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Jeunes en Syrie: Djihadistes ou paumés ?

Les jeunes partis se battre en Syrie devront être suivis à leur retour. Certains ont un passé judiciaire et pourraient mettre à profit leur expérience syrienne dans la délinquance, voire le terrorisme. Le risque est faible, mais il existe.

Que faire des jeunes qui reviennent de Syrie ? Selon les cas, il s’agit de les soigner s’ils ont été blessés ou traumatisés par une situation de guerre, de les placer dans une institution de protection de la jeunesse s’ils sont mineurs et ont commis des faits répréhensibles, d’ouvrir une information judiciaire s’ils sont majeurs ou, simplement, de les remettre à la garde de leurs entourages respectifs, en espérant qu’ils ne recommencent pas.

Tous ne nécessitent pas la même approche. Un chiffre noir de 200 départs circule officieusement. Bien plus que les 60 à 80 concédés par la ministre de l’Intérieur. Mais bien moins que les 3 000 Belges qui s’étaient engagés pendant la guerre civile espagnole (1936), dans les deux camps.

Après les 48 perquisitions du 18 avril dernier dans des milieux proches de Sharia4Belgium, le parquet fédéral a déclaré avoir identifié 33 personnes, originaires d’Anvers ou de Vilvorde, qui se trouvaient déjà en Syrie ou sur le point d’y arriver. Mais ce chiffre concerne une instruction limitée à la mouvance Sharia : il ne prend pas en compte d’autres filières de recrutement, qu’elles soient djihadiste, aventurière ou d’inspiration chevaleresque.

Observé par la Sûreté de l’Etat depuis plusieurs années, le groupe de Fouad Belkacem pratiquait la prédication de rue (streetdawa) de façon visible et apparemment folklorique. Mais les apparences étaient trompeuses… Les futures recrues étaient abordées dans la rue, puis elles rejoignaient des lieux privés plus discrets où elles subissaient un endoctrinement prolongé et une formation aux combats. Les départs pour la Syrie débutèrent en août 2012. « L’instruction montre, détaille le parquet fédéral, que les membres de Sharia4Belgium auraient rejoint des groupes de combattants aux idées salafistes djihadistes inspirées par Al-Qaeda et qu’ils participeraient à des combats et même à l’enlèvement et à l’exécution de ce qu’ils appellent des « mécréants ». » On est loin de l’image pittoresque de Belkacem et consorts.

Les sectateurs de Sharia4Belgium ne sont pas les seuls sur le terrain. Le milieu bruxellois bruit de la rumeur d’un « Saoudien » qui attirerait les jeunes dans ses filets contre promesse « de filles et d’argent ». L’homme existerait bel et bien, mais il vivrait en Allemagne, sur le chemin entre la Belgique et la Turquie, et agirait par l’intermédiaire d’individus moins voyants que les Sharia Boys. Rumeur urbaine ou réalité ? La police fédérale a décidé de s’y intéresser.

Les deux élèves sans histoire de l’athénée Fernand Blum (Schaerbeek), partis par idéalisme, sans l’autorisation de leurs parents mais entraînés par un frère aîné, ne sont pas représentatifs de l’ensemble des recrues belges. D’après des sources sécuritaires, plusieurs d’entre elles auraient des antécédents judiciaires avérés, ce qui inquiète dans la perspective de leur retour à la « vie civile ». Ayant appris le maniement des armes et côtoyé la mort, elles bénéficient d’un réel prestige, y compris dans la sphère délinquante de droit commun. Ce n’est pas Al-Qaeda mais le caïdat ordinaire qui risque de se renforcer dans les quartiers, comme cela a déjà été démontré par le passé.

Quelle est la proportion de mauvais garçons parmi les combattants syriens venus de Belgique ? Difficile à dire… Les informations concernant leur profil sont détenues par le parquet fédéral qui coordonne les enquêtes « terrorisme » à l’échelle nationale et internationale. « Il suffit qu’un nom soit cité dans le cadre d’une enquête pour qu’il y ait un black-out dessus », remarque un policier local en manque d’infos précises sur les cas individuels de sa zone. De fait, l’institution dirigée par le procureur fédéral Johan Delmulle a mécontenté beaucoup de monde, ces semaines-ci, en ne donnant pas assez de biscuits aux bourgmestres et aux policiers locaux. Il n’y a pas que les Affaires étrangères à réclamer une liste ! Entre-temps, la Sûreté de l’Etat a fait ce qu’il fallait. Mais les autorités locales auraient également besoin d’informations pour prendre des dispositions, qu’il s’agisse de prévenir de nouveaux départs ou d’amortir des retours que l’on craint chaotiques.

