© Frédéric Pauwels

Joëlle Milquet, Capitaine Flamme de la politique

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Epuisante à suivre dans sa soif de travail et ses mille combats, Joëlle Milquet énerve ou fascine. Après quinze ans de pouvoir, critiquée, blessée, et sans doute incomprise, la ministre de l’Intérieur garde pourtant la niaque. Retour sur un phénomène.

C’est Gérard Deprez, alors président du PSC, qui la remarque, chez Michel Lebrun, où elle est chef de cabinet-adjoint. « Lors d’une réunion sur la réforme de l’enseignement supérieur, nous étions arrivés à la conclusion qu’il nous fallait un décret, se rappelle-t-il. Joëlle était présente. Nous poursuivons notre discussion et 15 minutes plus tard, elle vient déposer devant moi un projet de décret, et tout l’exposé des motifs. Ça, c’est Joëlle. Elle est d’une rapidité intellectuelle stupéfiante. »

Impressionné, le chef de file des démocrates chrétiens lui propose, en 1995, de prendre son relais. « Je ne voulais pas, assure Joëlle Milquet. Je suis partie en Thaïlande pour réfléchir. » Et celle que l’on appela bien plus tard « madame Non », dit « oui ». Mais à ses conditions : elle veut rénover le parti, et de fond en comble. A l’issue d’une bataille sans pitié ni élégance avec Charles-Ferdinand Nothomb, elle accède à la présidence en 1999. Le parti est alors dans l’opposition et orphelin de ses anciens chefs de file. « La transformation du parti, c’est elle qui l’a portée, se remémore Benoit Cerexhe. Sans elle, il n’existerait sans doute plus. »

Milquet change le nom du parti, abandonne sa référence chrétienne. Et commence à se mettre certains à dos. « Joëlle est polarisante : on l’adore ou on la déteste, résume un de ses amis. Et elle le sait. » Qu’importe. Rien ne va jamais assez vite pour celle qui a fait sien ce geste éloquent de se retrousser les manches.
Au siège du parti, rue des Deux églises, à Bruxelles, on découvre jour après jour la présidente. Une femme intuitive. Créative. Têtue ou déterminée, c’est selon. Capable de faire tout en même temps. Et pour qui travailler et contrôler vont de pair. Elle supervise, en amont et en aval. Les uns la disent perfectionniste. Les autres, incapable de déléguer. « De toute façon, Joëlle, on ne l’aide pas. On parle et elle prend, ou pas », résume Jean-Luc Walraff, directeur de création de l’agence de communication JWT.
Madame « Go between »

En 2004, après cinq ans d’opposition, le parti revient au pouvoir à Bruxelles et en Wallonie. Trois ans plus tard, le CDH réintègre le pouvoir fédéral. Dans les négociations très dures qui opposent Flamands et francophones, elle acquiert le surnom de « Madame Non », qui la met en rage. Elle assure qu’elle n’a fait que défendre fermement les intérêts des francophones tout en formulant des propositions de solutions constructives. « Elle y travaillait la nuit et les envoyait aux autres négociateurs par mail », se rappelle Vanessa Matz, ex-secrétaire politique du CDH. En 2010, lors de l’interminable crise qui mène au gouvernement Di Rupo, certains la baptisent « Madame Go Between », tant elle s’évertue à jouer la médiatrice. Son obstination est payante. « Elle n’aime pas perdre et perd rarement : ses ennemis, las, finissent par lui donner raison », constate un député bruxellois.

Le CDH n’attire guère que 16 % des voix. Joëlle Milquet, en revanche, reste l’une des personnalités francophones les plus populaires, figurant systématiquement dans le top 5. « Le parti pèse plus sur le champ politique que son poids réel, relève le député CDH Georges Dallemagne, parce que Joëlle est capable de synergies et d’alliances. C’est là son intelligence politique. »
Après 12 ans de présidence, Joëlle Milquet cède le relais à Benoit Lutgen. Elle troque le ministère de l’Emploi pour celui de l’Intérieur, qu’elle cumule avec un poste de vice-Première. Pareille à elle-même : dopée à la niaque. Rigoureuse. Exigeante. Dans son équipe, Joëlle Milquet accepte difficilement que tous ne s’investissent pas autant qu’elle. Elle ne supporte pas la médiocrité. Ni la fatigue des autres, elle qui ne se plaint jamais de la ressentir. Il lui arrive d’envoyer des SMS à ses collaborateurs au milieu de la nuit. « Vient un moment où on ne décroche plus », reconnaît l’un d’eux. Juste se préserver. « Travailler pour elle, c’est comme une addiction, confirme une collaboratrice. On est au maximum de ce qu’on peut donner. C’est palpitant sur le plan intellectuel, mais fatiguant. Il faut être dans une forme d’absolu avec elle. » Les plus jeunes, surtout, lui sont reconnaissants : son exigence les tire vers le haut.

Au Parlement, en revanche, la ministre de l’Intérieur est souvent sur la défensive. Tous lui reconnaissent pourtant une solide connaissance de ses dossiers et une certaine efficacité. « Je ne pense pas qu’il y ait de l’animosité à son égard, avance le député libéral Denis Ducarme. Mais elle prend pour elle des critiques qui portent sur le fond. Elle ne devrait pas tomber dans la victimisation. Et elle devrait laisser les élus prendre des initiatives. Ça nous énerve un peu. »

Sensible à la critique si elle la trouve injuste – et elle la trouve toujours injuste – elle peut sortir le bazooka pour tuer une mouche. Il lui arrive d’envoyer un message furieux à un président de parti quand un parlementaire lui a posé une question qui lui a déplu. « Quand on me cherche, on me trouve », réplique-t-elle du tac au tac. L’ex-Carolo devenue Bruxelloise a souvent le sentiment que nul n’a conscience du travail qu’elle abat et des sacrifices que cela demande.

Les blessures accumulées en quinze ans, elle n’en parle guère. « Je sais comment marche la politique. Je ne me fais pas d’illusions sur la nature humaine, mais je reste optimiste. » Et si elle cessait la politique ? Elle se reconvertirait dans l’humanitaire, l’international, l’associatif. Elle ne deviendrait pas gouverneure de province… « Ce n’est pas une droguée du politique, assure un de ses amis. C’est une femme de projet. Plus que de miroir. »

Le portrait intégral dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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