© Feédéric Pauwels

Joëlle Milquet : Elargir Bruxelles, c’est une nécessité géopolitique

Du pipeau, la demande d’élargissement de la Région bruxelloise ? Pas du tout, soutient la présidente du Centre démocrate humaniste (CDH). Joëlle Milquet expose sa stratégie : réunifier enfin l’espace francophone, regrouper Wallons et Bruxellois au sein d’un même territoire.

Le Vif/L’Express : Les partis francophones ont longtemps répété qu’ils n’étaient pas demandeurs d’une réforme de l’Etat. Votre position à ce sujet reste la même ?

Joëlle Milquet : Les francophones sont demandeurs d’un refinancement de Bruxelles. Pour le reste, a priori, ils ne sont pas demandeurs. Les francophones ne veulent pas à tout prix d’un transfert de compétences vers les Régions et les Communautés. Mais si c’est nécessaire pour les néerlandophones, si ça les rend plus heureux, si ça peut résoudre certains problèmes, nous n’avons pas d’objections à en discuter. A condition que ces transferts s’accompagnent des financements adéquats, et qu’on ne touche pas au coeur du projet national. La sécurité sociale, la fiscalité, la politique étrangère, ainsi que la justice et la police constituent le c£ur de l’Etat belge. Toutes ces matières doivent rester gérées au niveau fédéral.

Vous ne trouvez pas que le fédéralisme belge, dans son architecture actuelle, ne fonctionne pas très bien ?

Cela m’agace toujours, ça. Qu’on compare nos performances sociales avec celles des autres pays européens ! Si compliquée soit-elle, si lent qu’y soit le processus décisionnel, la Belgique est l’un des pays qui possèdent la meilleure sécurité sociale. C’est l’un des pays qui protègent le mieux ses habitants de la pauvreté. Depuis le début de la crise, c’est en Belgique que l’augmentation du taux de chômage a été la plus faible d’Europe. Le tsunami de l’affaire Fortis qui nous est subitement tombé dessus, la Belgique l’a géré très intelligemment. Qu’on arrête de dire que la Belgique ne fonctionne pas ! Là où Sarkozy claque des doigts, nous devons parler aux partenaires sociaux, à nos collègues du fédéral, à nos collègues du régional, et cela prend trois mois. Mais la discussion, in fine, n’est pas mauvaise.

Vous seriez favorable, comme les libéraux et les écologistes, à la création d’une circonscription électorale fédérale ?

C’est dans notre programme ! Pour le futur Sénat, il serait intéressant d’avoir des candidats qui se présentent des deux côtés du pays. Mais, pour que ça ait un sens, cela doit être suffisamment développé. Sinon, on se retrouvera avec une poignée de candidats qui iront se présenter dans le nord du pays, mais qui ne seront écoutés par personne dans leurs partis respectifs.

Pour vous, les personnalités phares de la politique belge devraient se présenter dans cette circonscription nationale ?

Oui, pourquoi pas ? Il faut avancer de façon réaliste, mais, à l’avenir, une partie des sénateurs pourraient être élus dans les entités fédérées, et une autre partie dans une circonscription nationale unique… Nous, nous sommes à l’aise parce que le CD&V a largement évolué, il ne se présente plus en cartel avec la N-VA. Et il est dirigé par Marianne Thyssen, une femme d’une très grande correction.

Avec les chrétiens-démocrates flamands, vous formez encore une même famille politique ?

J’entends les Ecolo dire qu’ils travaillent avec Groen ! et qu’ils se voient chaque semaine. Eh bien, nous, avec le CD&V, on se voit dix fois par jour. On gouverne ensemble. On prépare le Conseil des ministres ensemble. On se téléphone. Je me suis bien entendue avec Stefaan De Clerck, Inge Vervotte et Yves Leterme. Le vice-Premier ministre CD&V, Steven Vanackere, il a étéélu sur ma liste, une liste CDH, au conseil communal de Bruxelles.

