Christine Laurent

Jean-Luc Dehaene, le sauveur, s’est dérobé par la petite porte

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Par quel prodige l’homme qui avait pourtant débroussaillé les pires situations dans la Belgique des années 1990 s’est-il finalement embourbé dans le dossier BHV?

Par Christine LAURENT

Il aura buté sur huit petites lettres, des lettres ordinaires pour un mot explosif: scission. Les huit lettres qui fâchent, l’objet de toutes les tensions entre Flamands et francophones depuis plus de trente ans. La scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde empoisonne la vie politique, pourrit le climat. Un véritable boulet.

Pour le neutraliser, le Palais avait appelé l’homme providentiel, l’orfèvre du compromis: Jean-Luc Dehaene. N’avait-il pas réussi l’impossible dans les années 1990, alors que la Belgique tanguait déjà sérieusement? Avec son imaginaire frondeur, son intelligence hors norme, ses cent kilos de subtilité, ce vieux routard de la négociation allait trouver les voies impénétrables et mystérieuses pour ficeler un compromis.

BHV, le dossier vénéneux, sinueux, demandait aussi du courage, du cran. Le taureau de Vilvorde n’en manque pas. Unanimité dans les rangs politiques, volonté d’y croire aussi, on allait voir ce qu’on espérait voir. In fine, bien peu de choses pour ne pas dire carrément rien.

On imaginait Dehaene en sauveur, on l’a vu se dérober par la petite porte. « Hénaurme »! Le négociateur royal nous avait habitués, en effet, à plus de flamboyance. Un tour de piste pour rien? Mission terminée, affirme son entourage, Dehaene a formulé des propositions pour sortir du bourbier; au Premier ministre et aux présidents de parti de se débrouiller! Certes. Mais de là à les lâcher au milieu du gué… Et que dire de ces « positions incompatibles » qu’il pointe lui-même dans un communiqué qui frôle le désenchantement?

Pour la première fois de sa carrière politique, Dehaene s’est-il laissé embourber dans le mille-feuille institutionnel? Bizarre, car il savait drôlement y faire, autrefois, le bougre! Mais aujourd’hui? Face à une nouvelle génération de politiciens dont la moitié tente de sauver Bruxelles déplumée et sa périphérie francophone, pendant que l’autre ne rêve que de réforme de l’Etat et de confédéralisme, dépassé notre plombier hors pair? « Pour comprendre la logique de ses partenaires de discussion, il faut accepter leurs prémisses », affirme-t-il. Laissant entendre qu’autour de la table où régnait pourtant, selon plusieurs observateurs, un climat « positif », on n’enregistrait, en réalité, qu’un dialogue de sourds que l’ex-Premier ministre n’a pas réussi à briser.

On le sait bien, en vingt ans, la donne communautaire a radicalement changé. Et la stratégie du tout dans le tout, que maîtrisait à merveille notre grand démineur, a sans doute du plomb dans l’aile. Face au nouveau mode d’emploi, peut-être a-t-il perdu pied? Foncer, forcer, certes, mais pas avec des trucs et astuces dépassés, pis, rouillés. Sans parler de son ton aiguisé, sinon tranchant.

Le raccommodeur de porcelaine communautaire a son franc-parler. Oui, mais les francophones se sont plaints de son arrogance. Il aurait irrité. Et les langues de se délier. On dénonce même un engagement très net en faveur des intérêts flamands, incompatible avec une fonction de négociateur! L’esprit clanique l’aurait-il emporté sur l’indispensable neutralité?

Et si, en réalité, c’était Dehaene qui avait changé? Et si l’homme d’Etat qu’il fut avait viré militant flamingant? Et si cette Belgique, dont il a sauvé les meubles autrefois, il n’y croyait plus aujourd’hui? Avec pour conséquence que, pour Leterme, c’est bel et bien fini de papillonner autour du fédéralisme de coopération. Désormais, c’est les mains dans le cambouis!

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