Les députés de culture musulmane ne se mouillent pas

Depuis que le « programme de prévention de la radicalisation violente » de Joëlle Milquet, ministre de l’Intérieur (CDH), a été approuvé en conseil des ministres, l’effervescence politique est un peu retombée autour du dossier, mais pas les ambitions. Aucun pays voisin confronté au départ de jeunes musulmans pour la Syrie n’a mis la barre aussi haut que la Belgique… Chacun, dorénavant, fait son boulot au niveau local en sensibilisant les directions d’école, les services de cohésion sociale ou de prévention, les agents de quartier et les acteurs associatifs. Avec plus ou moins d’ardeur. Les Flamands partent à la bataille en se réunissant fréquemment et en multipliant les contacts tous azimuts, y compris dans les mosquées. Les maïeurs francophones sont plus réservés, semble-t-il, et tardent à impliquer les élus de sensibilité musulmane. Mis à part le député Fouad Ahidar (SP.A), qui avait imprudemment manifesté sa compréhension pour les jeunes gens partis en Syrie, les députés bruxellois de culture musulmane ne mouillent pas leur chemise. « Le sujet est sensible, confie l’un de leurs collègues. Dès qu’il est question de la communauté, ils se referment comme une huître, tous partis confondus, surtout vis-à-vis des non-musulmans. Ils ne bougent pas. Ou alors, ils essaient d’agir mais ne veulent pas en faire la publicité. » Or quand les « Syriens » reviendront en Belgique, il s’agira de les tenir à l’oeil, sans verser dans la paranoïa ni « stigmatiser les personnes d’origine étrangère » comme le reprochait déjà Jamal Ikazban, le chef de groupe PS de Molenbeek, une commune où 15 jeunes sont signalés « disparus ».

Et après ?

L’après-Syrie a commencé. Y aura-t-il un effet différé, comme avec certains vétérans américains qui, après la guerre au Vietnam, en Irak ou en Afghanistan, n’ont pas su se réinsérer dans la vie normale ou ont disjoncté ? Les services spécialisés de l’armée seraient déjà intervenus au moins une fois pour un jeune atteint du syndrome de stress post- traumatique. Certains combattants ne reviendront jamais, soit qu’ils sont décédés, comme Raphaël Gendron, soit qu’ils aient décidé de se fixer en Syrie : c’est le cas d’Abdel Rahman, le fils du « cheikh » franco-syrien Ayachi Bassam, le fondateur du Centre islamique belge, foyer de radicalisme à Molenbeek-Saint-Jean. Le fils déclare vouloir reprendre la terre de ses ancêtres aux ennemis de l’islam, les Alaouites, qui, au XIVe siècle, avaient déjà été condamnés à mort par le jurisconsulte Ibn Tamiyya, la grande référence des salafistes contemporains.

D’autres reviendront de Syrie passablement désillusionnés pour avoir été suspectés d’espionnage, traités comme des poids morts, voire des machines à cash. Ainsi, deux parents belges ont pu récupérer leurs fils avant la frontière syrienne mais contre monnaie sonnante et trébuchante. Un autre parent a dû aller le « racheter » en Syrie. On évoque des sommes modérées allant de 2 000 à 3 000 euros. Au total, huit à neuf jeunes seraient rentrés discrètement en Région bruxelloise et à Vilvorde, dont deux ont été placés en IPPJ sur décision du tribunal de la jeunesse.

Les négociations se poursuivent autour du cas d’Iliass Azaouaj, 22 ans, le jeune prédicateur salafiste d’Anderlecht tombé aux mains d’un groupe extrémiste alors qu’il était parti là-bas pour ramener des jeunes Bruxellois égarés. Sur Maghreb TV, le célèbre et déconsidéré Ayachi Bassam, inculpé par le parquet fédéral pour aide au recrutement dans les guerres d’Al-Qaeda en Afghanistan et en Irak, a traité Azaouaj de « petit prédicateur sans valeur qui accusait à tort et à travers Sharia4Belgium ». Il a fini par lui concéder la qualité de « bon musulman » et s’est fait fort de le ramener en Belgique s’il recevait son visa pour la Turquie. Il y a de la négociation dans l’air… Iliass Azaouaj, malgré ses mises en scène salafisantes, s’est toujours placé du côté de la « loi et l’ordre », et il risque de le payer cher. Le Maroc, dont il a la nationalité, s’active aussi pour le faire libérer et avoir le privilège de le « débriefer » en premier.

Une recette classique qui ne suffit pas

Très médiatisées dans la communauté musulmane, de telles aventures font réfléchir. Grâce à leur entourage et à des professeurs de religion diligents, des jeunes ont pu être « retournés » à temps. « Ils étaient bien dans leur peau, avaient un bon cursus scolaire et de bons rapports avec leurs parents, insiste ce membre d’une association musulmane. Le rôle de certains professeurs de religion islamique devrait relativiser l’importance que l’on accorde aux imams. Lorsque la ministre de l’Intérieur en a rencontré une trentaine, venant de mosquées marocaines, il a fallu faire appel à un service de traduction. On n’imagine pas que des gosses nés et élevés ici leur fassent des confidences… »

La prévention d’un côté, la répression de l’autre, du renseignement en amont, la recette est classique. Mais elle ne suffit pas. D’après un spécialiste du dossier, « le SGRS, le service de renseignement de l’armée, et la Sûreté de l’Etat ne se contentent plus de la surveillance, de l’observation et du rapportage. Ils deviennent progressivement plus opérationnels ». Les perquisitions du 18 avril, qui visaient à vérifier le caractère « terroriste », aux yeux de la loi belge, de Sharia4Belgium, ont permis de dresser une cartographie complète du mouvement, avec ses dirigeants, son noyau dur, ses sympathisants. Quatre membres du groupe ont été inculpés au passage.

De leur côté, les services carburent dans l’ombre pour mettre en place de nouvelles parades au radicalisme, en amont du processus de radicalisation violente : contre-discours sur les réseaux sociaux, surveillance des mosquées ambiguës ou jugées toxiques, implication de la communauté musulmane dans la défense d’un islam modéré, vigilance aux signes de radicalisation dans les prisons… « Le jour où la prévention sera devenue l’affaire de tous, on aura franchi une grande étape », soupire un homme politique bruxellois.

>>> Retrouvez le dossier complet dans Le Vif du 10 mai 2013

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