Lors d’un face-à-face avec Steven Vanackere, dans l’hebdomadaire Knack, vous aviez déclaré en substance : « La réforme de l’Etat, à nous deux, on pourrait la négocier en un week-end. »

Tout est prêt ! La loi de financement, c’est plus compliqué… Mais en ce qui concerne les transferts de compétences, beaucoup de choses sont déjà préparées. En fait, depuis 2007, on a parlé du cadre de la discussion, de la méthodologie, mais on n’a jamais réellement négocié. Dans un premier temps, il y avait une difficulté liée à la présence au gouvernement des indépendantistes de la N-VA. Ensuite, quand la N-VA est partie, il n’y avait plus beaucoup de demande du côté flamand, car les négociations risquaient de déboucher sur un compromis qui pouvaient ne pas plaire à certains – notamment la N-VA.

Pour la toute première fois, avec le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde, on commençait un vrai travail de négociation. Et on a été fauchés en plein vol. C’est ça qui me rend un tout petit peu optimiste : on ne peut pas dire que le gouvernement est tombé suite à l’échec des négociations, vu qu’elles n’ont jamais commencé. L’espoir reste donc permis. Personne n’a quitté la table parce qu’il était impossible de trouver un accord. Si l’Open VLD l’a quittée, c’est pour des raisons purement politiciennes.

L’élargissement de Bruxelles, c’est une revendication sérieuse ou c’est juste pour amuser la galerie ?

Cela reste une demande fondamentale, bien sûr. Mais, aux yeux des Flamands, c’est une demande atomique. Cela ne peut donc aboutir que dans un cadre de discussion assez large.

On a parfois l’impression que les partis francophones agitent la perspective d’un élargissement de Bruxelles pour montrer les dents face aux Flamands, mais sans y croire eux-mêmes.

Pas du tout ! Moi, je défends totalement l’élargissement de Bruxelles. C’est nécessaire. Pour une raison sociologique et pour une raison géopolitique. Il est logique que la Région bruxelloise s’étende vers Kraainem ou Wezembeek-Oppem, à 85 % francophones. Ces communes-là font sociologiquement partie de Bruxelles. Mais l’enjeu, c’est aussi que la Wallonie ait une frontière commune avec Bruxelles. C’est stratégique, ça.

L’espace francophone existe sur le plan culturel et économique, mais il est malheureusement scindé sur le plan territorial. C’est l’erreur majeure que les francophones ont commise en 1962-1963, lors de la fixation de la frontière linguistique. A cause de ça, Bruxelles se retrouve aujourd’hui enclavée. Il faut réparer cette erreur et joindre les territoires wallon et bruxellois. Il faut créer un espace territorial francophone dans l’Etat belge, tout comme il existe déjà un espace néerlandophone. Et puis, en termes d’équilibre, ce n’est pas normal que la capitale de la Belgique possède une bordure avec une des deux grandes régions du pays, mais pas avec l’autre. Naturellement, pour concrétiser ça, il faudra payer un prix…

Justement : quel prix le CDH est-il prêt à payer ?
Pas la scission de la sécurité sociale, en tout cas. Si vous régionalisez le contrôle et les sanctions des chômeurs, vous n’avez plus de sécurité sociale. Mais d’autres solutions existent…

Vraiment ?

Oui. On a 40 000 possibilités dans nos cartons, je peux vous le dire. On a déjàéchafaudé plein de scénarios. Ils sont prêts. La créativité du monde politique belge est extrême.

L’ancienne génération politique n’était-elle pas plus douée pour trouver des compromis ?

Arrêtons de rire ! Est-ce que tout a été bien fait du temps de Gérard Deprez et de la loi de financement ? Vous croyez que les accords étaient toujours bien négociés, avec l’ancienne génération politique ? Les lois linguistiques, elles étaient toutes géniales ? Certains trouvent peut-être que c’est génial quand les francophones sont des carpettes. Mais les francophones ne sont plus des carpettes.

ENTRETIEN : FRANCOIS BRABANT

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