moderne et engagé se prénomme Marie-Martine. Aujourd’hui, il n’y a qu’au CDH que les jeunes modernes et engagés s’appellent Marie-Martine.

Or Joëlle Milquet allait hier tout changer au PSC. Aujourd’hui, elle va partir.

Et rien n’a changé au CDH.

Aujourd’hui, en 2016, tout ce qui va changer au CDH, c’est que Joëlle Milquet est partie.

Joëlle Milquet est un Tancrède. Elle aurait voulu ne pas l’être.

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