« Je suis prêt à débattre avec Bart De Wever ! »

Jules Gheude, 65 ans, est écrivain, ex-directeur au Commissariat général aux Relations internationales de la Communauté française, ancien membre du Rassemblement wallon et biographe de François Perin. Il fait partie des membres fondateurs du Parti des Réformes et de la Liberté et a créé il y a deux ans le Groupe d’études pour la Wallonie intégrée à la France (Gewif). C’est lui qui a oranisé, en 2009, les Etats généraux de la Wallonie, qui ont débouché sur un vote pour la réunion de la Wallonie à la France.

Par Jules Gheude

Essayiste politique (1)

Face à l’irrésistible ascension de la mouvance nationaliste en Flandre – le dernier « Baromètre politique » du « Soir » indiquait un potentiel électoral de 50,7% pour la N-VA -, il faut bien s’interroger sur ce qu’il pourrait advenir si, dans un avenir relativement proche, la Flandre venait à faire sécession en invoquant le fameux principe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

Pour éviter que ne s’ouvre la boîte de Pandore, le droit international a tenu à réduire la portée de ce principe. Il vise essentiellement des cas d’oppression, d’occupation ou de colonisation.

La question est donc de savoir si une collectivité qui ne se trouve pas dans ce type de situation – ce qui est le cas de la Flandre -, peut exercer son droit à l’autodétermination. A cet égard, le droit international reste dans le flou : il ne dit ni oui ni non.

La Cour internationale de Justice a estimé que la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo n’avait pas violé le droit international. Elle a répondu ainsi, de façon stricte, à la question posée par le Conseil de l’Assemblée générale des Nations unies, en octobre 2008.

Pour les juges, aucune règle de droit international n’interdit donc à une collectivité de déclarer son intention ou son désir de constituer un Etat. La Cour s’est toutefois gardée de se prononcer sur les termes et les conditions qui s’appliquent le cas échéant. Elle n’entendait manifestement pas répondre à la question de l’autodétermination externe, en dehors d’une situation de colonisation ou d’occupation.

Dans « La Libre Belgique » du 14 septembre 2010, la journaliste Sabine Verhest écrivait : « Si l’Europe et le monde reconnaissaient une Flandre qui aurait déclaré unilatéralement son indépendance, cette Flandre indépendante vivrait pour la simple raison que la réalité politique sort du champ du droit. »

Un ambassadeur français m’a confié, au début des années 80, que si la Flandre devait larguer unilatéralement les amarres, la France s’empresserait de la reconnaître. Elle pourrait toutefois

conditionner l’adhésion de ce nouvel Etat flamand à l’Union européenne au désenclavement de Bruxelles….

Se pose à présent la question du devenir de la Wallonie et de Bruxelles.

D’aucuns, on le sait, évoquent une « Belgique résiduelle » qui, selon eux, resterait automatiquement liée aux traités conclus par l’ex-Royaume de Belgique.

La chose n’est pas aussi simple. Une adhésion de plein droit à ces traités comme successeur de l’ancienne Belgique pourrait être contestée juridiquement par d’autres Etats, par exemple par le nouvel Etat flamand… Celui-ci se mettrait de facto en dehors des organisations internationales, que la déclaration d’indépendance soit jugée légale ou non par la Cour internationale de Justice. Mais, par là même, la Flandre mettrait aussi la « Belgique résiduelle » hors du jeu international, l’exclurait des organisations internationales de jure. Ce fut d’ailleurs le cas pour la « Yougoslavie continuée » (Serbie-Monténégro), lors des sécessions croate et slovène de la Fédération yougoslave.

Cette « Belgique résiduelle » serait d’ailleurs si substantiellement différente de la première qu’on voit mal comment la communauté internationale pourrait lui reconnaître une personnalité juridique identique.

Quant au scénario d’une Wallonie indépendante, Jules Gazon, professeur émérite à l’ULg, a clairement expliqué, chiffres à l’appui, qu’il n’était pas tenable au plan des finances publiques.

On en vient ainsi aux propos tenus naguère par le général de Gaulle : « J’ai pourtant la conviction que seule leur prise en charge par un pays comme la France peut assurer l’avenir à vos trois à quatre millions de Wallons. »

Une intégration à la France éviterait, en tout cas, à la Wallonie de connaître les problèmes liés à une reconnaissance internationale. L’adhésion à l’Union européenne, à la zone euro et aux grandes instances internationales serait, de fait, automatique.

Reste à savoir ce que souhaiteront les Bruxellois. Mon sentiment est qu’ils tiennent fortement à leur spécificité et ne voudront finalement aller ni avec les uns ni avec les autres. Un statut de « ville libre internationale » n’est donc pas à exclure et n’a rien de fantaisiste.

La dernière bataille belge est bel et bien engagée. Elle se fera en deux étapes : prise d’Anvers par Bart De Wever en octobre prochain et offensive finale aux élections législatives de 2014, si toutefois le gouvernement Di Rupo tient le coup jusque-là…

Car il est illusoire de croire que la nouvelle réforme de l’Etat engendrera la pacification communautaire. Les accords comportent, en effet, des chausse-trappes potentielles. C’est le cas notamment en ce qui concerne la nomination des bourgmestres dans la périphérie.

Le chercheur français Vincent Laborderie indique que seuls 15% de la population flamande partagent aujourd’hui l’option indépendantiste.

Je pense qu’il s’agit, plus fondamentalement, d’une évolution qui est en marche et que rien ni personne ne pourra arrêter. Le programme de la N-VA est clair et ceux qui votent pour ce parti (ils sont plus de 15% !) le connaissent parfaitement. C’est l’envol, à terme, d’un Etat flamand au sein de l’Union européenne. Et, il faut le rappeler, le terme « Nation » figure expressément en préambule de la Charte que le Parlement flamand a tout récemment adoptée. On voit d’ailleurs Kris Peerters, le ministre-président flamand, se profiler de plus en plus à l’étranger comme le chef d’un Etat souverain.

Dans son édito du « Soir » de ce 31 août, Véronique Lamquin écrit : « …les francophones ne sont pas maîtres de leur sort. L’acter ne doit pas être source de résignation, mais bien de détermination. Celle de se préparer au pire, l’éclatement du pays. »

Pourquoi parler du pire ?

Convaincu du caractère inéluctable de la scission, je me suis efforcé, depuis 2007, de préparer sereinement les esprits francophones à l’après-Belgique, en expliquant que ce ne serait nullement l’apocalypse. Je suis prêt, désormais, à débattre de tout cela avec Bart De Wever.

(1) Derniers ouvrages parus : « Le petit guide de l’après-Belgique » (éd. Mols, 2010) et « On l’appelait Belgique » (Mon Petit Editeur, 2011).

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