Jan Jambon © BELGA

Jan Jambon: « Il y a une question qui me taraude : comment ces gars ont-ils échappé à notre radar ? »

Le Vif

Depuis les attentats de Paris et le lien avec notre pays, Jan Jambon est connu jusqu’aux rédactions du Monde et du New York Times. Le ministre de l’Intérieur a déclaré que la situation à Molenbeek n’était plus sous contrôle, mais appelle au calme. Il s’est confié à nos confrères du magazine flamand Knack.

Jan Jambon a été omniprésent à la radio et à la télévision ce week-end : pour rassurer et informer la population, mais aussi pour affronter les questions auxquelles il ne pouvait ou ne savait pas répondre. Entre deux interviews, il a fait un aller-retour rapide à Paris pour rencontrer son homologue français Bernard Cazeneuve. C’était nécessaire, car ces derniers jours la presse internationale dépeint la Belgique comme le maillon faible du système de sécurité européen. Les Parisiens avaient déjà vu vendredi soir qu’au moins une des voitures utilisées par les terroristes avait une plaque minéralogique belge. Ils avaient malheureusement raison.

La Belgique pointée du doigt

Dans une interview accordée à des journalistes du magazine flamand Knack, le ministre affirme que son homologue français ne l’a pourtant pas rappelé à l’ordre : « Au contraire, il nous a félicités d’avoir si rapidement instauré des contrôles aux frontières. Il est certain que les Français auraient préféré que nous prenions ces types de Molenbeek à temps. Mais Cazeneuve sait aussi que Mehdi Nemmouche, l’auteur probable de l’attentat contre le Musée juif à Bruxelles, venait de France et qu’il avait échappé à la surveillance des services de sécurité français. Ce genre de terrorisme ne connaît pas de frontières. Au lieu de nous rejeter la faute, nous devons surtout tirer des leçons de ce qui s’est passé. Pour cette raison, les Français et nous avons décidé d’échanger encore plus d’informations.« 

Les médias étrangers pointent du doigt la Belgique et donnent un semblant de mauvaise réputation de notre pays. « Aucun pays ne peut garantir la sécurité à 100%. Et j’admets : nous avons une certaine réputation parce qu’en proportion la Belgique est l’état membre de l’UE qui compte le plus de départs en Syrie. Mais ces départs se sont plus ou moins arrêtés grâce au travail excellent de nos taskforces locales. Il n’y a qu’à Bruxelles et à Molenbeek que ça ne marche pas« , confie-t-il dans son interview au Knack.

Problème bruxellois ?

Le problème serait-il donc proprement bruxellois ? Le ministre N-VA refuse de s’étendre sur la question, de peur qu’on qualifie son plan de « manoeuvre de la N-VA ». Il s’en tient à des mots déjà prononcés trois jours avant les attentats lors d’un débat du Think Tank européen Politico : « Bruxelles est une ville relativement petite de 1,2 million d’habitants. Pourtant, elle compte six zones de police et dix-neuf communes. Combien de zones de police y a-t-il à New York, une ville de onze millions d’habitants ? Une seule.« , rappelle-t-il dans le magazine flamand.

Les papiers d’identité des terroristes morts révèlent que certains sont entrés dans l’UE comme réfugiés. Selon le ministre, la menace n’a pas été sous-estimée. Il souligne que ces histoires sont propagées par l’Etat Islamique lui-même et qu’il ne les trouve pas totalement crédibles. « L’EI se targuait d’avoir envoyé 4 000 djihadistes avec les réfugiés, mais toute son armée ne compte que 30 000 hommes. Ils ne peuvent se permettre le départ d’autant de soldats. En outre, ce serait très bête, car ils savent aussi que l’identité de tout demandeur d’asile est contrôlée. En Belgique, ce n’est pas uniquement l’Office des Étrangers qui s’en charge, mais aussi les banques de données de la police fédérale. L’EI dispose de suffisamment d’autres moyens pour introduire ses membres à l’intérieur de l’UE. »

Concernant les djihadistes revenus de Syrie, il compte faire comparaitre devant un tribunal ceux qui se sont battus dans l’armée de l’Etat islamque. « Tout comme nous avons cité en justice Sharia4Belgium. La Belgique est le seul état membre de l’UE à avoir condamné des musulmans radicalisés. »

Jambon explique qu’il distingue deux groupes parmi les gens qui reviennent de Syrie. « Le plus petit représente environ 30% des ex-combattants en Syrie. Il s’agit de personnes totalement dégoutées de ce qu’elles ont vécu et vu là-bas. Ces types – ou ces dames – car entre-temps il y a beaucoup de femmes qui sont parties – peuvent très bien nous rendre service. Ils peuvent raconter leur histoire aux jeunes susceptibles de se laisser tenter de partir en Syrie. Malheureusement, le plus grand groupe revient avec une mission : poursuivre la lutte ici. Seulement, on ignore quand ils entreront en action. On ne peut donc pas nous montrer naïfs et devons les faire suivre par la police fédérale et les services de sécurité.« 

L’EI « utilise la rhétorique de la guerre »

Si le Président français François Hollande s’estime en guerre contre l’EI, Jambon voit cette situation à l’inverse : « C’est surtout l’adversaire qui utilise la rhétorique de guerre et applique peu à peu les techniques de guerre. L’EI abat des avions, fait tirer sur des citoyens désarmés et exploser des bombes.« 

Le ministre de l’Intérieur est cependant réticent à l’utilisation de l’article 5 de la charte de l’OTAN, qui veut que les Etats membres soient obligés de porter assistance militairement au pays déclaré comme « en état de guerre ». « Il (l’article, ndlr) a été rédigé dans le contexte de la Guerre froide, avec le Rideau de fer comme frontière très visible entre ‘nous’ et ‘eux’. Aujourd’hui, tout est beaucoup plus confus. Nous avons évidemment participé à une coalition et, à Vienne, nous travaillons à une solution diplomatique pour la Syrie. Mais quand on négocie, on n’est fort que si les autres parties savent ce que vous représentez sur le plan militaire. Ce qui ne signifie pas que je défends les opérations militaires précipitées : je pars du principe qu’on n’intervient que sous un mandat clairement décrit du Conseil de Sécurité des Nations Unies.« 

« Garder son calme »

Jan Jambon ne veut cependant pas parler de « lutte entre les civilisations ». « Vous ne m’entendrez pas vite utiliser des mots chargés tels qu’une ‘guerre de civilisations’, assure-t-il aux journalistes du Knack. Restons réalistes. C’est certain, tous les services de police et de sécurité sont en état d’alerte et lors de grands événements, il se pourrait que l’on vérifie votre identité, là où avant ce n’était pas nécessaire. Mais nous n’allons certainement pas plus loin. Nous sommes évidemment tous inquiets, mais la peur et la panique sont les plus mauvaises conseillères. Je le répète, il faut garder son calme et son sang-froid« , conclut-il.

Une incertitude persiste cependant pour le ministre de l’Intérieur : « Il y a une question qui me taraude en permanence: comment ces types ont-ils pu échapper à notre radar? Comment n’avons-nous pas vu venir un groupe avec de telles intentions ?« 

CB/OL

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