THOMAS SABBADINI Pur produit du sérail. © © DEBBY TERMONIA POUR LE VIF/L'EXPRESS

Jeune prêtre, métier en pénurie

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Depuis deux ans, le nombre de séminaristes augmente en Belgique. Miracle ? Les statistiques sont trompeuses. Cette progression est surtout due à la présence de communautés venues de l’étranger et souvent contestées. L’Eglise belge reste plus que jamais confrontée à une crise des vocations.

Sa Playstation portable charge sur le bord de l’armoire du salon. Son péché mignon pendant ses temps libres. Thomas Sabbadini évite d’en parler avec ses paroissiens. Un prêtre dont l’un des loisirs est de jouer à la console… « Certains ne comprendraient pas ! » Il a beau être devenu un homme de Dieu, le Liégeois reste un jeune adulte de 28 ans. Sauf qu’il doit être « le seul parmi les gens de (son) âge à n’avoir dû chercher ni boulot, ni logement », plaisante-t-il. Sans oublier la sécurité d’emploi : poste garanti à vie ! « J’ai déjà essayé de convaincre des copains avec ces arguments, mais ça ne marche pas ! »

Devenir curé de nos jours n’a rien d’une évidence. Thomas Sabbadini se souvient de la réaction d’un ami lorsqu’il lui annoncé son entrée au séminaire. « Tu es pourtant si intelligent… » « J’ai reçu une éducation catholique, ce qui ne va plus de soi aujourd’hui, raconte-t-il. Mes parents sont pratiquants. Quand j’étais petit, ils ont réussi l’exploit héroïque de me maintenir à la messe. Je n’attendais pas le dimanche matin avec impatience. Si on m’avait dit à l’époque que je deviendrais prêtre, ç’aurait été comme m’envoyer élever des lamas au Pérou ! Ce n’est qu’en rhéto que j’ai commencé à me poser des questions. J’ai dit à une amie : « Tu ne voudrais pas entrer dans les ordres ? » Elle m’a répondu : « Et toi, tu n’as jamais envisagé devenir prêtre ? » »

Cette pensée ne le quittera plus. A la fin de ses secondaires, Thomas Sabbadini rencontre le directeur du séminaire de Liège avec ses parents. « J’ai eu de la chance qu’ils me soutiennent, ce n’est pas toujours le cas. Ils avaient des interrogations – que je comprends bien – mais voulaient que je sois heureux. » Pour se laisser le temps de la réflexion, il entame finalement un régendat en math. Trois ans plus tard, le désir est toujours bien présent. « Dans ces cas-là, soit on va voir un psy, soit on entre au séminaire ! »

« Je suis tombé amoureux »

Non seulement il y entrera, mais en plus il y restera, alors que les abandons en cours de route ne sont pas rares. Ce qui ne l’empêchera pas d’hésiter. « Je suis tombé amoureux d’une amie. On en a discuté. Mais même si on s’était mis ensemble, je n’aurais jamais vraiment été à elle. Soyons honnête : on ne peut pas tenir seul. Celui qui n’est pas capable de supporter le célibat n’a peut-être pas le Seigneur derrière lui. »

Ordonné l’été dernier, Thomas Sabbadini a intégré sa nouvelle paroisse il y a deux mois. A Heusy, près de Verviers. Depuis, ses parties de Playstation se font rares. Horaire surchargé. « Je dois me battre pour avoir mon lundi de congé ! » Le Liégeois s’estime heureux. Ils sont deux pour s’occuper de cinq paroisses. Il connaît des confrères qui en gèrent une quinzaine, seuls.

Les rangs des fidèles s’amenuisent, pas la charge de travail des hommes de Dieu. Conséquence de la crise de foi dont l’Eglise ne s’est plus remise depuis les années 1970. Si on recensait 10 000 prêtres diocésains dans les années 1960, on en compte aujourd’hui moins de 3 000. Beaucoup de ceux qui sont en activité dépassent allègrement l’âge de la pension. Les nouvelles ordinations reste insuffisantes pour assurer un renouveau : 8 en 2013, 14 en 2014, 10 en 2015. Curé mériterait une place de choix sur la liste des métiers en pénurie.

Championne d’Europe ?

Depuis deux ans, les statistiques repartent à la hausse. Alors qu’il y avait à peine 62 séminaristes en 2010, ils étaient 102 en 2012-2013 et 106 en 2014-2015. Avec respectivement 36 et 20 nouvelles recrues ces deux années-là. En sept ans d’études, l’élagage est inévitable, tous ne porteront pas le costume ecclésiastique. N’empêche : cela faisait belle lurette que la barre des 100 étudiants n’avait plus été franchie.

Même le Vatican n’est pas resté insensible à cette progression. En avril dernier, le Saint-Siège se fendait d’un enthousiaste communiqué annonçant que la Belgique était la championne d’Europe des vocations sacerdotales. Il ne faut toutefois pas crier alléluia trop vite. « C’est une question délicate, souligne Olivier Bonnewijn, vicaire épiscopal pour la formation aux ministères. Si l’on s’en tient aux statistiques, oui, les séminaristes augmentent. Mais si l’on ne tient pas compte des nouvelles réalités, on parle plutôt de stabilité. » « Ces chiffres doivent être relativisés, ajoute Anne Morelli, professeure à l’ULB et directrice du Centre interdisciplinaire des religions et de la laïcité. Cela reste de toute façon insuffisant pour combler la pénurie. Puis il faut voir qui sont ces séminaristes, d’où ils viennent et où ils vont. »

C’est une certitude : très peu (à peine 23 sur 106) sont Flamands. Pieux, Wallons et Bruxellois ? Pas vraiment. Si l’on décortique ces statistiques, on s’aperçoit que les plus importants contingents ne proviennent pas de diocèses, mais de communautés étrangères venues s’implanter dans le sud du pays. Ces « nouvelles réalités » qu’évoque Olivier Bonnewijn. D’abord le Redemptoris Mater et ses 35 recrues, dépendant du Chemin néocatéchuménal. « Un très grand mouvement international de l’Eglise catholique, décrit Arnaud Join-Lambert, professeur de théologie à l’UCL. Les jeunes prêtres ont la caractéristique d’être formés dans un pays qui n’est pas le leur. » Des « missionnaires » provenant surtout d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Europe de l’Est. Qui, une fois ordonnés, repartent pour la plupart vers d’autres contrées. « On ne peut donc pas compter sur eux pour exercer en Belgique », indique le théologien.

Les contestés disciples de Zanotti

Si le néocatéchuménat est implanté depuis des années, il n’en va pas de même pour la Fraternité des Saints Apôtres. Avant 2014, personne n’avait entendu parler de cette communauté qui compte tout de même 16 séminaristes en cours de formation. « Ce sont les disciples du père Zanotti, détaille Anne Morelli. Une personnalité française très controversée, très médiatique, très orgueilleuse, qui aime le spectacle ». Michel-Marie Zanotti-Sorkine a bâti sa réputation à Marseille, où il a fait beaucoup d’émules. Sa vision conservatrice de la religion – il porte par exemple la soutane – lui a aussi créé pas mal d’ennemis.

La Fraternité des Saints Apôtres et le Chemin néocatéchuménal ont un point commun. Plutôt, un homme commun : Mgr Léonard. L’archevêque émérite a encouragé l’implantation des deux communautés. Si tout le monde semble s’être habitué au néocatéchuménat, il n’en va pas de même des ouailles du père Zanotti. « Certaines paroisses n’en veulent pas », affirme Anne Morelli. En 2014, l’ordination de trois prêtres issus de la Fraternité des Saints Apôtres a fait grincer beaucoup de dents. André-Joseph Léonard les a propulsés au chevet de l’église Sainte-Catherine à Bruxelles, alors qu’ils n’avaient pas suivi de formation théologique en Belgique.

Certains reprochent à la fraternité de ne pas complètement se plier à l’enseignement dispensé au séminaire de Namur, qui regroupe depuis quelques années toutes les formations des recrues francophones. « Ils ont un zèle incroyable, ils sont supermotivés, explique Thomas Sabbadini. Mais c’est un peu comme si on amenait 10 journalistes étrangers dans votre rédaction et qu’on vous disait : « ils sont meilleurs que vous, c’est comme cela qu’il faut faire » ». Pour Arnaud Join-Lambert, l’avenir de cette communauté est fort incertain. « Comme Mgr Léonard a démissionné, comment cela se passera-t-il avec son successeur ? C’est un mouvement tellement soudain que personne n’est capable de dire s’il sera toujours là dans trois ans ».

Portes closes

Retour à la case départ. Sans le néocatéchuménat et les Saints Apôtres, le nombre de séminaristes n’est plus que de 55. Qui sont-ils ? Nous aurions aimé les rencontrer, mais le séminaire de Namur a préféré garder ses portes closes, s’inquiétant de l’angle sous lequel serait traité ce sujet et des interlocuteurs interrogés. « Allez-vous interviewer des psychologues ? », s’enquerra le chanoine Joël Rochette, recteur du séminaire de Namur.

Il faut donc se contenter de la description que d’autres font d’eux. Un ingénieur qui avait travaillé sur des plateformes pétrolières avait de se sentir appelé par Dieu. Un ancien employé chez Décathlon, que la direction avait tenté de retenir avec une augmentation de salaire lorsqu’il avait annoncé son départ. Un adolescent qui rêvait d’une carrière de footballeur. « Il est très difficile de tracer un portrait précis, considère Olivier Bonnewijn. Chaque année, les profils nous étonnent ! Moi-même, j’étais destiné à être banquier… »

Ceux qui entrent dans les ordres sur insistance de leur famille ultracatholique se font rares, pointe Claire Jonard, coordinatrice du Centre national des vocations. « Il s’agit vraiment de gens qui ont fait leur cheminement eux-mêmes, aux origines très diversifiées ». Le pape François, de par son attitude ouverte, pourrait-il susciter les vocations ? « On ne le remarque pas pour l’instant, répond-elle. Par contre, on observe que les chrétiens sont plus à l’aise pour évoquer ce sujet, c’est moins tabou qu’il y a dix ou quinze ans. »

Les retraites spirituelles et autres « camps de foi » ont d’ailleurs de plus en plus de succès. Mais entre méditer dans un monastère durant quelques jours et s’engager toute sa vie au service de Dieu, il y a un pas que peu franchissent. La crise des vocations semble irréversible. L’Eglise doit trouver d’autres alternatives, comme le regroupement des paroisses, un processus déjà entamé. Ouvrir la fonction aux femmes, aux laïcs ? Certains en parlent. Le célibat est par contre beaucoup moins remis en question. « Les protestants et les orthodoxes peuvent se marier, ils sont pourtant confrontés à la même pénurie », répète-t-on systématiquement. L’autre piste est de recourir à des prêtres étrangers. Avec tous les chocs culturels que cela suscite souvent. Un curé africain qui fait chanter à des élèves de secondaire médusés un cantique à Marie, un Polonais appelé à conseiller un couple homosexuel… Mgr Léonard semblait en tout cas persuadé que le salut viendrait de l’étranger, même si sa vision était contestée. Reste à savoir quelle sera celle prônée par son successeur, Jozef De Kesel. ?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire